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Martine Rothblatt est avocate et femme d’affaires américaine. Elle est née Martin Rothblatt, mais en 1994 à l’âge de 40 ans, elle a révélé sa transsexualité et débuté sa transition. Cette métamorphose imprègne son récent livre sur l’éthique de la robotique, Virtually Human, dans lequel elle s’interroge sur les droits futurs des êtres humains virtuels, auxquels les intelligences artificielles pourraient s’apparenter. « J’ai écrit ce livre pour exprimer mon sentiment profond sur l’oppression des minorités dans notre société », confiait-elle en 2014 à la Technology Review du MIT. « J’espère que mon travail minimisera la discrimination dont seront immanquablement victimes les personnes virtuelles. »

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Martine Rothblatt
Crédits : Andre Chung

Son postulat est que si une personne est dotée d’un esprit, elle doit bénéficier de droits au même titre que nous, qu’elle soit dotée d’un corps mécanique ou de pas de corps du tout. Sa pensée peut désarçonner de prime abord, mais elle s’explique clairement. « Soit vous pensez que la conscience est quelque chose de métaphysique, soit elle est le fruit d’interactions de la matière et de connexions dans votre cerveau », dit-elle. « Ces connexions, ces interactions atomiques sont potentiellement accessibles aux ordinateurs. Pour moi, nier la possibilité d’une cyber-conscience revient à nier que nous vivons dans un univers physique. » Cette cyber-conscience nécessiterait par conséquent d’avoir des droits. Ben Goertzel est du même avis. « Pour le moment, nos IA ne sont pas assez intelligentes et autonomes pour le mériter, mais dans cinq ou dix, cela va changer. » C’est pour lui une évidence, et il imagine un scénario dans lequel de petits pays sont susceptibles d’accorder des droits fondamentaux aux robots intelligents, dans les années à venir. Pourquoi donc ? « Déjà parce que ça leur ferait de la pub, mais pas seulement. Je vois très bien un pays comme l’Islande finir par accorder des droits aux robots afin d’attirer sur son territoire des compagnies spécialisées. » Devant la diversité de ces réflexions et de ces projets, nous pouvons être sûrs d’une chose : même s’il n’est qu’embryonnaire, le droit des robots, en tant que champ d’étude, est déjà une réalité.

La difficulté qui se posera ensuite aux juristes et scientifiques sera de déterminer le cadre de la liberté des robots. Un être humanoïde synthétique doté d’une intelligence suffisante pour être autonome nécessitera qu’on établisse, au niveau constructeur comme au niveau légal, les limites de l’exercice de cette intelligence. Se pourrait-il vraiment qu’on leur accorde le droit de vote ? Une fois encore, Ben Goertzel n’a aucun doute à ce sujet. « La démocratie deviendra intéressante dès lors qu’on donnera le droit de vote aux robots, car ils ne tarderont pas à devenir la nouvelle majorité. » Cela semble improbable ? Et pourtant. En 2014, Deep Knowledge Venture, une société d’investissement basée à Hong Kong, a nommé une intelligence artificielle au sein de son conseil d’administration. Cette IA, appelée Vital, est présentée par ses créateurs comme capable de réfléchir et de décider de manière totalement indépendante, avec une plus grande objectivité que ses collaborateurs humains. Vital a d’ores et déjà le droit de vote. Ben Goertzel, qui décrit le monde actuel au lendemain de l’élection de Donald Trump comme une émission de télé-réalité géante, imagine un futur politique pour le moins original pour notre planète : « Dans sa forme actuelle, la démocratie n’est pas capable de survivre à une révolution politique des robots. Mais si vous voulez mon avis, je pense que nous finirons par élire nous-mêmes une intelligence artificielle, car elle fera du bien meilleur travail que nous ! » À l’en croire, en 2040, le monde sera gouverné par une nounou artificielle.

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Un androïde à l’image de Philip K. Dick interviewé par un reporter
Crédits : South China Morning Post


Couverture : Le robot Einstein de Hanson Robotics. (Hanson Robotics)


SENTIENT : CE FRANÇAIS A CRÉÉ LE PLUS VASTE SYSTÈME D’IA AU MONDE

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En quelques années, Sentient Technologies a conçu le plus vaste système d’intelligence artificielle au monde. Antoine Blondeau, son fondateur, explore les multiples facettes de l’IA.

I. Alice et Bob

Pour certains, le 24 octobre dernier a sonné le glas de l’humanité. C’est un article paru dans le journal interne de Google Brain qui a mis le feu aux poudres. Deux chercheurs du projet de recherche de deep learning de Google, Martín Abadi et David G. Andersen, y relatent une expérience qu’ils ont élaboré pour apprendre à des intelligences artificielles à créer leur propre forme de chiffrement. Deux d’entre elles, Alice et Bob, devaient s’envoyer un message chiffré qu’une troisième IA baptisée Eve tentait de décrypter. Chaque fois qu’elle y parvenait, Alice transformait le message pour tenter de le rendre indéchiffrable et Bob s’adaptait progressivement pour comprendre son langage. Après plusieurs milliers d’échanges décodés, Eve a fini par ne plus en être capable : Alice et Bob communiquaient dans un langage connu seulement d’eux-mêmes, incompréhensible pour Eve mais aussi pour l’humanité toute entière.

Si les IA de Google Brain sont capables d’apprendre de leurs erreurs pour s’améliorer, c’est parce qu’elles reposent sur des réseaux de neurones artificiels, qui leur permettent en quelque sorte de raisonner pour évoluer. L’article a semé la panique dans les rangs des journalistes, qui y ont vu l’étincelle qui conduira selon toute probabilité à l’annihilation de l’espèce humaine par un réseau de machines inarrêtables. Google affirme qu’il s’agit d’un moyen de se prémunir contre le hacking : chaque cyberattaque entraînera un réajustement du système de sécurité par l’IA aux commandes, qui renforcera automatiquement son chiffrement. Pour les observateurs alarmés, la firme de Mountain View déroule le tapis rouge aux conspirations futures des machines contre l’humanité. ulyces-sentientai-02 Antoine Blondeau, lui, hausse les épaules. « Ça ne m’étonne pas », dit-il placidement. Pour le cofondateur et PDG de Sentient Technologies, il s’agit d’une suite logique dans la recherche sur les réseaux neuronaux. « Créer des intelligences non-humaines est le principe même de la recherche sur l’intelligence artificielle. » Éclipsé par les silhouettes titanesques de Google ou Facebook, vous n’avez peut-être jamais entendu parler de Sentient. Ils s’agit pourtant des concepteurs de la plus vaste plateforme d’intelligence artificielle du monde. Soutenus par des investisseurs iconiques du domaine de l’IA comme Li Ka-shing et son fonds personnel Horizon Ventures – Siri, DeepMind – ou des géants des télécommunications comme Access Industries – les propriétaires de Warner Music Group – et Tata Communications, ils totalisent 143 millions de dollars d’investissement. Il s’agit de la plus importante levée de fonds réalisée par une société privée dans le domaine de l’IA. À en croire Antoine Blondeau, cela n’a rien de surprenant. « L’intelligence, c’est le business model ultime. Tout est un problème d’intelligence dans le monde – d’intelligence humaine », dit-il. « Si vous parvenez à faire entrer progressivement de l’IA dans ces processus, il est possible de créer une grande société, très valorisée et capable de changer beaucoup de choses sur la planète – on espère en bien. » Sentient a pour ambition de créer des évolutions et des améliorations successives qui toucheront de nombreuses industries différentes et pas seulement le trading et l’e-commerce, son cœur de cible actuel. Leurs intelligences artificielles pourraient sauver de nombreuses vies et durablement changer la nôtre. Tant qu’ils les gardent sous contrôle.

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