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Manuel de l’explorateur

La plupart du temps, je m’y rends seul. J’aime être seul et complètement silencieux. C’est essentiel pour être à l’écoute de ce qui m’entoure. Car bien souvent, je ne suis pas totalement seul dans ces endroits. Il y a beaucoup d’ermites, des sans-abris, parfois des criminels. Je dois savoir précisément où ils se trouvent, et si j’entends quoi que ce soit je dois savoir comment réagir, et vite. J’ai vécu de mauvaises expériences, c’est pourquoi le silence et l’écoute sont impératifs. C’est une question de survie. L’environnement est souvent toxique : on peut contracter une infection des poumons en respirant certaines choses d’apparence aussi inoffensives que les excréments de pigeons et de rats. On peut se blesser, se tuer ou attraper des virus.

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De nombreux endroits sont habités
Crédits : Seph Lawless

Un jour, je me trouvais au deuxième étage d’une maison quand mon pied est passé à travers le plancher. Je me suis senti tomber et je suis parvenu à m’agripper au dernier moment. J’ai dû me hisser à la force des bras. J’ai aussi vu le plafond d’une maison s’effondrer sous mes yeux. Si j’avais été en-dessous, je serais sans doute mort. Enfin, il y a les gens qui vivent dans ces endroits. J’en rencontre fréquemment, et la plupart du temps tout se passe bien. Mais d’autres fois, ils n’hésitent pas à vous attaquer. Avec un couteau, un morceau de bois… Certains sont mentalement dérangés et ils vous voient comme un danger. Ils peuvent imaginer que vous êtes venu les arrêter, qui sait ? Cela sans parler des tueurs que j’ai mentionnés plus tôt, qui utilisent ces endroits pour commettre leurs atrocités. Les lieux abandonnés sont donc souvent peuplés d’individus qui ne sont pas forcément équilibrés. C’est quelque chose que les gamins qui m’imitent ne réalisent pas. Ils n’y pensent même pas, car ils ne savent pas où regarder. Quand vous entrez dans un lieu abandonné et que vous marchez sur du verre brisé en grimpant des escaliers, il y a une raison à cela : vous n’êtes pas seul. Ils brisent du verre pour vous entendre arriver. Cela les avertit de votre venue et ils peuvent se cacher. S’ils veulent vous attaquer, cela leur donne un avantage certain et vous ne vous en rendrez même pas compte. Je me suis toujours montré extrêmement prudent. Je pense que c’est la raison pour laquelle je ne me suis jamais blessé gravement. Je prends ces risques en compte et d’une certaine manière, je respecte les personnes qui vivent dans ces endroits. Je respecte l’environnement dans lequel je me trouve. Il arrive que je ne m’y sente pas le bienvenu et je ne cherche pas à tergiverser : je pars. Je ne suis pas là pour qu’il m’arrive malheur. Il n’y a aucune honte à avoir.

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Bonne ambiance
Crédits : Seph Lawless

Toxiques

Mes images visent aussi à provoquer un dialogue constructif autour des problèmes qui gangrènent l’Amérique. Comment est-ce arrivé ? Pourquoi ? Quel impact cela a sur nous ? Que peut-on faire pour l’empêcher ? La ville au centre du documentaire que j’ai réalisé pour ma chaîne YouTube s’appelle Picher. On surnomme ce patelin du Midwest la ville la plus toxique d’Amérique. Elle prospérait auparavant grâce à ses mines de plomb et de zinc. Ce qui l’a construite a fini par la détruire. Durant la Première Guerre mondiale, elle a produit 50 % des métaux utilisés par les États-Unis. Ses mines ont fonctionné jusqu’en 1967, mais les 14 000 mines de la région ont tout contaminé : l’eau, les bâtiments, les gens. En 1996, 34 % des gamins qui vivaient là étaient intoxiqués au plomb. Le gouvernement a fini par intervenir et déplacer tout le monde. C’est une ville fantôme aujourd’hui, et parler aux gens qui ont survécu m’a beaucoup affecté. L’État leur a donné un petit pécule pour recommencer leur vie dans une autre ville, mais Picher leur manque beaucoup. Certaines personnes ont même refusé de partir.

En 2015, un seul homme y vivait encore. Je devais le rencontrer, nous avons parlé au téléphone plusieurs fois avant que je ne lui rende visite. Mais il est mort d’une mystérieuse maladie juste avant mon arrivée. Personne n’a explicitement reconnu que c’était à cause de la toxicité de l’endroit, mais j’en suis persuadé. Ce type était en pleine forme, il avait à peine la cinquantaine et semblait aller bien lorsque nous avons parlé. Et puis il est tombé subitement malade et il est mort. Cette histoire aussi m’a beaucoup affecté. Une ville a été détruite. Des vies. Des enfants ont été empoisonnés. Sans parler des dégâts irréversibles causés à la planète. Aujourd’hui, l’endroit est officiellement inhabitable. https://www.youtube.com/watch?v=f-5Q022Bxm0   Ce n’est pas le seul désastre environnemental que mes images ont mis en lumière. En avril dernier, j’ai photographié la partie abandonnée d’un parc Disney World en Floride. Ils m’ont banni à vie de leurs parcs et ont menacé de me poursuivre si je ne retirais pas les images. C’est une entreprise qui pèse des milliards et ils ont débarrassé le plancher en laissant leurs ordures pourrir en pleine nature. Ils auraient pu choisir d’en faire une réserve naturelle, ou de démanteler le parc proprement. Mais non. Le plus terrible, c’est qu’après que mes images sont devenues virales et que Disney a tenté d’étouffer l’affaire, des tragédies sont arrivées. Un enfant est mort, attaqué par un alligator. Je les avais vus rôder dans les parages. La zone étant laissée à l’abandon et sans surveillance, les alligators y ont proliféré. À deux pas des hôtels. Et le mois dernier, le virus Zika a commencé à se répandre dans certaines parties de Miami. Sur mes images, on peut voir un gigantesque bassin rempli d’eau stagnante et poisseuse. Peu après l’annonce des premiers cas du virus, Disney a envoyé une équipe sur place pour vider le bassin et l’assécher. Je pense que si mes images n’avaient pas tourné autant sur les réseaux sociaux, Disney n’aurait rien fait pour arranger la situation.

Mais j’ai publié les images sur Instagram et les gens et les médias les ont contactés. Un journaliste de BBC News m’a confié qu’il n’avait jamais contacté une grande entreprise avec tant d’obstination sans recevoir la moindre réponse, ni au sujet du parc abandonné, ni sur le fait qu’ils m’aient banni à vie. Ils ne savent pas quoi dire. Peut-être vont-ils faire en sorte de réparer leurs méfaits d’ici les prochains mois, espérons. Quoi qu’il en soit, c’est motivant de savoir que mon travail peut avoir ce genre d’impact. Si grâce aux réseaux sociaux, mes images ont un véritable impact social, c’est un grand truc.


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’entretien de Mathilde Obert. Couverture : Seph Lawless dans une maison abandonnée. (Seph Lawless)


COMMENT J’AI INSPIRÉ TONY STARK

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John Underkoffler n’a pas seulement imaginé les ordinateurs de Minority Report et Iron Man, il les a créés. Il entend bien révolutionner notre utilisation de l’informatique.

Les propos ayant servi à réaliser cette histoire ont été recueillis par Clémence Postis au cours d’un entretien avec John Underkoffler. Les mots qui suivent sont les siens. L’informatique m’a fasciné très jeune. Quand j’étais au collège, mon professeur de mathématiques a apporté en classe quelques modèles du TRS-80 de Radio Shack. J’ai passé toute une partie de mon été avec lui, à expérimenter leurs atouts pédagogiques et à chercher ce qu’ils pouvaient apporter de plus dans l’enseignement. À la même époque, mon oncle avait un ami, un excentrique complètement fou de radio. C’était un amateur, mais son toit était recouvert d’antennes gigantesques et il avait chez lui une pièce entière remplie de radios et d’ordinateurs. C’était assez impressionnant et ce fut une grande source d’inspiration. Et puis, à la toute fin des années 1970, ma famille a acheté un Apple II Plus, une machine extraordinaire. Elle était si simple, faite d’un seul bloc, vous pouviez tout apprendre, tout comprendre de son fonctionnement, interne comme externe. Tout comprendre de son langage, de son électronique… C’était une invitation à la découverte. Il n’y avait aucun logiciel préinstallé contrairement aux ordinateurs actuels, tout était à faire et à expérimenter. Je débutais complètement, mais j’ai installé toutes sortes de programmes, des jeux, des logiciels musicaux… J’ai vraiment assisté à la naissance d’un nouveau média.

John Underkoffler présente son interface utilisateurCrédits : TED

John Underkoffler présente son interface utilisateur
Crédits : TED

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