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BioBot 1

Le BioBot 1 se présente comme une imprimante 3D classique. C’est un cube blanc au design minimaliste, percé d’ouvertures sur trois côtés qui permettent d’accéder aux extrudeuses. « Il ressemble à un appareil traditionnel, avec une tête d’impression qui se déplace sur trois axes : x, y et z », explique Cabrera. À l’intérieur des extrudeuses se trouvent des seringues remplies de ce qu’ils appellent la bioink, l’ « encre biologique » avec laquelle sont imprimés les tissus. Il s’agit d’une combinaison de cellules vivantes d’origine humaine ou animale contenues dans un biomatériau. « Admettons que vous vouliez imprimer de la peau », dit-il. « Dans ce cas précis, le biomatériau sera du collagène. Votre bioink sera donc une mixture de collagène et de cellules. » L’imprimante utilise ensuite la pression pour extraire le mélange de la pointe de l’extrudeuse. L’encre biologique régurgitée ressemble à de la glu qui, si elle n’est pas transformée, se répandra sur la surface de la boîte de Petri. « Dans le cas d’une imprimante 3D classique, on utilise de hautes températures pour faire fondre le plastique. Une fois à l’air libre, il refroidit et revient à l’état solide », poursuit Cabrera. Dans le cas de la bio-impression, cette méthode ne fonctionne pas car elle tuerait les cellules. « L’autre option, c’est d’utiliser des radiations UV à haute intensité. Mais là encore, ce serait désastreux pour les cellules. »

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Une première création basique
Crédits : BioBots

L’équipe de BioBots a donc développé un processus utilisant de la lumière visible – les ultraviolets sont situés hors du spectre lumineux visible. Il s’agit d’une lumière bleue qui s’allume dès que l’encre biologique quitte l’extrudeuse. Cette technique permet de solidifier le biomatériau utilisé sans endommager les cellules vivantes qu’il contient. « Nous avons élaboré différentes bioinks qui peuvent être combinées. Elles s’apparentent aux cartouches de couleur que vous avez chez vous. » À ceci près qu’elles sont faites à base de gélatine, de calcium, de thermoplastiques ou de sodium qui correspondent aux besoins spécifiques des chercheurs.  Un BioBot 1 coûte 10 000 dollars et les bioinks jusqu’à 200 dollars le gramme pour certaines. « C’est principalement un outil de recherche pour le moment », explique Cabrera. Utilisée par une poignée de laboratoires universitaires et d’entreprises médicales privées, l’imprimante de BioBots vise néanmoins à se démocratiser dans un avenir proche. « Notre invention pourrait sauver des centaines de millions de vies », affirme l’entrepreneur. Le panel d’applications possibles est impressionnant. Et il n’est pas le seul à le dire.

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« Faisons un bond dans l’avenir, nous sommes en 2056 », commence le Dr Samuel Wadsworth sur la scène du TEDx de Vancouver, au Canada. Spécialiste en biotechnologie et cofondateur d’Aspect Biosystems, une firme canadienne concurrente de BioBots, Wadsworth est venu parler à un public attentif des promesses de la bio-impression 3D. « J’ai 79 ans, à présent, et je ne me sens pas très bien ces derniers temps. Je suis anormalement fatigué après ma partie quotidienne de space tennis. Ça m’inquiète, donc j’en parle à mon RoboDoc. Après m’avoir scanné de haut en bas, il me dit que j’ai une fibrose pulmonaire. Si je ne fais rien, je serai mort d’ici quatre ou cinq ans. La transplantation du poumon est la seule solution pour me soigner. Mais je n’aurai pas à attendre un donneur providentiel, car voilà ce qu’il se passera en 2056… »

À terme, cette méthode pourrait mettre fin aux essais pré-cliniques sur les animaux.

En 2056, on prélèvera des cellules sur le Dr Wadsworth lui-même, par une prise de sang ou une biopsie de peau. Transférées dans un laboratoire, les cellules seront cultivées et transformées en cellules pulmonaires. Ces dernières seront alors injectées dans une encre biologique dont une bio-imprimante 3D se servira pour fabriquer une structure en forme de poumon. Après quelques semaines de maturation dans un environnement adapté, le poumon artificiellement créé sera prêt à être transplanté à l’intérieur du corps du docteur, pour remplacer son organe malade. Le processus n’aura pris que quelques mois et l’opération ne souffrira d’aucune possibilité de rejet.

Ce futur n’est pas si lointain. BioBots s’est amusé récemment à un imprimer un nez et une oreille avec son instrument. Au MIT, la chercheuse Jennifer Lewis et son équipe travaillent depuis 2014 à la fabrication de vaisseaux sanguins artificiels, dont les plus petits ont un diamètre de 75 µm. En Suède, les Instituts nationaux de la santé (NIH) ont créé à la fin de l’année 2015 des cordes vocales imprimées en 3D – les premiers résultats sont très encourageants. À terme, cette méthode pourrait également mettre fin à l’une des afflictions les plus tenaces de la médecine : les essais pré-cliniques sur les animaux. Tester nos médicaments sur des tissus biologiques fabriqués plutôt que sur des spécimens vivants permettrait à la fois d’en finir avec la cruauté animale et d’améliorer considérablement les résultats des tests. Notre organisme étant très différent de celui des souris, il arrive fréquemment que des essais pré-cliniques réussis soient suivis d’un échec une fois les produits testés sur l’homme. « Dans 30 ou 40 ans », conclut Sam Wadsworth, « vous marcherez peut-être dans la rue avec des chaussures en cuir véganes bio-imprimées… Mais ce que je peux vous garantir, c’est que dans quelques années à peine, vous pourrez être soignés avec des médicaments qui auront été testés intégralement sur des tissus biologiques imprimés en 3D. » Le public l’applaudit à tout rompre.

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Sam Wadsworth sur scène
Crédits : TEDx

That Escalated Quickly

Danny Cabrera a confiance en l’avenir. Les bénéfices de son invention, médicaux comme financiers, se font déjà sentir. En septembre 2015, BioBots n’a pas seulement sorti son BioBot 1. La start-up a annoncé une levée de fonds d’1,25 millions de dollars auprès d’investisseurs réputés comme DreamIt Ventures et 500 Startups. Lorsque l’on se met à lui parler de ses levées de fonds successives, il commence à répondre de façon très détendu, mais sa RP vient opportunément lui signaler qu’il est l’heure de se rendre à un autre rendez-vous. Avant de nous quitter, il prend le temps de répondre à une dernière question. « Je pense que la bio-impression 3D n’est qu’une pièce d’un puzzle plus grand », dit-il. « Il s’agit d’une toute nouvelle façon de faire de la biologie, qui dans son ensemble est conçue pour travailler en 2D. Il va falloir changer tout notre environnement de travail. On imagine de grandes salles avec peu d’équipement, au contraire d’aujourd’hui », dit-il. Soudain, le complexe à la fois vaste et confiné dans lequel évoluent les bioingénieurs de Westworld ne semble plus aussi vide et aléatoirement agencé. On se prend à imaginer que d’ici quelques décennies, les bio-imprimantes seront capables de fabriquer des corps entiers faits d’os, de chair et de sang. Un processus mêlant conception, impression et maturation. Ce véhicule serait autrement plus parfait pour abriter une intelligence (quelle qu’elle soit) qu’un corps faits de câbles et d’acier. « Nous serons capables de recréer la vie, sans aucun doute », assure-t-il. « Et pas seulement la vie humaine. On parle de toute la biologie : de n’importe quelle créature vivante. Tout comme dans Westworld. » Sur ces mots, Danny Cabrera se lève, me salue et s’en va en souriant.

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Un jour, cette oreille sera peut-être attachée à un corps entièrement imprimé en 3D
Crédits : BioBots


Couverture : Un laboratoire équipé de bio-imprimantes BioBot 1. (BioBots)


LE MILLIONNAIRE QUI VEUT QUE VOUS VIVIEZ PLUS LONGTEMPS

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Pionnier du séquençage du génome humain, Craig Venter est passé dans l’ère de la biotechnologie. Ce qu’il veut : vous faire vivre mieux et plus longtemps.

À l’aube de son 69e anniversaire, c’est d’un œil amusé que Craig Venter observe son double numérique se balancer d’un pied sur l’autre. Avec sa barbe blanche, son jeans et son t-shirt gris à col en V, l’avatar de Venter est la grande star d’une application pour iPad dont Scott Skellenger, responsable du service informatique, me fait la démonstration. L’archétype miniature de Venter peut même marcher, voire danser à la demande. Nous nous trouvons alors dans son imposant bureau de San Diego en compagnie de Heather, son épouse et agent de publicité. Avec humour, Venter m’explique qu’il voulait à l’origine pouvoir extraire le cœur de son avatar « à la manière aztèque », ou encore lui prélever le cerveau pour inspection… et introspection. Au lieu de cela, le mini-Venter qui gigote dans l’application est entouré d’options arrangées en un véritable système solaire : images en coupe du cerveau, connectivité et anatomie, artères intracrâniennes… J’étudie un scan de ses hanches et de sa colonne vertébrale puis inspecte l’intérieur de son crâne. Des couleurs mettent en avant les différentes sections de son cerveau et j’en distingue clairement les substances blanches et grises. « J’ai le cerveau d’un homme de 44 ans », me dit-il. Un autre tap sur l’écran et me voilà qui examine son génome – retraçant ses origines jusqu’au Royaume-Uni –, sa démarche et même ses empreintes de pieds, saisies pour la postérité par un sol intelligent. Craig Venter, le plus grand entrepreneur en biotechnologie de la planète, décomposé en format binaire.

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L’application Health Nucleus
Crédits : HLI

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