Développement nucléaire

Au nord-ouest de l’Arabie saoudite, au milieu des dunes de sable, les radars américains ont détecté une étrange installation. D’après un article publié par le Wall Street Journal début août 2020, elle fait partie d’un programme d’extraction d’uranium saoudien, réalisé en partenariat avec la Chine. C’est la première étape de l’enrichissement d’uranium qui permet le fonctionnement d’un réacteur nucléaire, ou d’une bombe atomique.

Si l’Arabie saoudite est en train de construire son premier réacteur de recherche pour la science et la technologie dans la Ville du roi Adbulaziz, les agences de renseignement américaines craignent que ses visées soient plus militaires que civiles. Mercredi 5 août, le ministère des Affaires étrangères des États-Unis avertissait d’ailleurs Riyad des « dangers » que représentent les partenariats avec la Chine en matière nucléaire. « Nous encourageons fermement nos partenaires à ne travailler qu’avec des fournisseurs de confiance, qui ont des standards de non-prolifération stricts », ajoutait le ministère.

Image du 27 mai montrant, en haut à droite, deux bâtiments carrés qui pourraient être une installation nucléaire saoudienne

À la tête de l’Institute for Science and International Security, David Albright s’intéresse justement à la prolifération nucléaire. Au terme d’une analyse des images satellites du nouveau site saoudien, construit entre 2013 et 2018, il a publié un rapport dans lequel cette installation est décrite comme suspecte. D’abord, elle est isolée dans le désert et difficile d’accès. Ensuite, des images satellites de 2014 montraient quatre grandes grues capables de déplacer du matériel lourd.

Sur des clichés de mars et mai dernier, on pouvait voir qu’un toit avait été construit au-dessus du réacteur, ce qui a alarmé l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cette dernière n’a toujours pas été autorisée à surveiller le site et à inspecter la conception du réacteur. Selon Albright, les bâtiments ressemblent aux installations iraniennes de conversion d’uranium, qui ont été élaborées avec l’aide de Pékin à Ispahan. Celles-ci sont au cœur des ambitions nucléaires de l’Iran et elles inquiètent particulièrement Riyad.

Les autorités saoudiennes n’ont jamais caché leur détermination à suivre le rythme de Téhéran dans la course à la bombe nucléaire. Le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) a déclaré publiquement en 2018 son intention de poursuivre le développement d’armes nucléaires tant que l’Iran irait en ce sens. Or pour Mycle Schneider, militant antinucléaire et consultant dans les domaines de l’énergie et de la politique nucléaire, une « centrale nucléaire dans un pays représente pour l’ennemi une arme nucléaire pré-déployée ». La course paraît donc bien lancée.

Inspection

Les ambitions nucléaires de l’Arabie saoudite remontent au moins à 2006. À cette époque, le royaume commençait à s’intéresser à l’énergie nucléaire dans le cadre d’un programme conjoint avec d’autres membres du Conseil de coopération du Golfe. Riyad a ensuite intégré ses plans nucléaires dans le projet « Vision 2030 » de MBS pour diversifier l’économie du pays et atténuer sa dépendance au pétrole. Et puis la Chine a décidé de lui donner un coup de main.

Officiellement, Pékin aide Riyad a développer des projets de nucléaire civil. Mais selon des responsables du renseignement américains cités par le New York Times, l’Arabie saoudite travaille sur la transformation d’uranium brut sous une forme qui pourrait servir de carburant pour des armes nucléaires. Contrairement aux Émirats arabes unis, les Saoudiens ont toujours refusé de s’engager à ne jamais construire de carburant nucléaire, susceptible d’alimenter des bombes. Washington aimerait les y contraindre, mais les négociations sont bloquées depuis un an. Autrement dit, les Saoudiens se sont tournés vers la Chine et ont rompu avec les États-Unis.

Selon Paul Dorfman, chercheur à l’University College de Londres et fondateur du Nuclear Consulting Group, l’Arabie saoudite n’a pas d’intérêt à développer une centrale nucléaire. « Les énergies renouvelables représentent peut-être entre un cinquième et un septième du coût du nucléaire », compare-t-il. « Il n’y a pas de politique économique ou énergétique ou de raisons industrielles pour construire une centrale nucléaire », abonde Mycle Schneider. « Si des pays décident quand même de construire une centrale, alors il va falloir discuter des raisons derrière ces projets. »

Riyad continue de prétendre que ses ambitions sont civiles, sans toutefois fermer la porte aux armes nucléaires. La course à l’armement avec l’Iran, les négociations bloquées avec les États-Unis et les relations croissantes avec la Chine, laissent plutôt penser qu’elle est en train de mettre le pied dans la porte.


Couverture : US Air Force