Une clé USB ?

La cigarette électronique Juul est arrivée en Europe, et plus précisément au Royaume-Uni, le 10 août dernier. Non sans avoir au préalable capté près de 70 % du marché aux États-Unis, où elle a été lancée en 2015, et où l’on ne dit plus tellement « vapoter » mais « juuler ».

Son fabricant, Juul Labs, a réalisé un chiffre d’affaires de 245 millions de dollars en 2017, soit une augmentation de plus de 300 % en un an selon le média en ligne Axios, et il pourrait réaliser un chiffre d’affaires de 940 millions de dollars en 2018. De quoi attiser les jalousies et interpeller sur le produit proposé.

Le secret de son succès se trouve sans doute dans son originalité. Contrairement aux autres cigarettes électroniques, Juul contient systématiquement de la nicotine. Elle fait moins de fumée et l’odeur des recharges peut être confondue avec les effluves d’une lotion pour le corps.

En forme de clef USB, Juul apparaît en outre comme un objet à la fois discret et « branché ». Ce n’est pas un hasard si les fondateurs de Juul Labs, Adam Bowen et James Monsees, sont deux diplômés en design de l’université de Stanford. Mais il semblerait qu’ils soient au moins aussi doués en marketing qu’en design.

S’ils se concentrent aujourd’hui sur des témoignages reconnaissants d’anciens fumeurs, ils ont d’abord associé leur produit aux mêmes idées que les fabricants de cigarettes en leur temps : la relaxation, la convivialité, la liberté, le sex appeal. Et contrairement à eux, ils ont pu avoir recours aux réseaux sociaux.

« En plus de Twitter, Juul a été fortement commercialisé et promu sur Instagram et YouTube », notent en effet les auteurs d’une étude publiée dans le journal scientifique Tobacco Control le 8 mai dernier. « Le compte officiel de Juul sur Instagram, par exemple, a utilisé une variété de stratégies de marketing et de promotion et fidélisé ses abonnés. »

L’ancienne forme des pubs Juul

Résultat, les adolescents et les jeunes adultes raffolent de Juul. Ils se filment et se photographient en train de juuler, et partagent à leur tour ces images sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram.

Les experts en santé américains craignent donc que Juul n’incite les plus jeunes à fumer et ne les rende accros à la nicotine. Milagros Vascones-Gatski, par exemple, estime que cette cigarette électronique « va devenir le problème de santé de la décennie ».

Des écoles américaines ont quant à elles banni les clés USB de leurs enceintes pour éviter la confusion avec les cigarettes électroniques de Juul Labs, et ainsi tenter d’endiguer leur propagation.

Le dieu de la vape

Reste que Juul  Labs n’est pas seul responsable de l’engouement des jeunes pour les cigarettes électroniques. En janvier 2017, le rappeur Drake partage sur son compte Instagram, qui est suivi par plus de 45 millions de personnes, la vidéo d’un jeune homme recrachant la vapeur de sa cigarette électronique au centre d’un cercle de vapeur parfaitement rond.

Ce jeune homme, c’est Austin Lawrence. Il a 21 ans. Austin Lawrence a commencé à vapoter lorsqu’il a arrêté de fumer, en 2014. Il trafique ses cigarettes électroniques et maîtrise leur vapeur comme personne, enchaînant des figures toutes plus surréalistes les unes que les autres : lassos, tornades, cascades, spirales, boucles, etc.

Mais pour y parvenir, il s’impose une discipline de fer : trois à quatre heures d’entraînement chaque matin avant d’ouvrir sa boutique dédiée au monde de la vape dans le centre-ville de New Brunswick, Vertigo Vaporium, qu’il a fondée en novembre 2015.

Quand il se rend compte que Drake a partagé une de ses vidéos sur Instagram, il trouve le courage de lui envoyer un message privé. Et le rappeur lui répond. Il n’a jamais vu d’appareils semblables à ceux qu’Austin Lawrence utilise et il lui demande s’il pourrait lui en filer un.

Puis il l’invite à venir le voir à Calabasas, l’étrange ville-forteresse de Californie qui a détrôné Beverly Hills dans le cœur des stars. Austin Lawrence accepte avec enthousiasme, et passe plusieurs heures à vapoter avec Drake dans son manoir.

Le rappeur est loin d’être la seule célébrité à vapoter. Leonardo DiCaprio, Johnny Depp, Bruno Mars, Paris Hilton, Samuel L. Jackson, Jack Black, Zayn Malik, Lindsay Lohan, Katy Perry, Kate Moss et Robert Pattinson se sont tous affichés avec une cigarette électronique. Elles apparaissent d’ailleurs de plus en plus en souvent dans les films et les clips musicaux. La cigarette électronique Elite Gold, de Kandypens, apparaît par exemple dans le clip de « I’m the one » de DJ Khaled.

Crédits : Austin Lawrence

Mais c’est grâce à Drake qu’Austin Lawrence est aujourd’hui surnommé Vape God – « le dieu de la vape ». Sa boutique n’existe plus qu’en ligne et son compte Instagram, qui regorge toujours de prouesses vaporeuses, est suivi par deux millions de personnes.

C’est beaucoup, surtout si l’on compare ce compte à ceux des autres artistes de la vape présents sur la célèbre plateforme de partage d’images, tels que celui d’Isaac Perez, qui réunit tout de même une centaine de milliers d’abonnés.

Les macrophages

Or l’addiction à la nicotine n’est pas le seul risque que prennent les amateurs de cigarettes électroniques, à en croire une étude menée par l’université de Birmingham et publiée dans le journal scientifique Thorax le 11 juin dernier.

Elle montre en effet que les liquides qu’ils utilisent affectent la capacité du système immunitaire à nettoyer les poumons, et donc d’empêcher l’accumulation de produits chimiques nocifs, augmentant ainsi le risque de développer une maladie pulmonaire.

Crédits : Sebastiaan Stam

Pour cette étude, les chercheurs ont testé les effets des liquides de cigarettes électroniques, avant et après leur vaporisation et avec ou sans nicotine, sur des cellules pulmonaires saines extraites de volontaires n’ayant jamais fumé de leur vie.

Ils se sont plus précisément concentrés sur l’impact de ces liquides sur les macrophages alvéolaires, des globules blancs cruciaux qui patrouillent dans les alvéoles du poumon, détruisent toute particule susceptible de lui nuire et engloutissent les bactéries.

Et il se trouve qu’après 24 heures d’exposition aux différents types de liquide, le nombre de macrophages capables de fonctionner avait significativement diminué. Ces macrophages étaient en outre moins à même d’engloutir les bactéries, un processus appelé phagocytose dont le ralentissement pourrait entraîner des infections pulmonaires à répétition.

Crédits : Journey Yang

« Fait important, l’exposition des macrophages au liquide vaporisé a induit plusieurs des mêmes changements cellulaires et fonctionnels dans la fonction des macrophages alvéolaires observés chez les fumeurs de cigarettes et les patients atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive », soulignent les chercheurs.

Quel que soit leur niveau de concentration, le liquide vaporisé et le liquide condensé se sont révélés plus toxiques que sous leur forme « non-vapotée ». Ils ont provoqué la mort cellulaire et la nécrose à des niveaux de concentration plus faibles. Ils ont également provoqué une augmentation des taux de radicaux libres oxydants et de produits chimiques connus pour causer une inflammation des poumons, ce qui pourrait, sur le long-terme, causer des maladies chroniques.

Et donne une raison supplémentaire aux chercheurs de conclure de la sorte : « Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour comprendre pleinement les effets de l’exposition à la cigarette électronique chez l’homme in vivo, nous mettons en garde contre l’opinion largement répandue selon laquelle les cigarettes électroniques sont sûres. »

Jusqu’à maintenant interdite en France, Juul n’a plus que la Manche à traverser pour atteindre le marché hexagonal.


Couverture : wild vibez.