Le 16 décembre 2018 avait lieu un anniversaire un peu particulier. Un an plus tôt, le New York Times révélait l’existence d’un programme à long-terme du département de la Défense américain – plus connu sous le nom de Pentagone – sur l’étude des OVNI. Certaines des découvertes troublantes présentées dans l’article ont été soufflées au journal par le haut gradé du renseignement américain à la tête de ce programme, Luis Elizondo.

Ce même Elizondo s’est assis face au légendaire journaliste de Las Vegas George Knapp – plus d’une douzaine d’Emmy Awards au compteur – le 14 décembre dernier, pour faire le point sur l’année passée et les révélations à venir. Et à en croire l’intéressé, elles sont nombreuses. « Je pense que nous réalisons bien mieux aujourd’hui à quel point le département de la Défense s’intéresse aux phénomènes ovnis », dit-il les yeux plantés dans ceux de son interlocuteur, casquette noire vissée sur le crâne. « Je pense que les gens seront surpris de voir à quelle fréquence et quel volume ces phénomènes sont enregistrés et observés par des militaires en missions, tout autour du monde. »

#ICYMI

L’image elle-même est intrigante. En noir et blanc, mal cadrée, située à Passoria, dans le New Jersey, et datée du 31 juillet 1952, elle montre des arbres et des câbles électriques, certainement en bordure d’une route ou d’un jardin ; et dans le ciel, l’un de ces objets volants non-identifiés, plus connus sous leur acronyme : OVNI. Mais le plus intrigant réside sans doute dans le fait que cette image a été postée sur Twitter par la CIA, le 28 décembre dernier.

La célèbre agence de renseignement américaine l’accompagne d’un autre acronyme, ICYMI, c’est-à-dire « In Case You Missed It », formule utilisée en fin d’année par les médias pour partager de nouveau leurs contenus phares. Elle l’accompagne également d’une question, « Essayez-vous de photographier un OVNI ? », ainsi que d’un lien renvoyant vers son propre site Internet, et plus précisément vers des tutoriels qui expliquent justement comment photographier un ovni. Pour l’agence, il faut avant tout faire la mise au point de son appareil sur l’infini, prendre plusieurs clichés, ne pas bouger, et ne pas oublier de photographier son environnement. « Cette photographie est très précieuse pour l’analyse de l’OVNI que vous venez de photographier », précise-t-elle en effet. 

https://twitter.com/CIA/status/946460240370843648 Ces tutoriels, tout comme la photographie supposément prise à Passoria le 31 juillet 1952, font partie des 12 millions de pages de documents déclassifiés publiées par la CIA le 17 janvier 2017. On apprenait alors que 1 500 rapports concernant des apparitions d’ovnis avaient été rédigés par l’agence de renseignement américaine entre le moment de sa création en 1947 et le début des années 1990. 20 % de ces apparitions ont été qualifiées de « non-expliquées ».

L’une d’elles s’est produite en juin 1966, à la frontière de l’Iran et de l’ex-URSS. « Nous avons tout à coup observé une sphère blanche et brillante, dont la couleur et l’intensité rappelait celle de la Lune », raconte un témoin cité par la CIA. « La sphère est arrivée  soudainement et la première apparition était environ trois fois plus grosse qu’une pleine Lune. » La publication des rapports concernant des apparitions d’ovnis n’ont bien évidemment pas mis un terme aux théories conspirationnistes engendrées par le phénomène.

Comme l’écrit l’historien Gerald K. Haines dans le magazine interne de la CIA, Studies in Intelligence, « le problème des ovnis ne se résoudra vraisemblablement pas de sitôt, peu importe ce que l’agence fait ou dit ». « La conviction selon laquelle nous ne sommes pas seuls dans l’univers est trop attrayante d’un point de vue émotionnelle, et la méfiance envers notre gouvernement trop omniprésente pour soumettre le problème aux notions scientifiques traditionnelles d’explication rationnelle et de preuve », explique-t-il.

Mais pourquoi la CIA a-t-elle pris le risque d’aviver les théories conspirationnistes en postant un cliché d’OVNI et en renvoyant vers ses tutoriels de photographie spécialisée le 28 décembre dernier ? Était-ce une manière de rappeler au monde qu’elle avait fait preuve de transparence en publiant ses rapports, et donc de se démarquer du Pentagone, qui, nous le savions depuis peu, a financé un programme de surveillance et de recherche sur les ovnis dans le plus grand secret entre 2007 et 2012 ?

L’Advanced Aviation Threat Identification Program

L’existence de l’Advanced Aviation Threat Identification Program (ou « programme d’identification d’une menace liée à l’aviation avancée ») a été révélée par une enquête du New York Times publiée le 16 décembre dernier. Ce programme de surveillance et de recherche sur les ovnis a été financé par le Pentagone à hauteur de 22 millions de dollars par an entre 2007 et 2012, à la demande de l’ancien sénateur démocrate du Nevada Harry Reid, qui n’a jamais caché son intérêt pour le sujet. « Je ne suis pas embarrassé, honteux ou désolé d’avoir mis cela sur pieds », dit-il. « Je pense même que c’est une des bonnes choses que j’ai faites durant mon mandat. Quelque chose que personne n’avait fait auparavant. »

Une capture d’écran de la vidéo révélée en décembre

Mais c’est un spécialiste de l’intelligence militaire, Luis Elizondo, qui dirigeait l’Advanced Aviation Threat Identification Program, dans des bureaux situés au 5e étage du Pentagone. L’essentiel des sommes allouées au programme auraient quant à elles été versées à Bigelow Aerospace, entreprise du milliardaire Robert Bigelow qui collabore actuellement avec la NASA sur la mise au point de modules habitables gonflables pour les astronautes. Proche d’Harry Reid, ce dernier n’a pas hésité à déclarer sur la chaîne de télévision CBS qu’ « il y a eu et [qu’] il y a encore une présence extraterrestre sur Terre » en février 2017. « J’ai dépensé des millions et des millions sur cette question, sans doute plus que n’importe qui aux États-Unis », se vantait-il alors. Cette générosité explique en partie pourquoi – et comment – la fin des financements publics spécifiques n’a pas signifié la fin des recherches sur les ovnis dans le pays.

Luis Elizondo dit d’ailleurs avoir continué à travailler en étroite collaboration avec des responsables de la CIA et de la Navy après 2012. De son côté, le Pentagone, tout en confirmant que l’Advanced Aviation Threat Identification Program a été interrompu en 2012, laisse entendre que la surveillance et la recherche sur les ovnis se poursuivent sous d’autres formes. « Le département de la Défense prend au sérieux toutes les menaces potentielles à l’encontre de notre population, de nos intérêts et de nos missions. Et nous prenons les mesures nécessaires dès lors qu’apparaissent des informations crédibles », explique en effet sa porte-parole, Laura Ochoa. Mais Luis Elizondo, qui travaille maintenant au sein de To the Stars Academy of Arts and Science, centre de recherche privé fondé par l’ancien chanteur de pop-punk Blink-182, Tom DeLonge, a quitté le Pentagone le 4 octobre dernier, pour protester contre les rivalités internes et la culture du secret qui règnent au sein du département.

Une culture du secret parfaitement assumée par Harry Reid, qui a même demandé au secrétaire adjoint à la Défense William Lynn III de relever le niveau de confidentialité du programme en 2009. « De grands progrès ont été accomplis concernant l’identification de plusieurs phénomènes aérospatiaux non conventionnels hautement sensibles », écrivait-il alors, pour justifier son souhait de réserver l’accès au programme à un cercle restreint. La même année, dans un mémo adressé à la direction du Pentagone, Luis Elizondo écrivait que « ce que nous considérions comme de la science-fiction [était] désormais un fait scientifique », ajoutant que les États-Unis seraient incapables de se défendre contre les technologies découvertes par l’Advanced Aviation Threat Identification Program. Bien plus récemment, le 19 décembre dernier, il a affirmé à la chaîne de télévision CNN que « ces aéronefs ne disposent pas de caractéristiques répertoriées par les États-Unis ou par des pays étrangers ». « Nous ne sommes pas seuls », en conclut-il.

Les États-Unis ne sont en tout cas pas la seule nation à surveiller les ovnis de très près.

Luis Elizondo
Crédits : To The Stars

Geipan

En France, l’organisme chargé de surveiller les ovnis est le Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non-identifiés (Geipan). Il dépend du Centre national d’études spatiales (Cnes). Et son directeur, Jean-Paul Aguttes, ne comprend pas pourquoi l’enquête du New York Times a fait tant de bruit. « Il est normal que la Défense enquête sur les choses inconnues auxquelles sont confrontés les pilotes américains, et ce sans chercher spécialement des extraterrestres », dit-il. « Nous ne travaillons pas qu’avec la Défense. Nous analysons des anomalies observées pour la majorité par l’homme de la rue. » Mais contrairement à la Défense américaine, la Défense française mène son enquête au grand jour. C’est du moins ce que laissent supposer les données du Geipan qui, contrairement à celles de la CIA et du Pentagone, ont de tous temps été des données publiques.

Depuis sa création en 1977, l’organisme a étudié 2 687 cas. Seuls 9 % d’entre eux n’ont pas été expliqués. Cela représente 200 cas – classés « D »,  et tous accessibles sur le site du Geipan. On trouve ainsi l’exemple d’un OVNI observé à Saint-Zacharie, dans le Var, le 12 janvier 2015 à 7 heures du matin : « Un témoin est intrigué par une lumière diffuse qu’il voit à travers une porte vitrée de son domicile. Sortant sur sa terrasse, il se retrouve à quelques mètres d’un phénomène aérospatial (PAN) venant sans bruit dans sa direction. Une lumière blanche non aveuglante est disposée à l’avant de ce dernier. Le PAN circule à allure lente entre les mobil-homes rapprochés. Le témoin contourne son logement et se retrouve face au flanc droit du PAN sur lequel un “logo” jaune et rouge est visible. Le témoin “perd la notion du temps” alors que le PAN continue sa trajectoire (…), s’incline puis prend de la vitesse et de l’altitude avant de disparaître au-dessus des arbres. »

Un des documents photographiques du Geipan
Crédits : Cnes

« L’observation est étrange car il s’agit d’un phénomène ayant une apparence assez peu banale à une heure très matinale de la nuit et dans un lieu très isolé », souligne le Geipan. « Ses caractéristiques en termes de vitesse, de taille, de forme, ne présentent pas d’aspects “hors du commun”, il pourrait de ce point de vue-là s’agir d’un ballon gonflable publicitaire. Mais la trajectoire, pour le moins chanceuse car frôlant des obstacles est étonnante. Il aurait fallu qu’il échappe à son propriétaire, et surtout que ferait-il là loin de tout enjeu publicitaire ? Il n’est pas possible de valider une telle hypothèse. La consistance du témoignage est bonne, bien que ne relevant que d’un seul témoin. Cette unicité du témoignage et l’absence de photos placent le niveau de consistance au juste minimum pour valider le caractère étrange et inexpliqué de l’observation », conclut l’organisme.

Pour mener l’enquête, il commence toujours par interroger le témoin à distance, puis par vérifier, notamment avec des outils informatiques, les causes possibles du PAN. « Google Street View est formidable », selon Jean-Paul Aguttes. « Si un témoin a observé quelque chose par sa fenêtre, on peut repérer où il regarde, quel était son angle de vision par rapport au décor. On peut ensuite recouper cela avec d’autres outils permettant d’analyser le passage des avions, les conditions météorologiques, les astres, le sens du vent. » Ce même logiciel est souvent utilisé par les ufologues amateurs, mais comme le confirmait à Ulyces l’éminent astronome américain Seth Shostak en avril 2017, « il est impossible de prendre au sérieux aucun des ufologues qui trouvent des ovnis et autres “preuves” de vie extraterrestres sur Google Earth à tout bout de champ ».

Quid des ufologues qui siègent dans les agences de renseignement américaines ?


Couverture : Le Pentagone. (Softpedia/Ulyces)