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Réponse à tout

GiveWell est une organisation à but non lucratif fondée en 2007 par deux anciens bailleurs de fonds, Holden Karnofsky et Elie Hassenfeld. Leur idée est d’appliquer une rigueur digne d’un MBA à l’évaluation des associations caritatives. Ils font des recherches sur un nombre dément d’entre elles. Ils exigent des chiffres détaillés et des preuves du changement apporté. Sans parler des visites sont rendues aux associations sur le terrain, en Afrique et en Asie. Cette approche agressive agacent certaines associations, quand d’autres s’y prêtent volontiers. L’aspect le plus surprenant de GiveWell est peut-être leur relative indifférence vis-à-vis du salaire des CEO et des « frais généraux » élevés. Par le passé, j’aurais vérifié via un site comme Charity Navigator si les associations auxquelles je songeais « gaspillaient de l’argent ». Charity Navigator nous informe sur la part des frais généraux dans le budget. Par le passé, je me serais dit : Vous avez vu, le CEO de la Fondation contre le cancer de la prostate aux États-Unis gagne plus d’un million de dollars par an ! Ils ne verront pas la couleur de mon argent.

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Holden Karnofsky (à gauche) et Elie Hassenfeld
Crédits : Judith Pszenica

Mais GiveWell s’est bâti avec un état d’esprit business-friendly. Peut-être que ce CEO mérite son salaire, après tout ? « Quand on veut acheter un ordinateur, on ne regarde pas au préalable les salaires des PDG d’Apple ou de Dell », explique Singer, un défenseur de GiveWell. « Ce qu’on prend en compte, c’est l’efficacité de ces ordinateurs, ce qu’ils peuvent apporter à notre vie. » « C’est une question d’efficacité, pas de rendement », ajoute MacAskill. Dans son plus récent classement des associations caritatives, GiveWell recommande aux gens de donner l’intégralité de leur budget charité au profit de Against Malaria Foundation, une association de lutte contre le paludisme basée au Royaume-Unis. Elle a pour but de fournir des moustiquaires traitées à des populations comme celle du Malawi ou d’autres pays en développement. Chaque moustiquaire coûte environ 2,5 dollars et réduit considérablement la mortalité infantile.

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Deux semaines après le début de ma quête, je suis allé à une soirée où j’ai rencontré une femme qui travaille dans une association à but non lucratif. Je lui ai expliqué que je faisais des recherches sur l’altruisme efficace, m’attendant à l’impressionner par la vivacité et la pertinence de ma réflexion. « Attendez un peu », me dit-elle. « Ce sont eux qui soutiennent qu’il faudrait ne rien donner aux musées, et envoyer tous nos dons pour lutter contre le paludisme en Afrique en achetant des moustiquaires ? » « Tout à fait ! » « Je les hais tellement… » « Hum… Et pourquoi ? »

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Peter Singer, le père de l’altruisme efficace

« Ils défendent un point de vue paternaliste et colonialiste. Ce qu’ils disent, en substance, c’est : “Nous savons ce qui est bon pour les Africains”, et ils sont fiers d’eux. Ils traitent les Africains comme s’ils étaient différents des Occidentaux. Mais qu’en est-il de la culture pour les Africains ? Peut-être qu’ils sont nombreux à vouloir bâtir des centres culturels pour préserver leurs traditions, vous ne croyez pas ? Les AE sont du genre à vous répondre : “Non, tout ce dont ils ont besoin, c’est de moustiquaires.” » Hum… oui, c’est vrai qu’il y a quelque chose d’hautain dans l’altruisme efficace. Peut-être que c’est penser en imbécile condescendant. Je pose la question à MacAskill, à laquelle il répond : « C’est une critique étrange. Nous voulons en donner les moyens aux Africains, mais c’est impossible s’ils ne sont pas en bonne santé. »

Au cours de la semaine suivante, j’ai reçu un nombre étonnamment élevé de réactions semi-hostiles à l’égard de l’altruisme efficace. Parmi elles : · Mon beau-frère soutient qu’ils cherchent à quantifier ce qui ne peut pas l’être. Qui peut dire qu’une association caritative fait plus de bien qu’une autre ? C’est un genre bizarre d’ « impérialisme charitable », comme dirait un autre de leurs détracteurs. Considérons les arts : et si la découverte d’un tableau dans un musée stimulait l’esprit d’un enfant et le poussait à devenir médecin, et qui sait, à guérir le cancer de la vessie ? On ne peut pas savoir. Les défenseurs de l’AE sont d’avis qu’on peut se fier à nos jugements, même s’ils ne sont pas parfaits. Et quant à l’enfant amateur d’art qui pourrait un jour guérir le cancer de la vessie, qu’en est-il de tous ceux qui survivent grâce aux moustiquaires ? Un d’eux pourrait tout aussi bien guérir le cancer, un jour. · Une amie a ri de ma tentative de détacher l’aspect émotionnel des dons caritatifs. « Pourquoi ne pas donner à des causes qui m’émeuvent personnellement, comme la leucémie, car ma tante en est morte ? » Réponse de l’AE : nous combinons empathie et rationalité. Il s’agit d’une forme de compassion encore plus élevée. · Ma femme n’accepte pas que l’AE ne veuille donner qu’à une ou deux associations. Pourquoi ne pas disséminer la richesse et donner un peu, mais à beaucoup d’associations ? Réponse de l’AE : entre autres objections, les petites donations sont moins efficaces pour les associations, car elles créent plus de paperasse et de frais. · D’autres encore défendent le fait que le caritatif fonctionne mieux dans un système de proximité : on peut en suivre les aboutissements. Et puis, ne vaut-il pas mieux s’occuper de ce qu’il se passe devant sa porte plutôt que de voler au secours du reste du monde ? Réponse de l’AE : ce n’est pas parce qu’une personne est géographiquement distante qu’elle mérite moins de compassion. ulyces-maximumgood-05 · Vient ensuite le problème de l’auto-satisfaction. J’ai reçu un email d’une collègue m’enjoignant à acheter des cookies aux Girl Scouts. Peut-être que la raison voudrait que je lui demande en retour : « Cette troupe de filles scouts est-elle basée en Sierra Leone, sans accès à l’eau potable ? » Mais ça ne risque pas de me faire de moi quelqu’un de très populaire. Réponse de l’AE : on peut dédier une petite partie de nos donations à ce genre de causes qui créent du lien social.

Ce qu’on peut

Il y a encore un problème qui me chiffonne : comment choisir entre solutions à court terme et et solutions à long terme ? Les moustiquaires contre le paludisme peuvent bien sauver des milliers de vie sur le champ, mais un traitement unique et peu coûteux contre le paludisme ne permettrait-il pas d’en sauver des millions ? Pourquoi ne pas donner à la recherche médicale ? Ou à l’université de Californie, où le professeur Irvine travaille à modifier génétiquement les moustiques afin qu’ils ne puissent plus transmettre de maladies comme le paludisme ou le virus Zika ? J’ai posé toutes ces questions aux fondateurs de GiveWell. Ils m’ont rétorqué que le quidam lambda n’a ni le temps, ni les connaissances suffisantes pour décider quels chercheurs sont sur la bonne voie. Il y a des gens qui s’en chargent au sein des gros organismes de charité, comme à la fondation Bill & Melinda Gates. Peut-être devrais-je faire un chèque à Bill Gates, alors ? Ça devient compliqué…

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Toby Ord, fondateur de Giving What We Can
Crédits : Giving What We Can

Cela fait désormais plusieurs semaines que j’ai commencé mes recherches pour faire un maximum de bien. Ces derniers jours, je suis tenté de donner à une association de prévention de la cécité qui opère dans des pays comme le Rwanda et le Bangladesh. Elle est mentionnée sur plusieurs sites AE. Mais maintenant, j’hésite. Je crois que je penche vers la question de la cécité pour des raisons émotionnelles, et pas logiques. Les types de GiveWell paraissent intelligents, ils ont dédié leur vie professionnelle à l’examen et à la quête des meilleures associations caritatives. Pourquoi un amateur comme moi en saurait-il plus qu’eux ? Je vais plutôt les écouter et donner pour le paludisme… Mais alors, je me souviens ce que MacAskill m’a dit durant notre première discussion. Quand je lui ai demandé où mes 1 000 dollars auraient le plus d’impact, il m’a pris de court en me demandant si je pourrais faire une donation à sa propre association caritative. Car ce n’est pas une association classique. C’est une association méta-caritative, qui encourage les gens à faire des donations. MacAskill est un des fondateurs de Giving What We Can (« donner ce qu’on peut »), une association qui, entre autres choses, encourage les gens à donner au moins 10 % de leurs revenus à des bonnes œuvres pour le restant de leurs jours.

Le raisonnement derrière ce projet, c’est que l’équipe de MacAskill utilisera ces donations pour persuader d’autres bienfaiteurs potentiels à s’impliquer. Selon les données qu’il m’a présentées, envoyées dans un document Powerpoint plutôt convaincant, chaque dollar alloué à Giving What We Can en créera six en donations, versées à des causes comme la lutte contre le paludisme. De la charité démultipliée. Mais, attendez une seconde. Si je donne à une association méta-caritative, n’est-ce pas un peu trop abstrait ? Une partie de moi espère que cet article va déclencher une cascade de donations… Les lecteurs se sentiront-ils inspirés si je contribue à payer un web designer ? Et si je choisis d’adresser mes dons à l’association de lutte contre le paludisme, cela fera-t-il des émules ? Mais si je veux vraiment créer un torrent de donations, peut-être devrais-je payer un publicitaire 1 000 dollars pour me décrocher une apparition dans Good Morning America et parler de mon article sur l’altruisme efficace. ulyces-maximumgood-02 « Mouais, ça fait un peu trop intéressé », rétorque ma femme quand je lui expose l’idée. Il est clair que je pourrais passer l’année à peser le pour et le contre. Mais je dois prendre une décision. Ainsi, ce vendredi, dans mon salon, je me décide : 500 dollars iront à la Fondation américaine contre le paludisme, et 500 dollars seront partagés entre l’association méta-caritative de MacAskill et celle de Singer, The Life You Can Save. Je clique aussi sur le site de Giving What We Can, et promet de donner 10 % de mes revenus futurs. Est-ce que je m’y tiendrai ? Aucune idée. Peut-être que je devrais donner 20 %. Peut-être devrais-je donner plus que de l’argent. Ou me focaliser sur une cause en particulier. Je n’en sais rien non plus. Mais c’est un début.


Traduit de l’anglais par Gwendal Padovan d’après l’article « The Maximum Good: One Man’s Quest to Master the Art of Donating », paru dans Esquire. Couverture : A.J. Jacobs veut faire le maximum de bien. (Création graphique : Esquire/Ulyces)


J’AI TESTÉ L’HONNÊTETÉ RADICALE PENDANT UN MOIS ET, HONNÊTEMENT, C’EST DE LA MERDE

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Pendant trente jours, A.J. Jacobs a arrêté de mentir en expérimentant l’Honnêteté Radicale. Il a vécu le pire mois de sa vie.

En vérité, voilà pourquoi j’ai écrit cette histoire : Je veux honorer mon contrat avec mon patron. Je veux éviter de me faire virer. Je veux que toutes les femmes séduisantes que j’ai connues au lycée et à la fac le lisent. Je veux qu’elles soient surprises et impressionnées, et qu’elles ressentent un vague regret en repensant à la décision qu’elles ont prises de ne pas avoir de relations sexuelles avec moi, et peut-être que si je finis par divorcer ou que je deviens veuf, je pourrai enfin coucher avec elles un jour, lors d’une réunion d’anciens élèves. Je veux qu’Hollywood achète mon histoire et en fasse un film, même s’ils l’ont déjà plus ou moins fait il y a dix ans avec Jim Carrey. Je veux recevoir des courriels de félicitations et des offres de boulot que je pourrai poliment refuser. Ou accepter si elles sont alléchantes. Pour mieux recevoir une contre-proposition généreuse de la part de mon patron.

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Le Dr Blanton
Crédits : radicalhonesty.com

Pour être parfaitement honnête, j’ai regretté d’avoir fait mention de cette idée à ce dernier environ trois secondes après avoir ouvert la bouche. Car je savais que cette histoire serait super emmerdante à écrire. Bordel. J’aurais dû laisser mon collègue Tom Chiarella l’écrire. Mais je ne voulais pas paraître fainéant. Ce dont j’ai parlé à mon patron, c’est d’un mouvement appelé Honnêteté Radicale. Le mouvement a été fondé par un psychothérapeute de 66 ans du nom de Brad Blanton, qui vit en Virginie. Il affirme que nous serions tous bien plus heureux si seulement nous cessions de mentir. Dire la vérité, tout le temps. Cela semble déjà assez radical comme cela – un monde sans mensonges –, mais Blanton va plus loin. Il soutient que nous devrions nous débarrasser des filtres présents entre notre cerveau et notre bouche. Si vous le pensez, dites-le. Faites part de vos plans à votre patron pour démarrer votre propre entreprise. Si vous nourrissez des fantasmes envers la sœur de votre femme, Blanton affirme que vous devriez le dire à votre femme ainsi qu’à sa sœur. C’est le seul moyen d’entretenir des relations authentiques. C’est le seul moyen de faire reculer l’aliénation néfaste qu’engendre la modernité. Et pas question de s’étendre et de dire davantage que la vérité. Oui. Je sais. C’est l’une des idées les plus idiotes que l’homme a jamais eu, avec le Coca Vanille et la remise d’un permis de port d’armes à Phil Spector. La tromperie fait avancer le monde. Sans mensonges, les mariages voleraient en éclats, les travailleurs se feraient virer, les ego seraient brisés, les gouvernements s’effondreraient.

Et pourtant… il y a peut-être du bon là-dedans. Tout spécialement pour moi. J’ai un vrai problème avec le mensonge. Mes mensonges ne sont pas de gros mensonges. Ce ne sont pas des énormités du genre : « Je ne me rappelle pas cette réunion cruciale d’il y a deux mois, sénateur. » Les miens sont de petits mensonges. Ils ne font pas de mal. Ce sont des demi-vérités. Du genre de ceux que nous disons tous. Mais j’en raconte des dizaines chaque jour. « Oui, voyons-nous bientôt. » « J’adorerais, mais j’ai comme un début de grippe intestinale. » « Non, on n’achètera pas de jouet aujourd’hui – le magasin de jouets est fermé. » C’est mal. Peut-être que deux semaines de cure de vérité me feraient du bien.

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