Cinquante ans après le petit pas de Neil Armstrong, l’humanité se prépare sérieusement à prendre pied sur la Lune. L’Agence spatiale européenne (ESA) et ArianeGroup envisagent « une présence humaine autonome » à la surface du satellite dès 2030. Les deux géants ont en effet annoncé en janvier 2019 la signature d’un contrat visant à étudier la possibilité d’une mission avant 2025.

Dans un premier temps, le matériau nécessaire à l’installation d’un camp de robots doit être transporté à bord d’une fusée Ariane 64, afin de collecter et transformer le régolithe qui tapisse la surface du satellite. Car le plan est d’utiliser cette couche du sol lunaire pour la transformer en eau, en oxygène, en carburant, et même en matériau de construction antiradiation. David Parker, le directeur de l’exploration humaine et robotique de l’ESA, raconte comment l’Europe compte installer ses nouveaux bureaux sur la Lune d’ici 11 ans.

La fusée Ariane 64
Crédits : ArianeGroup/ESA

Qu’allez-vous faire sur la Lune ?

En forant sa surface, nous voulons collecter du régolithe afin de voir comment convertir ce matériau en eau, en oxygène ou en matériau de construction. Sur la Lune, la terre n’est pas vraiment de la terre, puisqu’elle ne contient pas de matière organique. On trouve essentiellement du régolithe sous la surface. Au cours des 50 dernières années, nous avons identifié des traces d’eau, étroitement liées à cette matière, présent principalement dans le pôle sud. Cette région se trouve en permanence dans l’ombre, ce qui signifie que moins la lumière du Soleil atteint la surface de la Lune, plus on trouve d’eau et de régolithe.

Quel intérêt y a-t-il à collecter du régolithe ?

Le premier, c’est qu’il nous permettra d’en savoir plus sur les prémices du système solaire. Par exemple, la dispersion de l’eau avant son arrivée sur Terre devrait être élucidée. Nous sommes quasiment certains que la Lune a été créée lorsqu’un objet géant, de la taille d’une planète, a frappé la Terre primitive, qui n’était à l’époque âgée que d’un milliard d’années. En d’autres termes, elle serait née de débris projetés depuis la Terre primitive et reformés dans son orbite. Il y a de bonnes chances pour que nous y trouvions des minéraux qui sont en quelque sorte les vestiges de cet impact destructeur. Très récemment, nous avons réexaminé certaines roches lunaires rapportées sur Terre par le programme Apollo (1961-1975), et nous avons découvert que l’une d’elles vient de chez nous. En allant sur la Lune, nous pouvons donc espérer en apprendre davantage sur les premières heures de la Terre.

Mais il y a une autre raison : les matériaux qui se trouvent sous la surface de notre satellite offrent la possibilité d’envisager un avenir là-bas. Pour le moment, nous devons tout ramener – l’eau, l’oxygène et les matériaux de construction – si nous voulons nous installer de manière permanente sur la Lune. Mais le régolithe a une chance de changer la donne. Est-il possible de le transformer en matériau de construction ? D’en extraire de l’eau potable et transformer cette eau en oxygène respirable ? Ou même de l’utiliser comme carburant pour nos fusées ? Cette étude menée avec Ariane Group fait partie d’une vision sur le long terme, et répondra à ces questions à travers le développement de technologies permettant une exploration durable.

Le prototype de village lunaire de l’ESA
Crédits : ESA/Foster + Partners

Quelles seraient ces technologies ?

Différentes techniques sont à l’étude. L’une d’elles implique de faire chauffer le matériau, afin de l’extraire à travers des procédés thermiques. On peut également utiliser des cellules de carburant, comme lorsqu’on utilise de l’hydrogène pour produire de l’électricité. Nous analysons également la possibilité d’utiliser des ondes, un peu comme si nous passions le sol lunaire au micro-ondes, pour le faire fondre et obtenir ainsi un matériau de construction. Enfin, nous étudions la possibilité d’exploiter l’impression 3D, en utilisant le régolithe comme matière première, pour imprimer des sortes de briques, afin de bâtir des structures sur la Lune. Chaque approche est étudiée spécifiquement par une équipe, et nous ne savons pas pour le moment quelle est la plus efficace.

Il est peu probable en revanche qu’il ait une utilité sur Terre. Le coût de transport pour ramener les matériaux serait incommensurable. Les gens rêvent d’exploitation minière sur les astéroïdes pour ramener du platine, ou des métaux précieux dont nous avons besoin pour les équipements électroniques, et qui sont très rares sur Terre. Mais pour le moment, cela ne semble pas viable économiquement, à cause des coûts de transport. Notre objectif est de nous installer de manière durable sur la Lune, pas de ramener des minéraux sur Terre.

Comment s’organiserait le travail à la surface de la Lune ?

Il faudra déjà disposer d’une quantité importante de régolithe. Pour le récolter et le transformer, des robots seront nécessaires. Cela pourrait durer des semaines, des mois, voire des années, avant qu’une installation soit prête. De cette manière, lorsque les humains arriveront, la Lune sera déjà habitable.

La future station en orbite autour de la Lune
Crédits : ESA

Nous travaillons déjà aux prochaines étapes de l’exploration : nous préparons les fusées et les véhicules spatiaux de demain. L’ESA contribue à la conception du véhicule d’Ariane qui transportera les astronautes en direction de la Lune. L’idée est d’abord de bâtir un pôle, un camp de base en orbite baptisé Lunar Gateway (la Station lunaire), dont la construction commencera dans les cinq premières années de la décennie à venir, soit entre 2020 et 2025. Nous pourrons ensuite débuter les travaux robotiques, contrôlés par les astronautes en orbite au-dessus de la Lune.

Le retour des êtres humains sur la Lune aura lieu en 2030. Désormais, tout est une question de financement, afin de passer de la science à l’ingénierie pratique. C’est là que l’European Exploration Envelope Programme (E3P) intervient. Cette enveloppe inclut notre travail sur les stations spatiales, tout ce qui concerne notre mission robotique et la construction du Lunar Gateway. Nous voulons envoyer le premier astronaute européen sur la Lune, et nous souhaitons également installer une mission robotique sur Mars, afin de forer sa surface, dès 2020.

Combien coûtent toutes ces missions ?

Il y a environ 500 millions d’habitants dans l’Union européenne. L’ESA coûte à chaque personne environ un euro par an, et pour faire les choses que nous souhaitons faire, nous aimerions ajouter un supplément de 20 centimes par an à cette addition. Voilà de quel genre de budget nous parlons : nous avons besoin de 600 à 700 millions d’euros par an. Et j’espère sincèrement que nous y parviendrons.

Oui, on peut parler d’igloo lunaire
Crédits : ESA/Foster + Partners

Quand on pense que la NASA dépense 50 millions de dollars par semaine pour son programme d’exploration, nous nous devons de faire cet effort. D’autant que nous avons d’excellents retours sur investissement, en termes de découvertes scientifiques et de nouvelles technologies. Tout l’argent que nous dépensons reste sur Terre et alimente nos industries européennes, nos universités. La robotique, l’intelligence artificielle, les systèmes énergétiques : nous faisons concrètement progresser nos technologies européennes. L’exploration spatiale est un bon moyen d’impliquer l’Europe dans des projets internationaux et d’inspirer les générations futures. Nous ne voyons que des bénéfices à ces missions.

Existe-t-il une réelle collaboration entre les pays et les agences spatiales ?

Tout à fait, tout repose là-dessus. Cette année, nous allons envoyer l’astronaute italien Luca Parmitano sur la Station spatiale internationale, à bord d’une fusée russe, avec des astronautes américains et russes. Cette collaboration internationale est capitale, même si cela passe par des négociations politiques compliquées. Tout ce que nous faisons fait partie d’une collaboration internationale : nous travaillons avec les Américains, les Canadiens, les Japonais, les Russes, les Chinois, etc. Il y a tellement à faire que nous pouvons tous apporter notre contribution. Dans les années 1960, une véritable course à l’espace était menée entre les États-Unis et l’Union soviétique, mais il existe aujourd’hui une collaboration à tous les niveaux.

De quelle manière seront distribuées les ressources entre les pays ?

En l’état actuel du droit international, il est impossible de posséder la Lune ou ses ressources. Personne ne peut dire « cette partie m’appartient ». C’est un bien commun, planétaire. C’est un peu comme les eaux internationales : vous ne pouvez pas en être propriétaire. Cependant, sur Terre, il existe des accords qui vous autorisent à extraire des ressources des mers, pour autant que cela s’inscrive dans une vision à long terme, un projet durable. Nous abordons les ressources présentes sur la Lune de la même manière, afin de les utiliser de manière durable. C’est un des principaux défis du futur, et de nombreux avocats très compétents commencent à réfléchir à ces problématiques, tout comme les Nations unies.

Hâte
Crédits : ESA/Foster + Partners

Comment rendre la Lune vraiment vivable ?

Nous devons d’abord apporter à nos explorateurs humains de l’oxygène, de l’eau et de la nourriture. Alunir requiert ensuite une ingénierie complexe, avec des systèmes de contrôle de proportion et de guidage afin que la sécurité soit assurée. La poussière lunaire, le régolithe, représente un véritable obstacle pour les machines, mais aussi pour les humains. Ces particules sont incroyablement fines et très, très aiguisées, ce qui endommage énormément les mécanismes des appareils. En les dessinant, nous devons donc prendre en compte cet environnement hostile. Nous devons aussi protéger les humains afin d’éviter que la poussière ne se loge dans leurs poumons, car cela pourrait causer des problèmes de santé.

En raison de la manière dont la Lune tourne autour de la Terre, qui orbite elle-même autour du Soleil, un jour lunaire dure 14 jours terriens et une nuit autant. Dans l’obscurité, il fait extrêmement froid, ce qui pose un grand défi aux humains et aux machines. Personne ne l’a relevé jusqu’à présent, même si la Chine a réussi le premier alunissage sur la face cachée de la Lune en janvier dernier.

Enfin, c’est un environnement qui comporte des radiations très sévères, émises par le Soleil et les étoiles. Il faut donc une protection et c’est l’une des utilités possibles du régolithe : nous pourrions enterrer notre base lunaire en-dessous, pour être protégés.

La vie sur la Lune sera donc majoritairement souterraine ?

Sur le long terme, ce sera la solution la plus probable, oui. Nous construirons de fines structures métalliques, pour fournir un environnement hermétique que nous enterrerons sous le sol. Le régolithe sera empilé au-dessus de nos bâtiments, un peu à la manière d’un igloo pour les Esquimaux, afin de nous protéger des radiations.

Verrons-nous bientôt des complexes touristiques se construire sur la Lune ?

Nous ne verrons pas de touristes aller sur la Lune au cours des dix prochaines années. SpaceX parle de construire de très grandes fusées, mais cela ne représente que le début de la résolution du problème. Dans quelques années, peut-être que des touristes très riches pourront voyager autour de la Lune. Mais je pense qu’il faudra attendre les années 2030 avant que vous et moi ne puissions réserver un billet pour visiter notre satellite. Ou nous y installer définitivement. Cela arrivera certainement, car nous sommes extrêmement doués pour résoudre des problèmes !


Couverture : Le village lunaire de l’ESA. (ESA/Foster + Partners)