Le coup d’État

Lundi 16 février 1976, à Lagos. Il n’était pas tout à fait midi en cette belle journée et les gradins du Lagos Lawn Tennis Club étaient remplis de spectateurs nigérians et d’expatriés. Sur le court central, la demi-finale du tournoi de Lagos opposait Arthur Ashe, champion en titre de Wimbledon, à son homologue américain Jeff Borowiak. Le tournoi représentait une étape de l’ancien Championnat du monde de tennis pro (WCT) et réservait une récompense de 60 000 dollars au vainqueur. Il s’agissait aussi du premier tournoi professionnel organisé en Afrique noire. Ashe avait remporté le premier set au tie-break. Il y avait un jeu partout dans le second set et il s’apprêtait à servir. Alors qu’il lançait la balle dans les airs, cinq hommes firent irruption sur le court par l’entrée des joueurs.

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Arthur Ashe sur le court du Lagos Lawn Tennis Club

Le public vit les hommes s’approcher de Ashe. L’un d’eux portait un costume brun, les autres étaient en uniforme militaire. Le leader du groupe, capitaine de l’armée, s’écria soudain : « Mais qu’est-ce que vous faites ? Nous sommes en deuil et vous, vous faites de l’argent. Vous êtes fous ? Allez-vous en, s’il vous plaît. Partez, maintenant. » Un des soldats pressa le canon froid de sa mitrailleuse contre le dos trempé de Ashe pour l’encourager à quitter le court. Celui-ci s’empressa d’obtempérer, les mains en l’air, laissant tout son matériel derrière lui.

Pendant ce temps-là, les autres militaires s’affairaient à vider la tribune principale et les ailes Est et Ouest. Les spectateurs se précipitèrent vers la sortie dans l’anarchie la plus totale, avant que les soldats ne les atteignent. Les Nigérians fuyaient plus vite que les étrangers, qui restaient abasourdis. Les premiers n’ignoraient pas la brutalité des hommes en armes du pays. Ashe, quant à lui, se dirigea vers les vestiaires. En janvier, un mois avant le début du tournoi de tennis de Lagos, l’Américain Dick Stockton s’était rendu dans les locaux du WCT à Dallas, au Texas. Le joueur redoutait de devoir se rendre dans la capitale nigériane de l’époque pour disputer le tournoi. Des articles publiés par la presse locale faisaient état de manifestations anti-américaines ayant eu lieu devant l’ambassade des États-Unis à Lagos. « Si ces articles disaient vrai, la situation pouvait être très dangereuse pour nous »,  se souvient Stockton. Les responsables du WCT ont tenté de le rassurer : « Nous sommes en contact avec le département d’État et ils nous ont dit que tout allait bien. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. » Arthur Ashe avait largement influencé la décision du WCT d’organiser le tournoi à Lagos. Il s’était rendu au Nigeria en 1970 avec un autre joueur américain, le célèbre Stan Smith, à l’occasion d’une série de voyages caritatifs organisés par le département d’État américain.

Cette expérience lui avait donné l’envie de promouvoir le tennis en Afrique noire. Le Lagos Lawn Tennis Club remplissait toutes les conditions requises par le WCT pour accueillir l’événement : il était en mesure de financer les prix pour les tournois de simple et de double, de même que la construction d’un nouveau court central. Le WCT signa un contrat d’une durée de cinq ans avec le Lagos Lawn Tennis Club pour que s’y tiennent un de leurs tournois une fois par an. Les 14 joueurs sélectionnés étaient Arthur Ashe (USA), Tom Okker (HOL), Dick Crealy (AUS), Harold Solomon (USA), Jeff Borowiak (USA), Brian Fairlie (NZL), Eddie Dibbs (USA), Ismail El Shafei (EGY), Wojtek Fibak (POL), Karl Meiler (ALL), Bob Lutz (USA), Stan Smith (USA), Erik Van Dillen (USA), et Dick Stockton (USA). Les deux meilleurs joueurs de tennis nigérians, Lawrence Awopegba et Yemisi Allan, avaient ainsi l’opportunité d’affronter les plus grands joueurs de tennis mondiaux. En cette tragique journée du 16 février, le directeur du WCT John McDonald était dans les vestiaires du Lagos Lawn Tennis Club avec un sac en plastique contenant tous les passeports des joueurs du championnat. Il venait à peine de les récupérer à l’aéroport international de Lagos. Les douaniers avaient conservé la plupart des passeports des joueurs, qui étaient arrivés de Barcelone, pour procéder à la vérification des visas. Les tennismans n’aimaient pas l’idée de devoir laisser leurs passeports derrière eux, mais ils n’avaient pas eu le choix s’ils voulaient pouvoir quitter l’aéroport. Ashe entra et referma la porte derrière lui. L’homme au costume brun l’enfonça peu après, armé d’une imposante matraque. Le soldat qui l’accompagnait somma McDonald et Ashe de quitter les lieux. L’homme à la matraque frappa un coup sur la table pour montrer qu’ils ne plaisantaient pas et il fit mine de poursuivre les deux hommes tandis qu’ils se précipitaient au dehors. Dans les rues, la foule, déboussolée, détalait dans toutes les directions. McDonald repéra John Parsons, le correspondant sportif du Daily Mail qui avait voyagé avec l’équipe du WCT jusqu’à Lagos. Il courait dans la direction opposée. Un soldat armé d’une matraque en ébène cria à Parsons : « Où vous allez comme ça ? » en lui décochant un violent coup dans le dos. Il était en route pour le bureau local de l’agence Reuters, d’où il voulait transmettre les news au Daily Mail. Au lieu de ça, il repartit avec un bleu de 50 cm sur la colonne vertébrale.

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L’affiche du tournoi

L’ambassadeur des États-Unis Donald Easum se trouvait alors dans les gradins, d’où il était venu assister à la demi-finale avec son garde du corps, un jeune marine en civil. Il repéra Ashe, Borowiak et McDonald à l’extérieur du stade et organisa leur transport dans des voitures sécurisées jusqu’à l’ambassade. Ashe et Borowiak grimpèrent dans une voiture et McDonald dans une autre. En chemin, le véhicule de Ashe et Borowiak fut bloqué dans un embouteillage à cause d’un soldat qui rouait de coups un spectateur nigérian au beau milieu de la route. Contraints de quitter la voiture, ils pensaient rejoindre l’ambassade à pied lorsque l’ambassadeur de Hongrie, qui était en fuite lui aussi, proposa de les escorter jusqu’à leur ambassade dans sa limousine. Donald Easum et le marine décidèrent d’y aller à pieds et durent traverser une manifestation anti-américaine. Les manifestaient criaient leur mécontentement et portaient des pancartes avec des slogans tels que « À bas la CIA ! » ou « rentrez chez vous les Yankees ». Certains brandissaient au-dessus de leurs têtes des portraits du chef de l’État nigérian.

Vendredi 13

Le 4e jour du tournoi était censé avoir lieu le vendredi 13. Le chef de l’État nigérian, le général Murtala Muhammed, avait quitté sa résidence du quartier d’Ikoyi pour se rendre aux quartiers généraux de l’armée, situés dans la caserne de Dodan. Mais peu après 8 heures du matin, sa Mercedes Benz noire métallisée se retrouva coincée dans un embouteillage à proximité du secrétariat fédéral. Son aide-de-camp était à ses côtés et son officier d’ordonnance assis à l’avant, à côté du chauffeur. Contrairement à son prédécesseur, le général Gowon, Murtala Muhammed se déplaçait sans garde rapprochée. Un groupe d’hommes armés de mitraillettes approchèrent et ouvrirent le feu sur le véhicule et ses occupants. Les piétons et les conducteurs pris au piège du trafic foncèrent se mettre à l’abris. Un des tireurs vida entièrement son chargeur sur la voiture, avant de recharger et de le vider à nouveau. Les hommes laissèrent derrière eux le véhicule criblé de balles et se dirigèrent vers les locaux de la Nigerian Broadcasting Corporation.

Murtala Mohammed youtube

Murtala Muhammed

Leur leader n’était autre que le lieutenant-colonel Bukar Dimka, lieutenant-colonel et chef du corps d’entraînement de l’armée nigérienne. Il avait 33 ans à l’époque et affichait une épaisse moustache qui lui donnait des airs de morse. Ses joues étaient striées de profondes cicatrices. Il annonça à la radio que les « jeunes révolutionnaires », selon ses propres termes, avaient renversé le gouvernement et qu’un couvre-feu entrerait en vigueur dans tout le pays, de 6 à 18 heures (sic). Il termina son allocution en priant instamment les habitants de rester attentifs aux annonces radiophoniques à venir. L’enregistrement fut diffusé en continu toute la matinée, entrecoupé de marches militaires. Dick Stockton dormait encore dans sa chambre d’hôtel du Federal Palace lorsque son téléphone se mit à sonner. C’était Paul Svehlik, le tour manager du WCT, qui l’appelait pour lui annoncer la tentative de putsch et l’annulation des matchs de la journée. Stockton, en état de choc, devait à présent avertir les quatre autres joueurs américains logés dans l’hôtel. Ils avaient pour consigne de ne pas le quitter jusqu’à nouvel ordre. L’un des joueurs qu’il appela était Eddie Dribs. Ce dernier lui demanda : « Au fait, c’est quoi un coup d’État ? » Pelé, la superstar brésilienne du football séjournait également au Federal Palace avec ses proches. Ils furent informés des derniers remous politiques et se serrèrent à côté de la radio de leur chambre pour tenter de comprendre ce qu’il se passait. Pelé était alors en voyage promotionnel pour Pepsi. Il devait participer à une rencontre amicale et donner des cours de football.  

À l’heure du déjeuner, les cinq joueurs de tennis allèrent se détendre dans la piscine de l’hôtel. Eddie Dibbs, Harold Solomon, Bob Lutz, Erik Van Dillen et Dick Stockton étaient au bord du bassin lorsqu’une trentaine de soldats armés jusqu’aux dents firent leur apparition et encerclèrent l’hôtel. Affolé, le directeur s’empressa d’avertir les clients de sortir de la piscine pour rejoindre leurs chambres et s’y barricader. Ils n’avaient aucune idée des intentions des soldats. La Nigerian Broadcasting Corporation cessa d’émettre vers 15 heures de l’après-midi, lorsque les forces gouvernementales tentèrent de reprendre la radio des mains des putschistes. Dimka s’échappa à l’issu d’une fusillade entre les loyalistes et les siens. La station reprit du service aux alentours de 16 heures et diffusa des hits de musique Highlife. À 18 h 20, un porte-parole du gouvernement militaire déclara à l’antenne que la tentative de coup d’État avait échoué après une série d’arrestations. Il ajouta qu’un couvre-feu serait dorénavant en vigueur dans tout le pays de 18 à 6 heures du matin, et que toutes les frontières et aéroports resteraient fermés jusqu’à nouvel ordre. Il n’avait fait aucune mention du sort du chef de l’État. Lagos, habituellement la ville la plus dynamique d’Afrique Noire, était comme engourdie alors que ses habitants restaient cloîtrés chez eux à écouter la radio. La ville était en état d’alerte maximale. Aux nombreux checkpoints qui barraient les routes, les soldats chargés de la sécurité arrêtaient des individus suspectés d’avoir participé au coup d’État. Il n’y eut pas d’autre annonce radiophonique ce vendredi de la part des hommes du gouvernement.

Dans la soirée, les cinq joueurs américains reçurent un coup de téléphone de l’ambassade des États-Unis qui leur demandait de rassembler leurs affaires et de se préparer à quitter l’hôtel. Le Federal Palace n’était plus un endroit sûr. Donald Easum fit déplacer un minibus pour évacuer les joueurs, mais le chauffeur se trompa de chemin au retour et se disputa avec un soldat à un checkpoint. L’homme finit par pointer sa mitraillette en direction de la voiture et les joueurs crurent que c’était la fin. Finalement, il se ravisa et décida de les laisser passer, une fois convaincu de leur innocence. Il n’y avait plus de place à la résidence de l’ambassadeur des États-Unis pour les cinq tennismans, car Ashe, Borowiak et Tom Okker (un joueur néerlandais) y étaient déjà installés. Il fallut donc les faire héberger chez une famille américaine. « On a été hébergés chez une famille très modeste », se souvient Bob Lutz. « C’était un vieux couple. L’homme travaillait à l’ambassade des États-Unis. » ulyces-lagos1976-03 On annonça officiellement l’assassinat du général Muhammed vers midi, le 14 février. Son vice-président, le général Obasanjo, lui succéderait. Le corps du défunt président fut transporté à Kana le samedi suivant et enterré dans sa ville natale, selon les rites musulmans. Le gouvernement militaire annonça sept jours de deuil national en l’honneur du chef d’État abattu. Dans le pays, le bruit courait que le gouvernement américain était impliqué dans la tentative de putsch et dans l’assassinat du général, via la CIA. Les divergences entre les gouvernements américain et nigérian étaient bien connues : le Nigeria soutenait le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), lui-même soutenu par l’Union soviétique. Les matchs du samedi furent annulés. McDonald tenta de convaincre les joueurs de poursuivre le tournois. Son insistance donna lieu à une altercation entre lui et certains Américains peu désireux de jouer dans des conditions de sécurité aussi précaires. McDonald leur répondit que s’ils ne jouaient pas, ils ne pourraient pas quitter le pays. Les douaniers détenaient encore leurs passeports en attendant de renouveler leurs visas.

Lagos → Rome → Caracas

« On nous a raconté que le dernier coup d’État s’était fait sans effusion de sang mais que personne n’avait pu quitter le pays pendant un moment », raconta Stan Smith. « Nous avions peur de ne pas pouvoir quitter le pays à temps pour le prochain tournoi. »

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Des joueurs du Lagos Lawn Tennis Club
Crédits : DR

Le samedi 14, tard dans la journée, les responsables du Lagos Lawn Tennis Club contactèrent McDonald pour lui annoncer que le gouvernement avait autorisé la reprise du tournoi le dimanche. Les militaires au pouvoir s’engagèrent aussi à leur fournir un avion pour transporter les joueurs hors du pays dès la fin de la compétition, et ce malgré la fermeture des frontières et des aéroports toujours en vigueur. John McDonald appela immédiatement les huit joueurs toujours en lice pour les informer du maintien de la compétition. Il y avait six Américains, un Allemand et un Australien dans les quarts de finale. L’idée était de jouer les quarts de finale le dimanche, et les demi-finales et la finale le lundi 16, pour rattraper les journées du vendredi et du samedi. Le tournoi de double, qui en était aux demi-finales, fut annulé faute de créneau. Les quarts de finale commencèrent à 11 h le dimanche 15 février et se déroulèrent sans incident. Quatre Américains (Dick Stockton, Bob Lutz, Arthur Ashe et Jeff Borowiak) se qualifièrent pour les demi-finales. La chaleur de Lagos eut raison de la ténacité des joueurs : ceux qui perdaient le premier set perdaient le match. Les conditions de jeu étaient difficiles pour les joueurs, qui ne se virent proposer aucun rafraîchissement par les organisateurs du tournoi. Certains profitaient des quelques secondes de répit qu’offraient les changements de côté pour se rafraîchir dans une salle à proximité du court équipée de l’air conditionné. Les arbitres ne s’y opposèrent pas.

Cette année-là à Lagos, le mois de février fut le plus chaud. Le dimanche fut relativement calme par rapport à la journée tumultueuse de vendredi. Cela permit à Arthur Ashe, Jeff Borowiak, Tom Okker et Donald Easum d’aller déjeuner chez l’ambassadeur du Brésil avec Pelé. Pendant ce temps, les cinq autres joueurs hébergés par le vieux couple d’Américains se morfondaient. « Ils n’avaient qu’un vieux jeu de fléchettes, on s’ennuyait ferme. Sans parler de ces énormes lézards qui couraient partout dans la maison », raconterait plus tard Eric Van Dillen. « On est partis à la chasse histoire de voir si on pouvait les toucher. On n’était pas très politiquement correct à cette époque. » Malgré leurs efforts, les lézards étaient trop rapides pour les joueurs. « Eddie Dibbs les a pris d’un côté et moi de l’autre. Il a lancé une fléchette qui a ricoché sur le sol en ciment et s’est plantée dans ma jambe. Ça a fait mal pendant un petit bout de temps », se souvient Bob Lutz en riant. « La situation était quand même très cocasse, on s’est bien marré. »

L’aéroport international de Lagos fut rebaptisé Murtala Mohammed International Airport.

Plus tard, Dibbs et Lutz allèrent à la rencontre de soldats postés à un checkpoint non loin. Ils étaient en train de manger leur ration et semblaient plutôt sympathiques. Les joueurs leur racontèrent qu’ils étaient à Lagos pour disputer un tournoi de tennis. Tout à coup, leur officier arriva et hurla sur les joueurs : « Qu’est-ce que vous foutez là ? Vous êtes de la CIA ? Vous êtes des espions ? Barrez-vous ! » Les joueurs ne demandèrent pas leur reste et rentrèrent en courant chez le vieux couple. Le contingent de 18 hommes du WCT comprenait 14 joueurs, 2 responsables de l’organisation et 2 journalistes. Le groupe embarqua dans un convoi de voitures tôt dans la matinée du mardi 17 février, en direction de l’aéroport international de Lagos. Des policiers armés les escortèrent jusqu’à l’aéroport pour s’assurer que les véhicules passeraient les différents checkpoints sans trop de difficultés. Le gouvernement tint également sa parole en mettant à disposition un avion et en suspendant ses restrictions de vols pour permettre au groupe de quitter l’espace aérien de Lagos. Ils furent les premiers ressortissants étrangers à avoir l’autorisation de quitter le pays après la tentative de coup d’État. Le responsable local de Pepsi avait demandé la veille à Donald Easum si Pelé et son entourage pourraient voyager avec le contingent WCT, mais l’autorisation officielle ne fut pas donnée à temps. Les nombreux militaires présents dans l’aéroport devaient empêcher les fugitifs comme Dimka de quitter le pays.

L’avion décolla à 7 heures du matin pour permettre la correspondance avec le vol AZ837 d’Alitalia, qui quitterait Accra à 8 h 15 et arriverait à Rome à 14 h 35. Les joueurs laissèrent exploser leur joie lorsque l’avion décolla, soulagés que cette épreuve soit enfin terminée. Le tournoi du WCT à Rome fut retardé d’une journée à cause de l’arrivée tardive des joueurs. Cela n’empêcha pas Arthur Ashe de le remporter. Pelé quitta Lagos quelques jours plus tard, lorsque le gouvernement militaire fédéral rouvrit les frontières et les aéroports. L’ambassadeur du Brésil insista pour qu’il porte une tenue d’aviateur afin de dissimuler son identité. Mais le plus grand danger qu’avait dû affronter Pelé lors de son séjour à Lagos, c’était l’argent qu’il avait perdu durant les parties de gin rami au Federal Palace. Le WCT rappela à Arthur Ashe, Jeff Borowiak et Dick Stockton, une fois arrivés à Rome, qu’ils devaient honorer leurs obligations par rapport aux matchs du tournoi de Lagos. Ils devaient terminer la compétition pour pouvoir offrir la récompense. La seule occasion aurait lieu lors de l’Open WCT de Caracas. Le 1er avril, en plein milieu du tournoi vénézuélien, Arthur Ashe termina son match de demi-finale contre Borowiak et le battit. Le lendemain, il affronta Stockton en finale et perdit. Le match fut plié en moins d’une heure. Ce fut la première et seule victoire de Stockton contre Ashe. 6-3, 6-2.

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Les résultats du tournoi de 1976

Le WCT n’organisa plus jamais de tournoi au Nigeria. L’aéroport international de Lagos fut rebaptisé « Murtala Mohammed International Airport » quelques jours après son assassinat. Dimka réussit à se cacher pendant trois semaines après la tentative de coup d’État mais fut finalement capturé le 5 mars et exécuté le 15 mai 1976. Le gouvernement nigérian ne donna jamais d’explications pour l’intervention militaire lors de la demi-finale entre Ashe et Borowiak.


Traduit de l’anglais par Flore Rougier et Lucile Martinez d’après l’article « The story of Black Africa’s ill-fated 1976 Professional Tennis Tournament », paru dans Africa is a Country. Couverture : Jeff Borowiak, Arthur Ashe, Pelé et Tom Okker à Lagos.


UNE SEMAINE SUR LE TOUR DU RWANDA ENTRE EXPLOITS SPORTIFS ET MANŒUVRES POLITIQUES

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Le cyclisme est un sport majeur au Rwanda. C’est aussi un instrument politique puissant. Enquête.

I. Le tour de Kagame

De Kigali, au Rwanda. En novembre, j’ai pris l’avion de Barcelone à Kigali pour assister au Tour du Rwanda, une course d’une semaine, à travers des paysages montagneux. Événement mineur dans le monde du cyclisme, le tour a son importance tant pour le développement du cyclisme africain que pour l’image de ce petit pays qu’est le Rwanda, qui ne compte que 12 millions d’habitants. Créé en 1988, il est désormais une étape incontournable de l’UCI Africa Tour et l’une des plus prestigieuses courses du continent. ulyces-tourdurwanda-01Comme beaucoup d’événements sportifs, le Tour du Rwanda est aussi un gros coup publicitaire. Pour être honnête, c’est ce qui m’a attiré sur place. Le président Paul Kagame, en poste depuis l’an 2000, s’est attaché à développer la passion du cyclisme dans son pays. Son gouvernement a fourni des montures dernier cri – des Pinarello Dogma à 6 000 euros l’un – à l’équipe nationale et aidé deux Américains à mettre sur pied un centre d’entraînement qui accueille des cyclistes venus de toute l’Afrique.

En plus d’être une parfaite success story, l’équipe rwandaise est attentivement suivie par les organismes internationaux de développement, car chaque projet portant ses fruits fait événement. Au Rwanda, de jeunes hommes et femmes issus pour la plupart de milieux défavorisés sont devenus des athlètes de classe mondiale. L’équipe rwandaise a été le sujet d’un film documentaire remarqué (Rising From the Ashes), d’un long article du New Yorker (« Climbers ») et d’au moins un excellent livre (Land of Second Chances, de Tim Lewis). Kagame, qu’on tient pour être un dictateur, a acheté leurs vélos. C’est un personnage instable, impliqué dans les morts mystérieuses de ses opposants et désavoué par les observateurs des droits de l’homme. Il se refuse à quitter son poste, qu’il occupe depuis près de deux décennies. Il reconnaît volontiers qu’il gouverne d’une main de fer, mais il redoute l’alternative. À l’entendre, le passé du Rwanda justifie son statut de figure paternelle autoritaire, seul habilité à fixer les règles. Force est d’admettre qu’il obtient des résultats. Le Rwanda combat la corruption avec plus d’efficacité que n’importe quel autre pays de la région. Sa capitale, Kigali, a le taux de criminalité le plus faible d’Afrique. Le bilan environnemental du pays est excellent, particulièrement en matière d’énergie alternative – en novembre dernier, le Guardian a rapporté qu’un parc solaire avait été mis en place moins d’un an après la présentation du projet, un record qui laissent envieux même les pays les plus riches. À Kigali, les rues sont propres, le réseau d’égouts est en bon état et il n’y a pas de bidonvilles. L’Internet est rapide. Dans beaucoup de pays au profil économique semblable, l’air est saturé d’odeurs nauséabondes. Ici, il sent le thé fraîchement récolté.

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Kigali, ville-lumière
Crédits : Fumnanya Agbugah

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