Les propos ayant servi à réaliser cette histoire ont été recueillis par Arthur Scheuer au cours d’un entretien avec Seth Ferranti. Les mots qui suivent sont les siens. Je ne me suis jamais considéré comme un criminel, je me considère comme un hors-la-loi. Un hors-la-loi, c’est quelqu’un qui enfreint une loi lorsqu’il a la conviction qu’elle est mauvaise. Un criminel tient plus du psychopathe, il n’hésite pas à jouer de son flingue. Je ne ferais jamais un truc pareil. Si j’ai vendu de la marijuana et du LSD, c’est parce que je pensais – et je le pense toujours – que le monde finira par arriver à la conclusion que ce genre de drogues ne devraient pas être interdites. Quand je dealais de la drogue, j’étais un hors-la-loi, pas un criminel.

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Seth a écrit l’essentiel de son œuvre en prison
Crédits : Seth Ferranti

Rock star

Quand j’étais gamin, je jouais dans des groupes. Je chantais, je jouais de la guitare. J’ai toujours eu une nature créative ; j’écrivais de la poésie et je me prenais pour Jim Morrison. J’avais 13 ans, c’était mon héros. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être une rock star. Mais il faut croire que je ne chantais pas assez bien pour atteindre ce niveau. Il a fallu que je trouve un autre moyen de m’exprimer : je suis devenu trafiquant de drogue. J’ai grandi dans la banlieue de L.A., et à l’époque, je suivais les Grateful Dead. J’étais fan du groupe et je me suis rapproché d’une bande de types qui les suivaient en tournée. On les appelait les Deadheads, et ces mecs prenaient beaucoup d’héroïne. J’avais 16 ans quand j’ai découvert ce milieu, et les types que j’admirais n’avaient pas plus de 19 ou 20 ans.

Lorsque j’ai commencé à traîner avec eux, ils dealaient de la marijuana et du LSD – je les ai pris pour exemple et je m’y suis mis. C’étaient des modèles, pour moi. Ensuite ils se sont mis à trafiquer d’autres drogues, comme la coke et l’héroïne, et sont devenus accros. Ça les a mis en porte-à-faux avec leurs fournisseurs. Moi, je ramenais de l’argent, eux, ils se défonçaient. Du coup, les fournisseurs les ont mis hors-jeu et ont fini par faire exclusivement affaire avec moi. J’étais très jeune, mais j’ai foncé. Et mes amis junkies – car si tu touches à l’héro, c’est ce que tu deviens – se sont mis à bosser pour moi. Je suis heureux de n’avoir jamais essayé l’héroïne, car si ça avait été le cas, j’aurais plongé. J’en étais bien conscient et c’est pour ça que j’ai préféré m’en tenir aux hallucinogènes et à la marijuana.

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L’avis de recherche émis contre Seth Ferranti

Malgré tout, je prenais beaucoup de drogue. J’étais constamment défoncé, téméraire et imprudent. Mes parents, ma famille, mes amis, la communauté : je n’en avais rien à foutre. Je ne me souciais de rien ni de personne, et surement pas de moi-même vu les ennuis dans lesquels je me fourrais. D’un côté, je foutais ma vie en l’air – 21 ans de prison m’ont donné le temps d’y réfléchir –, mais d’un autre, je me dis que ça n’était pas étranger à ce qu’était l’Amérique à l’époque, à l’ambiance. Mes conneries viennent peut-être de ça. J’avais compris quelque chose qui échappait encore aux autres. Avant que les cartels ne commencent à acheminer la drogue directement sur le territoire, ce sont des types comme ceux que je fréquentais qui allaient la chercher là-bas. Ils faisaient entrer de la weed et du haschisch dans le pays depuis les années 1970, et ont fini par la cultiver à la maison. Quand je repense à eux… C’était des pionniers.

J’ai trafiqué de la marijuana et du LSD en grosse quantité pendant trois ans. Il ne faut pas se leurrer : une bonne partie du succès d’une entreprise est dû aux personnes sur lesquelles vous tombez, à la chance, au fait de se trouver au bon endroit au bon moment. À 16 ans, j’ai rencontré une bande de Mexicains, des fumeurs de marijuana. J’avais assez d’argent en poche pour leur en prendre 10 ou 12 kilos à 200 dollars le kilo, mais ils me l’ont fait entre 50 et 100 dollars. Je n’en revenais pas. Ils me disaient : « Mec, on va faire du business ensemble. » Pour moi qui n’étais même pas majeur, c’était incroyable. Ils me faisaient confiance. Je crois que c’était dû à ma façon de me tenir, à la façon dont je me comportais avec eux. Mais intérieurement, il arrivait que je me dise : « Putain, tu dois 40 000 dollars à un mec ! » Les types me faisaient une avance, mais ils voulaient revoir leur argent – normal. Ça me poussait à me dépasser. Ils me laissaient un ou deux mois pour les rembourser intégralement. À l’époque, je me faisais entre 20 000 et 30 000 dollars par mois. Ce n’est pas rien, quand on a 17 ans. Mais j’étais à fond… J’ai toujours été à fond pour tout, ça fait partie de ma nature. Et j’avais un but : je voulais devenir millionnaire avant mes 21 ans. C’était mon rêve. Je ne l’ai jamais atteint parce que je me suis fait coffrer à 19 ans, mais avant ça, j’étais sur la bonne voie.

Sans arme

On me demande souvent si j’aimais ce que je faisais. En vérité, j’essayais juste de joindre les deux bouts. J’étais à New York dernièrement avec un de mes potes qui a fait de la taule lui aussi, un ancien trafiquant de drogue. Même après tout ça, on est d’accord pour dire que rien ne vaut d’être trafiquant de drogue. Honnêtement, ça me manque. Mais j’ai retenu la leçon et je ne risque pas de repartir là dedans – il faudrait que je sois vraiment désespéré pour replonger. J’ai assez de projets légaux pour m’en prémunir. Mais bon, être dealer, c’était comme être une rock star. ulyces-ferrantiitw-06-1 Je n’ai jamais tué personne. J’étais un hors-la-loi totalement non-violent. Vous vous demandez sûrement comment c’est possible. Dans la culture Deadhead, tout le monde faisait en sorte d’être le plus sympa possible et de répandre le plus de bonté autour de lui. Ca faisait partie de l’ADN du groupe. Mais bien sûr, ça ne suffit pas, il faut être rusé. Quand on fait partie de la pègre, il faut bien choisir les cercles dans lesquels on évolue. Mon meilleur allié quand j’écoulais de la dope, c’était la discrétion. Je n’étais jamais deux fois au même endroit au même moment. Les gens n’étaient jamais au courant de mes mouvements : j’étais insaisissable. Je traînais dans des universités, mais jamais les mêmes, et je refusais de dire à quiconque où je créchais et où je passais mon temps, car ils savaient tous que je vendais de la drogue. Certains d’entre eux auraient aimer s’en prendre à moi, mais je ne leur laissais aucune chance. Tout ça à la force de mon esprit, pas besoin de flingue pour ça. On ne s’en est jamais pris à moi, on ne m’a jamais rien volé, et je n’ai jamais eu besoin de flingue. Je me fournissais souvent dans le Kentucky, j’y prenais des kilos de weed locale. J’avais quelques bons amis qui opéraient dans le coin. Et il m’est arrivé de me retrouver à la nuit tombée au beau milieu des collines du Kentucky pour acheter 10 ou 15 kilos de produit d’excellente qualité. On se retrouvait là et ils étaient tous calibrés, sauf moi. Après, je sais manier un flingue, juste, je n’ai jamais ressenti le besoin d’en porter un. ulyces-ferrantiitw-05-1

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COMMENT SETH FERRANTI EST DEVENU ÉCRIVAIN EN PRISON

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Traduit de l’anglais par Tancrède Chambraud, Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’interview de Seth Ferranti réalisée par Arthur Scheuer. Couverture : Seth Ferranti.