par Servan Le Janne | 15 min | 12/04/2018

La grande récré

À la 78e minute du match de Ligue 1 entre Toulouse et Marseille, ce dimanche 11 mars 2018, les panneaux publicitaires du Stadium prennent la couleur de la Ville Rose. Sur ces écrans qui encadrent la pelouse, le logo Conforama défile de proche en proche, accompagné par le slogan de la marque : « Le confort pour tous. » Les supporters locaux n’en demandent pas tant : ils sont prêts à s’asseoir sur une victoire pour conserver le score assez confortable de 1-1. Ce serait déjà bien payé. Mais, 35 secondes après être entré, l’attaquant marseillais Kostas Mitroglou prend son envol et marque, déployant ses bras comme un albatros. Ou plutôt, pour laisser ce surnom au deuxième gardien Yohann Pelé, comme un phénix. Jusqu’ici rebaptisé « Mitromou » par le quotidien La Provence, il retrouve l’efficacité qui lui faisait défaut. L’OM l’emporte finalement 2-1.

Un mois plus tôt, après avoir gâché une énorme occasion de but à Saint-Etienne, l’ancien avant-centre du Benfica Lisbonne avait pris la foudre sur Twitter. « Si c’était Mitroglou qui avait tiré sur Tupac, il serait encore vivant », raillait un internaute. L’oiseau de malheur était en train de devenir un meme, synonyme de maladresse. « A-t-il fait exprès de manquer ce but ? » demandait le compte du site de paris sportifs Winamax. Dans la foulée de la rencontre à Toulouse, il s’amuse cette fois de la surprise générale : « Reconnaissez-le : on a tous pensé “Mdr l’OM fait rentrer Mitroglou” avant de bien fermer notre gueule, là. »

Mitroglou a-t-il fait exprès de manquer ce but ? Une image prise dans les vestiaires, avant la rencontre, sème le trouble. #ASSEOM pic.twitter.com/rcpWQxSNYq

— WinamaxSport (@WinamaxSport) February 9, 2018

Quelqu’un n’a pourtant pas la sagesse de se taire. Invité à désigner les trois moins bons joueurs de la soirée sur Canal+, le journaliste Pierre Ménès donne dans sa liste le nom du Toulousain Ibrahim Sangaré. « Je ne l’ai pas vu », enfonce-t-il. Autour de lui, ses collègues étouffent un rire. Alors qu’il s’apprête à rendre l’antenne, le présentateur, Hervé Mathoux, est interpellé par le commentateur Stéphane Guy. Fréquemment moqué sur les réseaux sociaux pour avoir trop vite prédit la qualification du Paris Saint-Germain contre Barcelone en 2017, ce dernier se mord la langue d’impatience. On lui donne enfin la parole : « Je pense que Pierre voulait parler de Sanogo parce que Sangaré n’était pas sur la feuille de match », assène-t-il. Cette fois, le fou rire éclate en plateau et se répand en ligne.

L’erreur a évidemment été reprise séance tenante sur Twitter, de la même manière que la mauvaise anticipation de Stéphane Guy y avait alimenté les conversations un an plus tôt. « Encore un gros match de Guy Carlier hier soir, en pleine forme », commentait le compte officiel du Toulouse football club (TFC) en référence à Pierre Ménès, lui-même amateur de commentaires acerbes. Au club de Haute-Garonne, victime de la résurrection de Kostas Mitroglou, on adopte depuis quelques années un « ton décalé », indique Boris Laffargue, responsable du marketing et de la promotion. « Nous n’hésitons pas à utiliser l’humour voire la dérision pour faire passer certains de nos messages. Cela sort des codes habituels du football. » C’est surtout ce qui marche le mieux sur internet, où le foot est allumé au second degré.

Parmi les séquences qui y ont été particulièrement commentées, il y a cette interview d’Adil Rami réalisée au Stadium de Toulouse. Ce dimanche 11 mars 2018, sorti victorieux par la grâce inattendue de Mitroglou, le défenseur international de l’OM fait un détour devant le micro de Laurent Paganelli. « On a senti que c’était une grande famille et qu’ensemble vous arrivez à faire quelque chose », improvise l’homme de terrain de Canal+. « Un mot pour Mitroglou, c’est vrai que quand on joue dans un groupe, on a envie que les mecs réussissent. » Autant dire, comme aiment à la répéter les footballeurs, que « le groupe vit bien ». Paraphrasé par Rami, ce lieu commun donne son nom à une page Facebook créée par deux amis fin décembre 2017 afin de traiter « les moments marquants du sport sur le ton de l’humour ».

Mais ce n’est bien sûr pas la réponse convenue du libéro qui affole la toile. Avant de le laisser filer au vestiaire, Paganelli ne résiste pas à l’envie de poser une dernière question : « Je peux avoir ton maillot ? » Rami, incrédule, rétorque qu’il lui a déjà donné. « Non mais pas celui-là, le rouge, celui de ta femme », pouffe le journaliste en référence à Pamela Anderson, la compagne du joueur, jadis actrice d’Alerte à Malibu. L’image des deux hommes, hilares, se répand de partage en retweet. Elle s’étale même en couverture d’un avatar Facebook bien connu des fans de foot.

En février 2017, un internaute qui préfère ne pas être nommé a créé une page à l’effigie de Laurent Paganelli. Son gimmick favori lui tient de titre : « En tout cas on te le souhaite ». Mû par la seule volonté de « rire sans limite » d’un des personnages les plus espiègles du football, ce « troll » a mine de rien agrégé près de 70 000 personnes. Il confie avoir été aidé par le créateur d’une page qui en rassemble 200 000 de plus, « Qu’en pensez-vous Arsène ». Là encore, il s’agit d’une référence à la phrase-valise d’un commentateur, à savoir Jean-Michel Larqué. Ces caricaturistes amateurs s’inspirent les uns des autres. On retrouve souvent chez eux des publications signées PiedsCarrés ou Europorc.

#Oui. Le gimmick emblématique de Qu’en pensez-vous Arsène?
Crédits : Qu’en pensez-vous Arsène?/Facebook

Imaginé par deux amis de lycée en novembre 2014, le second ne manque pas d’attaquer Pierre Ménès sous la ceinture lorsqu’il fait l’erreur de citer Ibrahim Sangaré. « Nos statuts sont des fois un peu limite », admet un cofondateur. « Mais le but est toujours de rire, et non de se moquer, on aime partir loin dans le cliché, car c’est tellement gras, choquant et peu subtil que ça en devient très drôle. » Saïd, qui gère la page PiedsCarrés, a bien tenté de publier des analyses poussées. Ça n’a pas vraiment pris. « Les gens qui veulent du sérieux ont déjà France Football », constate-t-il. « Ceux qui ont liké ma page l’ont fait pour le second degré. »

Les captures d’écrans que ce diplômé en management du sport fait sur Twitter leur plaisent particulièrement. « Les tendances y arrivent plus tôt », analyse-t-il. Un tacle bien placé se retrouve ainsi dupliqué d’une plateforme à l’autre. « Des groupes Facebook reprennent régulièrement mes tweets et récoltent beaucoup de likes avec », observe un fan de l’OM connu sous le pseudo Arrowgance. Hugo Guillemet fait le même constat. Ce journaliste de L’Équipe est davantage suivi pour ses vannes que pour son métier, qu’il n’indique d’ailleurs pas dans sa bio : « Si je fais des tweets sérieux, les gens vont lâcher », pense-t-il. Dans cette « cour de récréation » que sont devenus pour lui les réseaux sociaux, le triomphe du second degré est total.

Des marques aux médias en passant par les clubs et les joueurs, tout le monde s’y met. À chaque fin de week-end, le site de Konbini, Football Stories, publie une sélection baptisée « Le grand n’importe quoi des réseaux sociaux ». « C’est un format qui cartonne », se félicite la journaliste Lucie Bacon. Elle-même, à coup de saillies rieuses, polarise une vaste communauté. Ce n’était pourtant pas l’objectif initial. La Caennaise a créé un compte pour ses études : « Je tweetais des trucs sérieux au départ car on devait apprendre à se servir des réseaux sociaux à l’école. Il n’y avait pas de message privé, on ne parlait à personne en particulier. À la base c’était n’importe quoi Twitter. » Mais pas le n’importe quoi qui fait aujourd’hui rire tout le monde.

La vague

Un soupir parcourt les tribunes de l’Allianz Stadium de Turin. Ce mardi 3 avril 2018, à 21 h 45, Cristiano Ronaldo inscrit le deuxième but du Real Madrid contre la Juventus, en quart de finale aller de Ligue des champions. Il qualifiera l’équipe au retour. Son retourné acrobatique défie les lois de la physique. Sur un centre de Dani Carvajal, le Portugais tend la jambe à hauteur d’homme dans un geste proprement inhumain. Après un court moment de flottement, les supporters italiens l’applaudissent, beaux joueurs, quand ils ne se frottent pas les yeux. Au bord de la pelouse, l’entraîneur du club espagnol, Zinédine Zidane se frotte le crâne. « Même Zizou il a rien compris sur le 2e but de CR7 », tweete Lucie Bacon.

Même Zizou il a rien compris sur le 2e but de CR7 pic.twitter.com/iSKMffJS7h

— Lucie (@LucieBacon) April 3, 2018

Le compte Twitter officiel de Cristiano Ronaldo publie de son côté une photo des Madrilènes en train de célébrer un but, assortie du message « Vamos equipo ». Pareille sobriété amuse Eddy Fleck : « Pendant qu’en Fédération sportive et gymnique du travail on se rue sur Snapchat pour balancer un “Avec les dents !” après un vieux 1-0 (CSC) contre les cheminots de Bondy », tweete l’ex-community manager de Winamax. L’attaquant du Real n’est certes pas le joueur le plus actif sur les réseaux sociaux. On peut même dire qu’il y a fait son entrée à reculons. Voilà une dizaine d’années, Facebook l’a contacté pour l’inviter à se servir du site en lui promettant dix millions de followers. « On ne vous croit pas, c’est le nombre d’habitants du Portugal », a répondu Polaris Sports, le groupe qui gère ses droits à l’image. Aujourd’hui, sa page est suivie par 122 millions de personnes.

Les promoteurs de CR7 ne sont pas les seuls à avoir mal anticipé l’ampleur de la vague qui se formait au creux d’Internet. Ce n’est qu’en 2012, au moment du championnat d’Europe en Pologne et en Ukraine, que Lucie Bacon a commencé à appréhender Twitter comme « une sphère marrante pour parler de football, où tout le monde échangeait avec tout le monde malgré les rivalités ». L’esprit joyeusement spontané qui s’en dégageait contrastait avec le cadre sérieux auxquels les médias sont généralement requis.

Née en 1990, la Normande suit d’abord le Stade Malherbe de Caen entre le premier et le deuxième étage national, dans un ascenseur à la fois émotionnel et sportif. Elle regarde aussi les matchs de l’Olympique de Marseille, le club de son père. Par-delà ces frontières affectives, une fenêtre sur les compétitions étrangères s’ouvre chaque week-end dans L’Équipe du dimanche, sur Canal+. « J’ai l’impression que ça n’existe plus vraiment les émissions où il y a beaucoup de championnats différents traités », regrette-t-elle. Lucie Bacon écoute moins les émissions de radio, pourtant assez nombreuses à l’époque.

Petit « Vamos equipo » une heure après le match après un ciseau sur Buffon en LDC. Pendant qu’en FSGT on se rue sur Snapchat pour balancer un « Avec les dents ! » après un vieux 1-0 (CSC) contre les cheminots de Bondy. https://t.co/2XBzd7Li9v

— Eddy Fleck (@eddy_fleck) April 3, 2018

Au sein du « petit réseau » qu’elle a depuis construit sur Twitter, d’autres, comme Hugo Guillemet, parcourent L’Équipe assez tôt. Eddy Fleck se couche lui avec un transistor sous l’oreille. « J’aimais la façon de raconter le match d’une radio lyonnaise qui s’appelait Hit and Sport (aujourd’hui Tonic radio). C’était très chauvin. » L’After Foot, un talk-show diffusé sur RMC à partir de 2006, lui plaît pour ses débats passionnés et enlevés. Arrowgance le cite aussi parmi ses références de jeunesse. Le ton est moins compassé qu’à la télévision ou dans la presse. Car il faut bien le dire, « les journaux ont longtemps couvert le sport de la même manière qu’ils traitaient une hausse d’impôt ou une grève des transports », déplore le journaliste sportif canadien Richard Whittall. Or, voici un scoop : c’est un jeu.

En même temps, « le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important que ça », aurait déclaré le mythique entraîneur de Liverpool Bill Shankly. « Nous n’avons jamais vraiment saisi ce que le football est vraiment », juge pour sa part Richard Whittall. « Est-ce sérieux ou trivial ? De l’art ou du divertissement ? Un business ou une institution culturelle ? La vérité c’est que le foot c’est du foot, il flirte avec toutes ces catégories et ne se laisse enfermer dans aucune. » Sous l’action conjuguée de la Fifa et des diffuseurs, cette équivoque a fondu. Ceux qui tiennent les cordons de la bourse ont naturellement fait gonfler sa dimension commerciale.

En France, entre 1998 et 2014, les droits payés par les chaînes de télévision pour la retransmission du football professionnel ont été multipliés par cinq. Aux hauteurs financières actuelles, chaque détail compte. Ultime mètre-étalon, la performance se mesure à grand renfort de statistiques tant en club qu’à l’écran. « Or, dans le sport, la part aléatoire d’un résultat ne peut pas être ignorée, c’est l’essence même de sa popularité », juge une des quatre personnes derrière la page Le Groupe vit bien. En décalage avec cette tendance à plonger le football dans les eaux froides du calcul rationnel, des magazines comme So Foot ou Les Cahiers du football – tous deux lancés en 2003 se sont évertués à le replacer dans son bain culturel. Une génération influencée par leurs sarcasmes a peu à peu pris la parole sans avoir à se soucier d’une quelconque ligne éditoriale.

Le public n’a pas fui le football. Il s’est employé à lui réinjecter une dose d’humour. « S’envoyer des gifs de foot sur les réseaux sociaux c’est marrant », remarque Richard Whittall. « On trouve des mauvaises blagues, des parodies, de l’esprit de camaraderie et la beauté d’un moment partagé. Twitter c’est le top pendant les matchs de foot. » Sur internet règne « une approche intime et subjective des sujets qui contraste avec celle des grands médias », d’après les mots d’Arrowgance. S’y répand finalement le même bavardage magnifique qu’au bar du coin. Mais avec des millions d’intervenants possibles.

Trauma

À Donetsk, dans l’est de l’Ukraine, le football professionnel n’est plus qu’un vague souvenir. Depuis le déclenchement de la guerre entre le gouvernement et des groupes séparatistes, en 2014, la Donbass Arena qui accueillait le Shakhtar est à l’abandon, mouchetée de cratères. En France, l’enceinte a aussi été oubliée. C’est ici que la sélection tricolore s’est inclinée sans gloire face à l’Espagne, en quart de finale de l’Euro 2012. En fait, il ne reste même plus grand-chose de la compétition : les trois buteurs français en phase de poule, Samir Nasri, Jeremy Menez et Yohan Cabaye ont disparu des radars internationaux.

L’histoire du sport retient l’image de leurs bourreaux ibériques, soulevant finalement la coupe. Mais Internet garde autre chose en mémoire : une photo de Mario Balotelli, torse nu, muscles bandés sur la pelouse de Varsovie. L’avant-centre vient de marquer le deuxième but de l’Italie contre l’Allemagne en demi-finale (2-1). Suivra une lourde défaite contre l’Espagne. Peu importe. Sa figure iconique de gladiateur circule encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux, détournée dans tous les sens. Lucie Bacon n’est pas la dernière à s’en amuser. Pour se consoler du naufrage français, elle traque les blagues dans les replis de Twitter.

Crédits : Joern Fehrmann

Les fans de foot y sont en rodage. « Nous étions parmi les premiers et le ton était alors à peu près le même pour tous », se souvient Eddy Fleck. Le tournoi engendre dans le monde quelque 12 millions de tweets. En un an, le nombre de personnes à suivre des clubs sur le réseau social passe de 17 à 45 millions. Arrowgance commence à s’y rendre régulièrement en 2013, dernière année d’école de journalisme pour Hugo Guillemet. « Je parlais de sujets divers et je me suis recentré sur le football et l’OM progressivement », confie le premier. Le second s’y met pleinement en 2014, au moment de la Coupe du monde : « C’est la première compétition pendant laquelle ça a vraiment vanné, c’était archi-drôle. »

La correction du Brésil par l’Allemagne, 7-1, en demi-finale, devient la manifestation sportive suscitant le plus de tweets dans le monde entier cette année-là. « Le monde s’est uni pour tweeter dans la dérision, la joie, la consternation et l’incrédulité », écrit le Guardian. Sur Facebook, aucun événement n’avait jusqu’alors engendré plus de commentaires (3 milliards, contre 672 millions sur Twitter). Aussi, une « culture à part entière » prend-elle forme, selon Richard Whittall. Elle n’en est pas pour autant dénuée de filiation avec certains médias. « Twitter est une sorte d’extension de ce qu’on pouvait entendre à la radio dans le 606 de la BBC et sur le podcast du Guardian Football Weekly en Angleterre », détaille le Canadien. Et sans doute, dans L’After Foot en France.

Alors qu’il suivait au départ des journalistes et des joueurs, Hugo Guillemet s’en détourne pour leur préférer les blagues d’anonymes. Leurs auteurs gagnent parfois une vaste audience. À la télévision, personne n’aurait pourtant songé à leur donner la parole. « En 2015, je me suis aperçu que je ne suivais que des comptes délirants », s’amuse le journaliste de L’Équipe. Il estime que sa communauté a entre 15 et 25 ans. L’âge est toutefois aussi peu déterminant que le nom : avec ses 161 000 abonnés sur Twitter, Philousports est quadragénaire, bien qu’il promette avoir « 16 ans dans la tête ».

Aux manettes des médias officiels de Toulouse depuis 2006, Boris Laffargue a dessiné une stratégie soluble dans les réseaux sociaux. Sa parodie de La Nouvelle Star avec André-Pierre Gignac en candidat avait été reprise par Téléfoot à la fin des années 2000. En 2015, une simple conférence de presse fait plus de bruit. Devant les logos publicitaires du club, un agent présente la nouvelle recrue en provenance du Tonnerre de Yaoundé. « Excepté le petit problème avec l’alcool qu’il a eu il y a quelques années, je crois que c’est un joueur assez robuste », défend ce sosie de Marcelo, le latéral gauche du Real Madrid. L’intéressé se pince les lèvres pour ne pas rire. Car les deux hommes jouent un sketch avec la complicité du TFC : Thomas Njigol et Fabrice Eboué lui offrent ainsi une belle vidéo virale.

La même année, tandis que Lucie Bacon participe au lancement de Football Stories, les tweets d’Eddy Fleck sont repérés par les responsables de Winamax. Le jeune homme se met à leur service. « Ils m’ont laissé une grande liberté de ton », indique-t-il. « On essaye de pas tomber dans la méchanceté, mais l’objectif reste de faire rire et il faut être parfois un peu borderline pour ça. » Autrement dit, le site de paris sportifs frise la ligne rouge sans trop la déborder, là où les gérants d’Europorc et Le Groupe vit bien revendiquent une « totale liberté ». Liberté qu’un autre humoriste, Julien Cazarre, chérit trop pour accepter le contrat d’exclusivité proposé par RMC. Il a donc quitté la radio à l’été 2016. Révélé par Action discrète, le Toulousain aux 130 000 abonnés Twitter a façonné son personnage de satiriste en chef du foot français sur M6, BeINSport ou encore Canal+.

Pour ne pas se censurer, Hugo Guillemet dissocie son activité de journaliste, sérieuse, de ce qu’il lance presque systématiquement avec dérision sur Twitter. Hélas, la nuance n’est pas toujours claire pour les autres. Ses messages suscitent régulièrement la circonspection de confrères ou les critiques d’inconnus. « Au bureau, ça a fait grincer des dents à certains moment et on m’a conseillé de supprimer ceci ou cela, mais mes chefs ont compris que c’était du second degré. » L’homme de 29 ans explique refuser les démarches commerciales. Mais pour ceux qui ne sont pas journalistes comme lui, elles peuvent représenter une aubaine voire un objectif.

« J’ai collaboré avec l’OM pour un concours afin de faire gagner des places pour le match au Vélodrome contre Monaco », cite en exemple Arrowgance. « Le lien s’est fait grâce au community manager du club, que j’adore. » Saïd, de PiedsCarrés, s’apprête à signer avec des marques pour « professionnaliser [sa page], gagner un peu d’argent et si possible en vivre ». Philousports est quant à lui aujourd’hui partenaire de PMU et de la Ligue nationale de rugby. Celle de football, en revanche, n’a pas goûté un tweet de janvier 2018 dans lequel il partageait une courte séquence de la rencontre entre les Girondins de Bordeaux et Lyon. « Pour la première fois de ma vie j’ai sauté mdr. Twitter > Lourdes », plaisantait ce Marseillais coincé sur un fauteuil par la myopathie. Son compte venait d’être rétabli à la faveur d’un grande mobilisation sur Twitter.

– eh cissou y’avait pas pén…. aiiiiiiii bravo fuck materrazzi fuck italia cissou maestro
– c bieng. pic.twitter.com/0xVDjf6OPo

— hugo (@hugoguillemet) April 11, 2018

Maintenant qu’il est mûr, les marques cherchent sans surprise à capter ce public. « Tout le monde se rend bien compte que ce sont les vannes qui fonctionnent pour avoir de la visibilité », observe Hugo Guillemet. « Winamax, Betclic, PMU ne font presque que des tweets second degré. De grandes firmes comme Décathlon ou Carrefour s’y mettent. Même Les Produits Laitiers, qui représentent quand même le lobby du lait, fabriquent des blagues avec des images de PNL. » Coca-Cola confie déjà son argent et son carnet d’adresses à Football Stories depuis 2015.

Même s’il ne sont pas sous contrat avec le géant des sodas, un certain nombre de joueurs entrent en phase avec le ton décalé du site, que ce soit par goût ou par intérêt. « Des agents me contactent pour organiser une interview », témoigne Lucie Bacon. En retour, la rédactrice en chef veille bien sûr à ne pas les égratigner. Elle assure de toute façon n’avoir « personnellement jamais eu de problème à cause d’une blague ». La croissance exponentielle des profils sur Twitter et de sa communauté l’a en revanche rendue « moins cash ». Maintenant qu’il y a « beaucoup de gens décalés sur Twitter, c’est plus difficile de se distinguer », pointe-t-elle. D’autant que les marques essayent de s’approprier ce ton. « Certaines réussissent, d’autres non », constate Richard Whittall. Le journaliste canadien marque une pause, pensif. « Le sport sera toujours génial sur Twitter. »


Couverture : Tarun Ram/Unsplash/Ulyces.co