Le jeu de construction et d’aventure Minecraft est aujourd’hui le jeu vidéo le plus vendu du monde. Mais « le futur de Minecraft va bien plus loin que le jeu » selon la directrice du studio, Helen Chiang. « Nous nous basons sur la force de notre communauté, de nos partenaires et la responsabilité que nous ressentons de donner les moyens aux gens d’utiliser Minecraft pour avoir un impact positif sur le monde », a-t-elle proclamé lors de son passage sur la scène au Web Summit de Lisbonne ce mercredi 7 novembre.

Minecraft donne en tout cas des pistes pour améliorer les villes dans lesquelles nous vivons.

Climate Hope City

D’en haut, on dirait une vaste forêt tropicale. Mais ce sont des toits, recouverts de jardins luxuriants. En dessous, des fermes verticales de plusieurs étages produisent des fruits et des légumes pour la population locale. Le long des routes, d’étranges constructions en forme de voiles aspirent le dioxyde de carbone présent dans l’air. Le long des canaux, des bateaux silencieux glissent sur des eaux cristallines.

Bienvenue à Climate Hope City, qui n’existe que dans Minecraft. Imaginée en 2015 par le célèbre joueur Adam Clarke, alias Wizard Keen sur YouTube, et cinq autres personnes pour le Guardian, cette ville a néanmoins été conçue comme un modèle réaliste de ville propre.

Réalisée en une centaines d’heures seulement, visionnée près de 56 000 fois et téléchargée près de 13 000 fois, elle a ainsi permis au journal britannique d’aborder le débat de l’avenir des villes de manière très concrète, en amont de la Conférence de Paris sur les changements climatiques.

« Nous voulions que Climate Hope City soit positive et futuriste tout en restant enracinée dans ce qui se passe actuellement dans la science de l’architecture et des changements climatiques », souligne Adam Clarke. Son jeu de prédilection ne permet d’ailleurs pas seulement de façonner les villes idéales de demain, mais aussi d’améliorer les villes d’aujourd’hui, qui sont pour leur part loin d’être parfaites.

Crédits : Climate Hope City

Dans les quartiers pauvres de Nairobi, au Kenya, l’eau potable et l’électricité sont rares. Peu d’enfants ont accès à l’école et les espaces publics ne sont pas fonctionnels. Autant de problèmes identifiés et en partie résolus par les habitants sur Minecraft avant de passer à l’action et d’ajouter de nouveaux chemins, du mobilier urbain et de vastes poubelles.

À Bombay, en Inde, les espaces publics souffrent d’un manque d’entretien. Le jardin de Lotus Garden était quant à lui complètement délabré. Alors ses usagers l’ont redessiné sur Minecraft. Il a été nivelé et planté. Une nouvelle barrière ainsi que des jeux pour enfants et des équipements de fitness pour adultes ont été installés.

À Tikok, quartier pauvre des Cayes à Haïti, la place de la Paix est carrément le seul espace public à la disposition de la population locale. Et elle était régulièrement submergée par les eaux. Alors les usagers de la place de la Paix ont imaginé une digue sur Minecraft pour protéger la  zone des inondations. Puis ils l’ont construite, et ajouté des toilettes publiques.

Or, le point commun de ces trois initiatives se trouve au sein de la fondation Block by Block.

Crédits : Block by Block

Block By Block

La fondation Block by Block permet, selon les termes employés sur son propre site Internet, « aux communautés de transformer les espaces urbains négligés en des lieux dynamiques qui améliorent la qualité de vie de tous ». Toute sa méthodologie repose sur Minecraft, « en tant que puissant outil de visualisation et de collaboration, qui engage activement les habitants du quartier ».

Cette fondation est née d’un partenariat entre les Nations unies et le studio de Minecraft. Et ce partenariat est issu d’un constat simple : ce sont les jeunes qui vivront dans les villes réaménagées par les Nations unies, mais il est généralement très difficile de les faire venir aux réunions publiques, et partager leurs idées et leurs envies.

Un jeu vendu à 50 millions d’exemplaires à travers le monde pouvant certainement les y encourager, la branche des Nations unies en charge de leur programme pour l’urbanisme, l’ONU-Habitat, a approché Mojang, le studio suédois à l’origine de Minecraft, en 2012. Celui-ci s’est tout tout de suite montré « réceptif », selon le responsable du numérique de ce programme, Pontus Westerberg.

Mais deux ans plus tard, en 2014, force est de constater que « la méthode Minecraft » ne touche pas seulement les jeunes. « Après une simple formation de base, la rapidité avec laquelle les gens prennent le jeu en main est impressionnante », se félicite alors Pontus Westerberg. « C’est formidable de voir des groupes de personnes s’asseoir autour de l’ordinateur et travailler de la sorte. »

Crédits : Block by Block

« Certaines personnes voulaient que nous utilisions des logiciels de conception plus classiques tels que 3D Studio Max, mais je pense que l’élément multijoueur est vraiment fascinant », ajoute-t-il. « Les gens participent à un jeu ensemble et jouent des rôles comme dans la vie réelle. Ils sont les concepteurs, les constructeurs et les gestionnaires des projets. »

Aux Cayes, ce sont des pêcheurs « qui ne savaient ni lire, ni écrire et qui n’avaient jamais utilisé un ordinateur de leur vie » qui ont réinventé la place de la Paix. À Bombay, le nouveau jardin de Lotus Garden a eu tellement de succès que son accès a dû dans un premier temps être limité. À Nairobi, le gouverneur a été contraint de s’engager à la revitalisation de soixante espaces publics à travers la ville.

Mais les Nations unies ne sont pas les seules à avoir compris le potentiel de Minecraft en termes de réaménagement des territoires et de réappropriation de ceux-ci par les populations. L’Australie méridionale a par exemple invité les élèves de primaire à l’aider à revoir ses parcs en les modélisant sur Minecraft en 2015.

Drôle de destin pour un jeu vidéo mis au point par un développeur suédois pendant son temps libre.

RubyDung

En 2009, le développeur suédois Markus Persson, alias Notch, a 30 ans et travaille à la conception d’un jeu vidéo baptisé RubyDung. Il s’inspire d’abord de Dungeon Keeper, Dwarf Fortress et Rollercoaster Tycoon. Puis, il tombe sur Infiniminer, qui se base sur un monde entièrement destructible et constitué de blocs.

« Au sein du studio, tout le monde est passionné par l’impact que peut avoir Minecraft sur le monde »

« Mon Dieu », écrit Markus Persson sur son Tumblr, « je me suis rendu compte que c’était le jeu que je voulais faire… J’ai essayé d’implémenter un simple moteur à la première personne dans ce style, en réutilisant un peu de l’esthétique et du code (mais pas autant on pourrait le penser) de RubyDung. »

Le succès est immédiat. Il permet au développeur de quitter son job et de fonder Mojang, racheté en 2014 par Microsoft pour 2,5 milliards de dollars. « Nous savions déjà que Minecraft renfermait beaucoup plus d’opportunités que ce qu’il présentait à cette époque », nous a confié Helen Chiang à Lisbonne.

« Minecraft faisait déjà des choses en faveur de l’éducation, mais nous savions que Microsoft pouvait aider à développer cet aspect-là du jeu », poursuit-elle. « Ce sont des choses dans lesquelles nous avons beaucoup investi. » Et de fait, Minecraft est certainement devenu le jeu vidéo préféré des enseignants. Il leur permet d’aborder les notions de périmètre, d’aire et de volume, d’explorer des civilisations disparues, ou encore de tester les connaissances des élèves en matière de probabilités.

De sorte qu’il a officiellement fait partie du programme d’un collège de Stockholm et intégré 200 écoles irlandaises. Et si le partenariat avec Block by Block existait déjà au moment de l’acquisition de Mojang, « c’est quelque chose que nous essayons de développer sans cesse », affirme Helen Chiang, rappelant que la fondation a aujourd’hui mené des projets à terme dans plus de trente pays à travers le monde.

Crédits : MSPoweruser

Pour elle, le succès de Minecraft repose sur le dynamisme de la communauté de ses joueurs et ses possibilités de création quasiment illimitées. « Au sein du studio, tout le monde est tellement passionné par l’impact que peut avoir Minecraft sur le monde que nous ne sommes jamais à court de nouvelles idées », dit-elle. « Le challenge est en fait de choisir ce que nous allons faire ensuite, il y a tellement d’idées supers. »

Le dernier de ces choix s’est fait en août 2018, à la faveur de la sauvegarde du corail, avec l’Update Aquatic qui plonge les joueurs de Minecraft dans les océans, et un nouveau partenariat, cette fois entre Microsoft et l’organisation dédiée à la protection de l’environnement The Nature Conservancy.


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