Crise au Venezuela

Le 3 mai 2017, au Venezuela. Comme tous les jours depuis plus d’un mois, des milliers de jeunes sont descendus dans les rues de la capitale, Caracas, pour réclamer des élections anticipées et le départ du président Nicolás Maduro. Ce dernier vient d’annoncer son intention de faire modifier la Constitution du pays, preuve supplémentaire, selon ses opposants, de ses visées dictatoriales. Leur colère est d’autant plus palpable qu’elle est violemment réprimée.

Ce jour-là, sur la place Altamira, les manifestants parviennent à s’emparer d’une moto de la Garde nationale et à l’incendier. Parmi eux se trouve le photographe de l’Agence France-Presse (AFP) Ronaldo Schemidt. Il a quitté le pays il y a 18 ans et travaille maintenant au bureau de Mexico, mais l’équipe locale lui a demandé de l’aider à couvrir la vague de manifestations de Caracas. Il tourne le dos à la moto enflammée lorsqu’elle finit par exploser. « De la chaleur, un éclair » : Ronaldo Schemidt saisit son appareil photo et commence à mitrailler la scène sans savoir ce qu’il s’y joue.

Le photographe Ronaldo Schemidt
Crédits : AFP

« Ce n’est qu’après quelques secondes que j’ai réalisé qu’il y avait une personne en flammes au milieu du brasier », raconte-t-il en effet. Sur l’une des photographies qu’il a prises, on voit cette personne courir le long d’un mur de briques, où se détache un graffiti tragique : un pistolet tirant le mot paz, « paix » en espagnol. Il s’agit d’un homme. La peau soyeuse de son bras encore indemne trahit sa jeunesse, mais un masque à gaz dissimule son visage, nous épargnant ainsi son effroi.

Un an plus tard, cette photographie, intitulée « Crise au Venezuela » est devenue l’allégorie d’ « un pays qui brûle ». Le 12 avril dernier, elle a été élue photo de l’année par le World Press Photo. Parce qu’ « elle déclenche une émotion instantanée », ont expliqué les jurés. Leur présidente, la journaliste Magdalena Herrera, chef du service photo du magazine Geo France, l’a décrite comme « une photo classique, mais qui a une énergie et une dynamique instantanée ».

Son protagoniste, un étudiant en biologie de 28 ans appelé José Victor Salazar Balza, a survécu à ses brûlures. Sur un autre cliché, celle de Juan Barreto, également photographe pour l’AFP, on peut le voir roulé en boule sur le sol tandis que des manifestants tapent courageusement son corps de leurs mains nues pour tenter d’apaiser les flammes qui le dévorent. Il a ensuite reçu 42 greffes de peau.

José Victor Salazar Balza est toujours en soins, chez lui à Ciudad Guayana, dans le sud du Venezuela. Il refuse tout contact avec la presse et, selon sa sœur Carmen, ne veut plus entendre parler de la manifestation du 3 mai 2017. Quant à Ronaldo Schemidt, il « ressent des émotions contradictoires ». « J’étais vraiment choqué par ce que je voyais. Je n’avais jamais assisté à quelque chose d’aussi violent. C’est un reflet de ce qui se passait alors au Venezuela. Et maintenant c’est encore pire. »

Un pays qui brûle

Le Venezuela a véritablement pris feu le 30 mars 2017, lorsque le Tribunal suprême de justice, qui est aux ordres du gouvernement, a aboli le pouvoir législatif de l’Assemblée nationale, où l’opposition était majoritaire depuis un an. Ce coup d’État institutionnel a eu l’effet d’une étincelle dans un pays au bord de la banqueroute malgré ses abondantes réserves de pétrole, les premières du monde. Ou plutôt à cause d’elles, à en croire le spécialiste de l’Amérique latine Jean-Jacques Kourliandsky.

Un manifestant face à la garde nationale vénézuélienne en 2017
Crédits : Efecto Eco

« Le problème de fond du Venezuela, c’est la monoculture pétrolière. Le pays n’a pas anticipé la baisse du cours du pétrole, la chute de la demande chinoise… Et n’a jamais cherché à diversifier son économie. Résultat, il est incapable de nourrir son pays. Il importe tout sans avoir les fonds nécessaires. Il y a une pénurie de devises. Des échanges au noir avec la Colombie se développent et provoquent de nombreuses tensions aux frontières. »

Les pénuries alimentaires ont en effet poussé des dizaines de milliers de personnes à traverser ces frontières pour s’approvisionner en vivres et en produits de première nécessité. Le poids moyen des Vénézuéliens a diminué de cinq kilos en quatre ans. Et ils ne manquent pas seulement de nourriture, ils manquent aussi de médicaments. De nombreux traitements, du simple anti-inflammatoire à la chimiothérapie, sont devenus inabordables pour la plupart d’entre eux.

La dette de l’État vénézuélien envers le secteur pharmaceutique s’élève à environ cinq milliards de dollars. L’inflation bat des records. Selon le Fonds monétaire international (FMI), en 2017, la hausse de l’indice des prix à la consommation dépassait les 700 %. Le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) était négatif depuis 2014 et, de l’aveu même de Nicolás Maduro, « 2016 a été l’année la plus dure, la plus longue et la plus difficile que nous ayons connue ».

Cette crise économique a amplifié la violence dans le pays, qui serait le deuxième pays le plus violent au monde après le Salvador avec un taux d’homicides estimé à 91,8 pour 100 000 habitants, selon un rapport de l’Observatoire vénézuélien de la violence publié en 2016. « Nous avons également observé une augmentation des vols et des cambriolages ainsi que des agressions et des meurtres liés au manque de nourriture », précise son directeur, Roberto Briceño Leon.

Protestations contre le gouvernement Maduro à Maracaibo
Crédits : Wikimedia commons

Mais avant même la baisse du cours du pétrole, en 2014, les Vénézuéliens avaient déjà pris l’habitude de faire la queue plusieurs heures dans les supermarchés pour trouver des vivres et des produits de première nécessité. Cette année-là, des émeutes à Caracas ont fait 42 morts. Les émeutes de 2017 en ont fait 115. Elles ont également donné lieu à des cas de torture. Des manifestants placés en garde à vue dans l’État de Carabobo ont par exemple été obligés de manger des spaghettis aux excréments…

Barquisimeto

Aujourd’hui, à quelques semaines seulement de l’élection présidentielle, les rues de Caracas semblent calmes. Indifférentes, même. Celles de la ville de Barquisimeto aussi, selon le journaliste de l’AFP qui s’y est rendu le 2 mai dernier pour assister à un meeting du principal adversaire de Nicolás Maduro, Henri Falcón, militaire à la retraite de 56 ans et ancien gouverneur de l’État de Lara.

La situation du Venezuela ne s’est pourtant pas améliorée. Comme le dit Ronaldo Schemidt, elle a même empiré. Classé en défaut partiel par les agences de notation, le Venezuela est toujours confronté à l’inflation, attendue en 2018 à près de 14 000 % par le FMI, qui table sur une chute du PIB de 15 %. La pénurie d’aliments et de médicaments a poussé des centaines de milliers de personnes à fuir le pays.

« Pendant que les politiciens se cachent, de nombreux Vénézuéliens meurent de faim. »

« Comptez sur moi ! » lance Henri Falcón avec conviction, juché sur un camion équipé d’imposantes enceintes. « Je ne vous décevrai pas ! » Environ 500 personnes agitent des drapeaux de son parti, Avancée progressiste, et scandent son prénom tandis qu’il poursuit son discours : « Beaucoup d’hommes politiques n’ont rien à offrir au pays et appellent à l’abstention ou ne font rien. Pendant qu’eux se cachent, de nombreux Vénézuéliens meurent de faim. »

C’est un tacle à la Plateforme de l’unité démocratique, coalition d’opposition qui a décidé de boycotter l’élection présidentielle, demandant aux Vénézuéliens de « ne pas participer » et de « laisser les rues du pays désertes » en signe de « rejet du régime de Maduro et de la fraude électorale ». Comme elle, l‘Union européenne, les États-Unis et une grande partie de l’Amérique latine ont critiqué la décision du Venezuela d’avancer l’élection présidentielle, généralement organisée en décembre, dénonçant un manque de transparence et de garanties d’élections libres.

Mais Henri Falcón, lui, n’entend pas y renoncer pour autant. Sur ses tracts, on peut lire un optimiste « Si on vote, on gagne ». Outre l’indifférence et les appels au boycott, il doit néanmoins faire face au clientélisme du parti au pouvoir, le Parti socialiste unifié du Venezuela. Toujours selon l’AFP, celui-ci a multiplié ces dernières semaines les livraisons de nourriture à prix subventionnés dans les quartiers populaires, et accéléré l’inscription de nouveaux sympathisants.

Crédits : Diariocritico de Venezuela/Flickr

Le gouvernement de Nicolás Maduro, qui peut également compter sur le soutien de l’armée, tente par ailleurs de faire face à l’inflation. Il a augmenté, pour la troisième fois cette année, le salaire minimum, et pris temporairement le contrôle de la principale banque privée du Venezuela, Banesco. Une décision justifiée par les mandats d’arrêt lancés contre le président exécutif et quatre vice-présidents de cette banque, mais qui ressemble tout de même beaucoup à une stratégie électorale d’intervention dans la sphère financière.

Donnera-t-elle la victoire à Nicolás Maduro ? Réponse le 20 mai prochain.


Couverture : « Crise au Venezuela », par Ronaldo Schemidt. (AFP)