Dina Browner n’a pas diplôme de médecine mais tout le monde l’appelle « docteure ». Depuis qu’elle prescrit de quoi tranquilliser Snoop Dogg, cette Californienne de 42 ans est devenue une petite célébrité dans le monde des fumeurs de weed. Rien ne le laissait pourtant présager. Tracé par une somme de hasards, son parcours insensé démarre dans une famille juive bien sous tous rapports de la banlieue de Los Angeles, croise la pègre mexicaine et le rap américain, pour finir à Hollywood. Rencontre avec Dr Dina, inspiratrice de la série Weeds et militante de la légalisation du cannabis médical.

Les propos ayant servi à réaliser cette story ont été recueillis par Servan Le Janne au cours d’un entretien avec Dina Browner. Les mots qui suivent sont les siens.

Merci Snoop

J’ai grandi à Calabasas, une ville aisée du comté de Los Angeles, perchée sur les hauteurs de la vallée de San Fernando. On la connaît surtout parce qu’elle abrite les villas de stars comme Kanye West, Drake et Justin Bieber. Mais quand j’étais gamine, c’était un ennuyeux refuge pour familles californiennes fortunées. Ma mère est psychologue, mon père courtier hypothécaire. Mes parents ne buvaient pas, ne prenaient pas de drogue et j’étais moi-même une fille bien rangée. J’ai même reçu le prix de l’élève la plus fayote au collège ! C’était le temps de l’insouciance : l’odeur du cannabis n’est pas venu chatouiller mes narines avant le lycée.

Snoop Dogg et Dr Dina

En 1990, alors que j’avais 15 ans, je me suis rendue chez un ami après les cours. Son père s’appelle David Kenner et si ce nom vous dit quelque chose, c’est qu’il a notamment été l’avocat de Suge Knight et du label Death Row au moment de la mort de Tupac Shakur. Dans le jardin, je suis tombée sur un de ses clients : c’était Snoop Dogg. Avec un sourire de renard, il m’a dit qu’il allait rouler un blunt. Je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était mais je lui ai conseillé d’aller fumer derrière les buissons. Il m’a invité à le suivre et quand il a allumé son joint, j’ai tout de suite pensé, le cœur battant la chamade : « Oh mon Dieu, c’est de la weed, je vais aller en prison ! » En voyant mon visage se décomposer, il s’est imaginé que j’allais aller le raconter. Pour éviter que je ne dise quoi que ce soit, il m’a fait fumer. C’était ma première fois.

Par la suite, je n’ai pas beaucoup fumé. J’ai suivi un parcours très classique pour une jeune Californienne aisée. Après mes études de design et de merchandising, j’ai travaillé un temps dans le monde de la mode. Je vendais des vêtements dans une boutique de luxe, ce qui aidait les gens à se sentir bien, de l’extérieur. Mais pendant ce temps, ça n’allait pas chez moi. Mon mariage avec le riche héritier d’une entreprise de service aux personnages âgées était en plein naufrage. Lorsque nous nous sommes séparés, je suis retournée vivre chez mes parents.

C’est à ce moment-là, en 2002, que j’ai reçu l’appel d’un ami qui était atteint d’un cancer. Il m’a confié qu’il voulait abandonner le combat, et il me demandait de lui procurer un flingue pour mettre fin à ses jours. Évidemment, je ne pouvais pas me résoudre à faire une chose pareille. À la place, je lui ai apporté un joint. Ça l’a soulagé en quelques minutes. Il était ravi sur le coup, mais il cherchait un moyen durable d’obtenir de l’herbe pour tenir la douleur en respect. C’est ce qui m’a donné l’idée d’ouvrir un dispensaire.

Avant le mois de décembre 2017, en Californie, n’importe qui pouvait aller voir un docteur et tenter d’obtenir une prescription pour soigner une douleur avec du cannabis médical. Il était ensuite possible de faire pousser soi-même de la weed en achetant des graines à un dispensaire. Souvent, les particuliers ne fumaient pas tout et ramenaient donc une partie de leur production au dispensaire, afin que l’excédant de plante puisse servir à d’autres.

Aujourd’hui, il n’y a plus besoin de passer par un cabinet médical. Ça m’a un peu effrayé au début, je craignais de n’avoir affaire qu’à des curieux cherchant à se défoncer. Or mon but premier est d’aider les gens à se soigner. Mais j’ai réalisé que nombre de mes nouveaux clients avaient juste peur de demander du cannabis à leur médecin auparavant. En revanche, ils ne peuvent plus se fournir qu’auprès des entreprises détenant une licence.

C’est mon cas, et c’est ce qui me permet notamment de continuer à vendre de la weed à Snoop Dogg.

Dr Dina et Ms Botwin

Snoop et moi sommes restés en contact. Chaque année, je lui donne un document prouvant qu’il a bien eu ce qu’il fume de manière légale. C’est lui qui m’a donné le surnom de Dr Dina, bien que je n’ai aucun diplôme de médecine.

Je lui ai sauvé la mise plus d’une fois. Parce qu’il est Snoop Dogg, il s’imagine qu’il n’a pas besoin d’avoir avec lui son permis de fumer. Mais les flics le lui réclament ! J’en ai toujours une copie avec moi et je suis là pour l’envoyer ou parler à la police s’il faut. Quand les gens lui demandent comment il fait pour ne pas se retrouver en prison alors qu’il est de notoriété publique qu’il fume beaucoup, il répond : « Merci Dr Dina. » De mon côté, avoir un client fidèle si prestigieux m’a aidé à agrandir ma clientèle.

Dr Dina et B-Real, de Cypress Hill

Un jour, j’ai même cru qu’il s’était mis à me faire de la publicité. C’était en 2005. J’ai croisé un panneau publicitaire dans une rue de Los Angeles qui a attiré mon attention. Dessus, on pouvait voir une brune qui me ressemblait beaucoup, et le mot « Weeds » en gros à côté d’elle. J’ai paniqué et tout de suite appelé Snoop pour lui demander s’il m’avait fait une blague. Il m’a répondu : « T’es folle, je t’aime beaucoup mais une publicité pareille ça coûte très cher. » Je me suis donc renseigné.

La brune de l’affiche s’appelait en réalité Mary-Louise Parker et c’était l’actrice principale d’une nouvelle série intitulée Weeds. Son personnage, Nancy Botwin, vivait des histoires étrangement similaires aux miennes. Et quand j’ai jeté un œil aux personnes créditées au générique, j’ai reconnu des noms familiers. C’étaient mes clients ! D’un côté, c’est très cool qu’ils se soient inspiré de moi pour la série. J’étais flattée. Mais de l’autre, Nancy Botwin vend de la drogue à des gosses, chose que je ne ferais jamais.

Elle prend aussi la tête d’un cartel dans la série, ce n’est évidemment pas mon cas. Quoi qu’une fois, j’ai bien failli avoir des problèmes…

Des narcos à Hollywood

Quand j’ai ouvert mon dispensaire, je n’avais pas beaucoup de « produits » à écouler. Et peu de temps après, un mec est venu en me présentant de l’herbe. J’ai accepté sa marchandise et j’ai commencé à la vendre, en pensant le payer après. Mais quand je suis revenu vers lui avec l’argent, il a refusé en rétorquant qu’il était maintenant associé de l’entreprise. Ce n’était pourtant pas ce qui était prévu. Pour me convaincre, il a pointé un flingue sur moi, mais je n’ai pas cédé et j’ai finalement réussi à m’en débarrasser. J’ai ensuite appris qu’il était membre d’un cartel mexicain. Depuis, je fais plus attention à mes fournisseurs.

Dr. Dina n’a pas peur de bousculer l’ordre établi
Crédits : Dr Dina

À dire vrai, je suis plus effrayée par le gouvernement fédéral que par la mafia. Beaucoup de gens sont envoyés en prison pour simple détention de cannabis dans notre pays. Quand je me suis lancée, j’ai fait la rencontre de Stephanie Landa, une femme juive très douce qui me rappelait ma mère. Elle m’a confié qu’elle allait devoir aller en prison pour cinq ans car elle cultivait du cannabis, bien qu’elle ne fumait pas beaucoup.

Lorsqu’elle est sortie, nous avons parlé de toutes les choses terribles qu’elle avait dû endurer en détention. Aux États-Unis, vous devez tout payer : votre nourriture, votre dentifrice, etc. Votre famille allonge l’argent. De votre côté, vous travaillez pour presque rien. On vous donne quelque chose comme un dollar la journée pour dix heures de travail. Ça vous fait moins de cinq dollars par semaine hors taxe, hors des murs on appellerait ça purement et simplement de l’exploitation.

J’ai également rencontré un mécanicien qui avait réparé un camion ayant servi pour transporter de la marijuana. Il venait d’être condamné à la prison à vie seulement parce qu’il avait travaillé sur le camion ! Donc Stephanie Landa a commencé une collecte pour lui venir en aide. Sauf que ce n’était pas simple. À un événement où elle s’était rendue pour récolter de l’argent, je lui ai donné 100 dollars. Je suis passé voir combien elle avait à la fin : 111 dollars. Après ça, nous avons carrément créé une association baptisée Freedom Grow.

7 % des gens qui ont déjà essayé la weed connaîtront la prison à un moment de leur vie.

Grâce aux dons, 50 personnes reçoivent entre 50 et 100 dollars chaque mois. Il y a notamment ce monsieur qui a 86 ans dont 34 passés derrière les barreaux. Il est en fauteuil roulant. Pourquoi le garde-t-on en prison ? L’argent recueilli lui a permis de s’acheter des classiques de Frank Sinatra et un lecteur MP3. Il a pleuré pendant trois jours. Ça faisait des années qu’il n’avait pas entendu de musique.

On estime que 7 % des gens qui ont déjà essayé la weed connaîtront la prison à un moment de leur vie. C’est énorme. Et, moi qui en vends et gagne ma vie grâce à cela, j’essaye de rendre un peu. En plus de la vente à des clients comme Snoop, 2 Chainz ou Charlie Hunnam, je donne des conseils aux créateurs de la série Netflix Disjointed, David Jeverbaum et Chuck Lorree. Ce dernier est aussi à l’initiative de The Big Bang Theory dont il a écrit la musique. C’est un génie. Ils ont fait appel à moi car ils voulaient que tout soit fidèle à la réalité. Mais comme c’est une fiction un peu folle, il y a des moments où ils se moquent de moi quand je leur donne des conseils trop sérieux.

En avril, je vais voyager dans de nombreux endroits du monde pour une émission sur 420TV. L’idée est de trouver les dispensaires qui ont la meilleur weed et de faire des trucs cool dans la ville où l’on tourne. Vous vous doutez bien qu’on ne viendra pas en France. Un jour, peut-être !

Une belle tête
Crédits : Dr Dina

Couverture : Dr Dina.