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Autogestion

Comment ça marche une école sans profs, sans cours magistraux, sans mentors ?

On fait quelque chose qui marche bien : on mise sur la collaboration. On parle beaucoup d’économie collaborative en ce moment, eh bien chez 42 on a choisi l’éducation collaborative. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’on met des gens ensemble, et qu’ils vont apprendre ensemble. Le savoir, il se fait sur Internet. Vous tapez n’importe quoi sur Google et vous aurez la réponse. Donc les cours ne servent à rien, vous trouverez en ligne les meilleurs cours du monde si vous avez envie d’apprendre. Mais on a pas envie de leur apprendre des trucs qu’ils savent par cœur, on a envie de leur apprendre à savoir développer, vivre et travailler ensemble, construire des projets ensemble et les réaliser ensemble. C’est ça qu’on a envie de leur apprendre.

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La Piscine a lieu ici
Crédits : IN&EDIT architecture

À partir de ce moment-là, le professeur ne nous intéresse pas, le cours magistral encore moins, on s’adresse à des jeunes qui sont parfois sortis du système scolaire à 10 ou 11 ans, et qui ne savent pas vivre avec des professeurs. En revanche, on leur demande toujours de travailler ensemble. La notation, de la même manière, ils la font entre eux. C’est-à-dire qu’à tout moment du jour et de la nuit, un certain nombre d’élèves sont là, prêts à corriger le travail d’autres élèves. La collaboration, qui est aujourd’hui largement acceptée en économie, nous choque encore quand on parle d’éducation, mais c’est ce modèle que nous avons choisi. Les gens nous disent parfois : « Pourquoi ne pas le faire de manière dématérialisée, à distance ? » Il se trouve que le système est accessible à distance si les élèves veulent travailler à distance, mais on s’aperçoit qu’en venant sur place, on va plus vite, on travaille mieux, tout simplement parce qu’on travaille avec d’autres et qu’on a besoin de travailler ensemble. C’est extrêmement important parce que ça aide à la motivation et à l’avancée.

Encore une fois, on a opté pour quelque chose d’assez radical, mais avec lequel on est à l’aise parce que ça marche. Je vais vous donner un autre exemple : l’école n’a pas de durée. C’est-à-dire que pour terminer l’école, il faut passer un certain nombre de niveaux, il y en a 21. Certains vont réussir à faire les 21 niveaux en deux ans, d’autres les feront en 5 ans, ils iront à leur vitesse. Certains sortiront en deux ans et trois mois, d’autres en trois ans et un jour. Quelle est l’idée derrière le supposé que tout le monde doit apprendre la même chose, le même jour à la même heure ? Ça ne correspond pas à une façon de faire intelligente. On n’est pas tous fait pareil, on ne peut pas tous apprendre ou avancer de la même façon. De la même manière, l’école s’adapte à la vitesse de chacun.

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La terrasse de 42 Paris
Crédits : IN&EDIT architecture

À quoi correspond un niveau ? La personne doit réaliser un projet, c’est ça ?

Voilà, c’est ça, ça ne marche que par projets. Au début, il y a quelques projets obligatoires, que tous les élèves sont tenus de faire, dans l’ordre et de manière séquentielle. Un projet, c’est quoi ? C’est une petite vidéo de présentation qui dure 5 minutes, accompagnée d’un fichier texte où l’on va dire à l’élève ce qu’on attend de lui et ce qu’il doit nous rendre. Certains projets sont à faire tout seul, mais la plupart sont à faire à plusieurs. Quand on finit un projet, on passe au projet d’après, et quand on en termine un autre, on passe au projet suivant. Après plusieurs projets, on peut choisir les parties de projets auxquelles on va s’attaquer ensuite. On n’est plus contraint de passer au projet suivant, chacun peut faire ce qui est susceptible de l’intéresser.

Donc si j’aime le graphique, je me tournerai vers un projet sur le graphique, et si j’aime gérer des bases de données ou si j’ai envie de comprendre comment ça fonctionne, je vais partir uniquement sur des projets de gestion de données qui m’intéressent. Au fur et à mesure que ces projets sont terminés, j’obtiens des points, et ces points vont me permettre de passer des niveaux. Ensuite, quand j’atteins un certain niveau – le niveau 7 –, je dois faire un stage. Je suis donc bloqué à ce niveau et je me retrouve dans l’obligation de faire un premier stage. Et quand j’atteins un autre palier, j’ai l’obligation de refaire un stage en entreprise de la même manière. On est sur quelque chose qui correspond complètement à un jeu vidéo dans lequel on a des niveaux à passer, dont certains sont obligatoires et d’autres guidés par nos choix. On a du coup des élèves qui sont tous formés différemment. Il y a énormément de projets, et les élèves ont beau travailler sur le leur les uns à côté des autres, à la fin ils sont tous complètement différents.

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L’antenne californienne de l’école
Crédits : AR architectures

Est-ce que c’est une façon d’apprendre qui existe déjà aux États-Unis ou bien c’est quelque chose de nouveau que vous importez là-bas ?

Quand vous allez aux États-Unis, en général vous avez toujours des Français dans les grands noms de la technologie. On est plutôt très bons en France. On a un vrai savoir-faire en France en termes de mathématiques et d’apprentissage du code. Alors si on arrive à l’exporter, c’est tant mieux. Nous ce qu’on aime, c’est de travailler à grande échelle, parce qu’on peut faire des tonnes de choses quand on a beaucoup d’élèves. Si vous avez moins d’élèves, la correction 24 h/24 ne peut plus fonctionner.

Et mettre à la tête de la nouvelle école 42 une ancienne de 42 Paris, c’est un hasard ou c’était une volonté ?

C’est une forme d’autogestion. Il règne une forme d’autogestion dans l’école, c’est-à-dire que très vite, les meilleurs élèves aident à son fonctionnement interne. Tous les étudiants de l’école développent des grands systèmes informatiques, les gèrent en interne, arrivent à les sous-traiter, etc. On demande systématiquement aux meilleurs élèves de nous aider.

42, c’est la réponse à la grande question sur la vie, l’univers et le reste.

Brittany Bir était une étudiante américaine brillante de 42, qui avait naturellement envie de retourner dans son pays un jour. Comme elle avait un super niveau, on lui a dit : « Écoute, tu as vu comment les choses marchaient, on t’aidera bien sûr mais est-ce que ça te brancherait de lancer ça ? » Elle fait partie des jeunes qui ont quitté les États-Unis parce qu’elle n’arrivait pas à accéder à leurs écoles. Sa famille n’en avait pas les moyens, donc sa chance, pour elle, c’était de venir étudier en France. Donc on est contents de faire ça parce qu’on espère que la prochaine fois, d’autres n’auront pas besoin de quitter leur pays pour faire une école si leur famille n’en a pas les moyens.

Le nombre magique

Y a-t-il aussi quelque chose de radical dans la façon dont vous organisez l’espace à l’école ?

Nous avons plusieurs éléments, qui sont pour certains des éléments pratiques, et pour d’autres des éléments de repère. Il y a déjà un aspect financier, car ce qui coûte le plus cher à l’école, c’est l’ameublement de l’espace, et nous voulions que l’école puisse bénéficier d’un maximum de jeunes. C’est le premier élément. Le deuxième, c’est qu’on veut qu’ils se parlent, qu’ils échangent. Et pour échanger, il faut qu’on puisse avoir accès à un maximum de personnes autour de soi. L’idée, c’est qu’un élève soit à portée de voix de sept personnes autour de lui sans qu’il ait besoin d’élever la voix. Après à côté de ça, vous avez besoin d’endroits pour dormir et d’endroits pour se détendre dans les alentours les plus immédiats pour qu’ils puissent travailler un maximum. Comme on leur demande de travailler jusqu’à 15 heures par jour, moins il y a de transport, mieux on se porte.

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Xavier Niel en 2014
Crédits : Christopher Michel

L’esprit est celui-là : il faut être capable d’avoir un espace qui soit sympa, où ils aient envie de venir et où ils se sentent bien, et dans le même temps qui permette une grande capacité d’échange et l’accueil d’un maximum de jeunes dans un même espace.

Pourquoi le nom de « 42 » ?

Ça vient d’un livre qui s’appelle Le Guide du voyageur galactique, il s’agit de la réponse à la grande question sur la vie, l’univers et le reste. Et puis 42, c’est un nombre magique. C’est vraiment important dans l’univers geek. Ça transparaît dans l’école, ça ne sort pas de l’univers geek, et on en est ravis.

Pour vous, au final, qu’est-ce que c’est un bon développeur aujourd’hui ?

Ce sont des gens à même de s’adapter. On a appris l’informatique à nos parents d’une autre manière, on leur a appris quelque chose qui correspondait à du par cœur. Et certaines personnes ont parfois du mal à s’adapter à un monde qui change, en conséquence. Parce que le langage de développement des gens d’aujourd’hui n’est pas le même que celui d’il y a trois mois. Ce qu’on leur apprend à la base chez 42, c’est le C, le langage le plus universel – le plus dur mais le plus universel. C’est un élément extrêmement important. Nous pensons, et je pense qu’on ne se trompe pas, qu’une fois qu’on leur a appris le C et le C++, ils seront capables de s’adapter à n’importe quel autre langage et qu’ils aborderont les autres langages comme plus simples. On commence par leur apprendre quelque chose de très dur en se disant qu’ils s’adapteront sans problème à quelque chose de plus simple. Un bon codeur est donc quelqu’un qui est avant tout capable de s’adapter à l’environnement logiciel de l’entreprise, qui est capable de travailler en groupe. Et puis on va leur demander d’avoir cette forme de logique qui leur permet de pondre un code propre et fonctionnel. C’est ce qu’on va détecter chez eux, cette logique, puis on va leur apprendre à la mettre en pratique au quotidien.

S’adapter, travailler en groupe, est-ce qu’au final ce ne sont pas les deux qualités les plus nécessaires pour travailler dans le numérique en général ?

Si, sûrement. Les gens nous disent souvent que nous pourrions faire ça pour des tas d’autres activités. Mais tous, collectivement, on connaît un truc : c’est le développement informatique. https://www.youtube.com/watch?v=9OKfktv3k-0


Couverture : 42 USA (AR architectures).


INTERVIEW D’ELON MUSK, L’HOMME QUI VEUT EMPÊCHER LES MACHINES DE PRENDRE LE POUVOIR

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En créant OpenAI, une équipe de recherche à but non lucratif, Musk et Y Combinator espèrent limiter les risques de dérive en matière d’intelligence artificielle.

Comme si le domaine de l’intelligence artificielle (IA) n’était pas déjà assez compétitif – avec des géants comme Google, Apple, Facebook, Microsoft et même des marques automobiles comme Toyota qui se bousculent pour engager des chercheurs –, on compte aujourd’hui un petit nouveau, avec une légère différence cependant. Il s’agit d’une entreprise à but non lucratif du nom d’OpenAI, qui promet de rendre ses résultats publics et ses brevets libres de droits afin d’assurer que l’effrayante perspective de voir les ordinateurs surpasser l’intelligence humaine ne soit pas forcément la dystopie que certains redoutent.

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L’équipe d’OpenAI
Crédits : OpenAI

Les fonds proviennent d’un groupe de sommités du monde de la tech, parmi lesquels Elon Musk, Reid Hoffman, Peter Thiel, Jessica Livingston et Amazon Web Services. À eux tous, ils ont promis plus d’un milliard de dollars destinés à être versés au fur et à mesure. Les co-présidents de l’entreprise sont Musk et Sam Altman, le PDG d’Y Combinator, dont le groupe de recherche fait aussi partie des donateurs – ainsi qu’Altman lui-même. Musk est célèbre pour ses critiques de l’IA, et il n’est pas surprenant de le retrouver ici. Mais Y Combinator, ça oui. Le Y Combinator est l’incubateur qui a démarré il y a dix ans comme un projet estival en finançant six startups et en « payant » leurs fondateurs en ramens et en précieux conseils, afin qu’ils puissent rapidement lancer leur business. Depuis, YC a aidé à lancer plus de mille entreprises, dont Dropbox, Airbnb et Stripe, et a récemment inauguré un département de recherche. Ces deux dernières années, l’entreprise est dirigée par Altman, dont la société, Loopt, faisait partie des startups lancées en 2005 – elle a été vendue en 2012 pour 43,4 millions de dollars. Mais si YC et Altman font partie des bailleurs et qu’Altman est co-président, OpenAI est néanmoins une aventure indépendante et bien séparée. En gros, OpenAI est un laboratoire de recherche censé contrer les corporations qui pourraient gagner trop d’influence en utilisant des systèmes super-intelligents à des fins lucratives, ou les gouvernements qui risqueraient d’utiliser des IA pour asseoir leur pouvoir ou même oppresser les citoyens. Cela peut sembler idéaliste, mais l’équipe a déjà réussi à embaucher plusieurs grands noms, comme l’ancien directeur technique de Stripe, Greg Brockman (qui sera le directeur technique d’OpenAI) et le chercheur de renommée internationale Ilya Sutskever, qui travaillait pour Google et faisait partie d’un groupe renommé de jeunes scientifiques étudiant à Toronto sous la houlette du pionnier du système neuronal Geoff Hinton. Il sera le directeur de recherche d’OpenAI. Le reste des recrues comprend la crème des jeunes talents du milieu, dont les CV incluent des expériences au sein des plus grands groupes d’étude, à Facebook AI et DeepMind, la société d’IA que Google a récupérée en 2014. Open AI dispose aussi d’un prestigieux panel de conseillers dont Alan Kay, un scientifique pionnier de l’informatique. Les dirigeants d’OpenAI m’ont parlé du projet et de leurs aspirations. Les interviews se sont déroulées en deux parties, d’abord avec Altman seul, ensuite avec Altman, Musk et Brockman. J’ai édité et mixées les deux interviews dans un souci de clarté et de longueur.

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