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Les hoaxers

Aux yeux de certains, le cancer exerce désormais un étrange pouvoir attractif. Les héros du best-seller pour jeunes adultes de John Green Nos Étoiles contraires sont ainsi des jeunes gens en phase terminale, dont les personnalités se révèlent à la fois drôles et profondes alors qu’ils doivent se confronter à la fatalité de leur destin. Sur le Web, certaines victimes du cancer sont devenues des célébrités. Depuis les débuts d’Internet, les malades et leurs familles ont partagé leurs histoires sur la toile dans le but de pallier à l’isolement que peut provoquer la maladie. Des centaines de pages de ce genre existent sur Internet et en grande majorité sur Facebook, la plupart relatant des faits authentiques.

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Un phénomène chez les jeunes ados

Nombre de ces groupes de discussion sont nés dans le but de communiquer avec leur famille, leurs amis et collègues, mais il n’a pas fallu longtemps pour que de parfaits anonymes s’intéressent à leur tour au sort de ces gens : les victimes du cancer les plus populaires comptent des dizaines de milliers de followers. Ils collectent des fonds en vendant des T-shirts et des autocollants pour pare-chocs, et parfois leur histoire a une telle portée médiatique qu’elle se trouve relatée dans des articles publiés dans des magazines mainstream. Cet intérêt pour les malades a inspiré des personnes dérangées, envieuses du statut « privilégié » qui leur est accordé : cette compassion face à la souffrance des personnes réellement atteintes d’un cancer, et l’admiration suscitée par leur « courage à mener ces combats ». « L’image héroïque qui est de plus en plus attribuée aux personnes ayant vaincu un cancer présente un attrait certain pour les victimes de troubles les poussant à jouer les malades imaginaires », écrit Marc Feldman dans son ouvrage Playing Sick.

En septembre 2012, Taylor Swift a écrit une chanson dédiée à Ronan Thompson, un petit garçon âgé de trois ans qui a succombé à un neuroblastome, intégrant aux paroles des extraits du blog très populaire tenu par la mère de Ronan. À peine la chanson sortie sur iTunes que des dizaines de blogs créés par des mères d’enfants à l’article de la mort ont subitement vu le jour : la plupart étaient en réalité tenus par des lycéennes fanatiques de Taylor Swift qui espéraient attirer l’attention de leur idole avec leur propre histoire tragique… L’équipe du blog Warrior Eli Hoax a mené son enquête sur nombre de ces blogs, bien qu’ils n’aient que rarement posté des informations concernant ces propagateurs de canulars adolescents. L’été 2012 arrivant, la boîte mail de Taryn Wright se remplissait de messages signalant des canulars potentiels. Elle en partageait les détails sur le groupe Facebook, afin que ses membres puissent également y jeter un œil. Diana Almanza, une mère au foyer de Caroline du Nord, avait rejoint ce groupe pour voir comment allait tourner l’affaire Emily Dirr. « Quand quelqu’un vous fait part de quelque chose qu’il suppose être faux, c’est difficile de rester sans rien faire », m’a-t-elle confié. « On ne peut pas l’ignorer. Ça vous prends aux tripes, je dirais. » Alors que les mois s’écoulaient, le groupe Warrior Eli Hoax et sa centaine de membres affûtaient leurs talents de détective. Ils ont enquêté sur un cavalier de rodéo à mi-temps atteint de leucémie, un jeune de 21 ans en phase terminale, ou encore un adolescent amnésique subissant « un traitement de chimiothérapie extrême », tous démasqués comme étant des menteurs. Certains de ces « hoaxers » se cachaient derrière des noms inventés et des photos volées, quand d’autres postaient sous leur propre nom et semblaient simuler un cancer jusque dans leur vie réelle. Certains des canulars étaient vraiment pathétiques, comme celui de cette femme qui jouait sur Internet le rôle d’un joueur de football mourant… et qui avait utilisé des photos de David Beckham pour son faux profil Facebook. Mais d’autres étaient bien plus élaborés et approfondis. Certains hoaxers allaient jusqu’à se raser la tête et acheter du matériel médical pour rendre leurs selfies hospitaliers plus réalistes. Ils ont été nombreux à tromper énormément de personnes. L’un d’eux avait été élu « malade de l’année » par la Société de leucémie et lymphome des États-Unis (US Leukemia & Lymphoma Society), et un autre a amassé des milliers de dollars grâce à des plateformes de crowdfunding.

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Le site du groupe
Crédits : Warrior Eli Hoax Group

Les détectives en herbe avaient appris à repérer les signaux révélateurs d’une supercherie : de prétendus malades du cancer chauves mais qui avaient toujours leurs sourcils, ou bien des gens malades supposés être sous stéroïdes, mais qui ne présentaient pas le visage bouffi typique de ce traitement. Dénoncer un menteur pouvait parfois prendre plus de 100 heures de recherche, à passer au crible les pages Facebook des hoaxers potentiels et à essayer de faire correspondre un nom et une adresse IP. « On veut toujours en être sûrs à 1 000 % », explique Almanza.

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En janvier 2013, Taryn Wright a invité une petite dizaine d’amis et de membres de sa famille à une fête organisée chez elle, à l’occasion d’un épisode de l’émission d’informations américaine 20/20 dont le sujet était les canulars sur Internet. Cet épisode parlait, entre autres, de l’affaire Dirr, et comprenait une interview de Wright, soit la première apparition de celle-ci à la télévision. Si Wright était soulagée après la diffusion de son interview, qui donnait bonne impression, l’émission a ensuite diffusé des images auxquelles elle ne s’attendait pas : une caméra cachée montrant Emily Dirr qui marchait dans la rue. Sa tenue était débraillée et elle avait l’air épuisé, loin de qu’on pouvait s’imaginer de JS Dirr, son alter ego virtuel plein d’assurance, avec ses tatouages, ses jumeaux et ses nombreuses conquêtes. Les amis et l’entourage de Wright ont éclaté de rire en la montrant du doigt. Mais pour sa part, Wright s’est sentie mal. « Elle était juste en train de marcher dans la rue en mangeant une barre chocolatée », déplore-t-elle. « Et tout le monde est là à se marrer et à dire : “Regardez-là, elle a l’air d’un troll. Elle doit passer son temps à manger des barres de chocolat.” Mais moi, je me dis qu’il a dû lui falloir du temps et de l’énergie pour reprendre sa vie en main, et que, d’un coup, elle s’est retrouvée sur Channel 7, un vendredi soir, avec toute l’Amérique qui se moquait d’elle. Et si ça avait été moi ? Ç’aurait été horrible. » Après la diffusion du programme, Wright s’est sentie de plus en plus mal en songeant aux responsabilités qu’impliquait le fait de s’insinuer dans la vie des gens.

À l’automne de cette année-là, son groupe s’est mis à la recherche d’une jeune femme dont le Tumblr détaillait son long combat contre le cancer, et qui récoltait de l’argent par le biais d’une page GoFundMe. Ses récits se sont avérés avoir été en grande partie volés à une blogueuse qui était, elle, réellement atteinte du cancer. Le groupe était parvenu à trouver le nom de la personne derrière le hoax, et ses membres étaient sur le point de rassembler des preuves imparables pour la dénoncer lorsque la jeune femme a annoncé sur son Tumblr qu’elle avait l’intention de mettre fin à ses jours.

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Taryn sur ABC News

Grâce à ses recherches, Wright a découvert que cette personne vivait en Floride avec son frère. Lorsqu’elle a annoncé son intention ferme de se suicider, la fondatrice du groupe a pris la décision d’appeler la police. « Bonjour, je m’appelle Taryn et j’habite à Chicago », a-t-elle annoncé  précipitamment au policier qui lui a répondu, craignant qu’on lui raccroche au nez. Mais elle a été agréablement surprise de voir son témoignage pris au sérieux. Après les fêtes de Noël, Elle a pris contact avec le frère de la jeune femme pour s’assurer qu’elle allait bien. Celui-ci lui a dit qu’elle avait été hospitalisée la veille de Noël afin de suivre un traitement, ce qui constituait une victoire pour Wright. Depuis, elle a signalé au moins trois autres hoaxers suicidaires à la police. Taryn Wright a également passé des heures à discuter avec des victimes de canulars. « Je démasquais des gens, et après je me sentais responsable. Je voulais m’assurer que tout le monde allait bien. Je ne me voyais pas ignorer les e-mails de gens atterrés ou en colère. Du coup, je me retrouvais à discuter au téléphone un bon moment après chaque affaire », raconte-t-elle. Elle a même noué des amitiés au téléphone avec certains auteurs de canulars, y compris une jeune femme prénommée Jazdia, qui avait inventé plusieurs grossesses et un cancer. Plus Wright passait de temps à parler avec les hoaxers, plus elle était convaincue qu’ils souffraient d’une maladie mentale. « Quand quelqu’un regarde sa vie et pense : “Je préfère inventer celle de quelqu’un qui est en train de mourir”, il y a quelque chose qui ne va pas. Je ne pense pas qu’ils aillent bien. Je ne pense pas qu’une personne heureuse se lance dans quelque chose de ce genre », déclare Wright.

Elle a appris à reconnaître le profil type d’un de ces charlatans : une femme seule d’une vingtaine d’années, souvent « un peu dodue », parfois en dépression. Ayant elle-même eu à faire face au surpoids et à la dépression, Wright voyait en certaines de ces femmes une version désespérée d’elle-même. En tant que figure de proue du monde des enquêtes autour des canulars sur Internet, Wright est devenue amie avec beaucoup de gens sur Facebook : des victimes de ces canulars, des confrères détectives, et même parfois les hoaxers eux-mêmes. Avoir toutes ces personnes regroupées dans la même pièce virtuelle s’est parfois avéré délicat. « Si Jazdia like une photo que j’ai postée, d’autres amis vont me poser la question : “Est-ce que c’est la même Jazdia dont tu parlais sur ton blog ?” Et je réponds : “Oui, en fait, nous sommes amies” », raconte-t-elle. « Ces gens ont fait de mauvaises choses, mais beaucoup de mes amis ont eux aussi fait des erreurs, et je ne vais pas m’éloigner d’eux pour autant. C’est vrai que ça doit paraître un peu bizarre, car je les ai justement rencontrés parce qu’ils ont commis des erreurs. Mais, d’après moi, il ne faut pas les réduire à cela. »

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Un bracelet Warrior Eli envoyé par Emily Dirr
Crédits : Warrior Eli Hoax Group

Les regrets

J’ai rencontré Wright l’été dernier dans la maison de ses parents, située dans la banlieue sud de Chicago. Ce jour-là, elle était en train d’enquêter à propos d’une femme qui avait publié des articles sous le pseudonyme Diabetic Gymnast et qui déclarait avoir subi, du haut de ses 20 ans, un nombre improbable de tragédies : plusieurs cancers, un beau-père abusif, un viol, ainsi qu’une rare maladie du sang. Wright lisait en diagonale ses posts relatant des tests sanguins et des tentatives de suicide avec un œil avisé. Quelque chose a semblé s’éveiller en elle lorsqu’elle a repéré un potentiel indice : une référence à un hôpital spécifique, une photo qui n’était pas convaincante. Wright est vive d’esprit et prompte à l’auto-dérision, deux qualités qui se complètent très bien pour ses écrits sur la toile. Elle peut également être obsessionnelle, capable de se souvenir précisément de chaque détail des affaires sur lesquelles elle a travaillées. En l’écoutant, j’ai été quelques fois perdue au milieu de ces drames exagérés et étrangement répétitifs : « Attendez, c’était le jumeau de qui, lui, déjà ? Est-ce que l’adoption était vraie ou inventée ? » Les personnes mordues d’investigation sur Internet forment une bande assez particulière, tour à tour nobles et bien-pensants, obsédés par la justice, et occasionnellement fanatiques. Leur intérêt pour les tragédies n’étant pas directement liées à leur vie (tout du moins, jusqu’à ce qu’ils s’y intègrent d’eux-mêmes) peut parfois sembler guidé par l’empathie, et d’autres fois par une certaine lubricité. Inévitablement, ce genre de communautés virtuelles se voient souvent secouées par leurs propres petits cyclones de querelles internes et de dramas.

Les relations entre les membres constituant le noyau dur du groupe Facebook Warrior Eli Hoax ont commencé à se détériorer.

Mais durant sa première année d’existence, il semblait que le groupe Warrior Eli Hoax était différent. Après l’incident unique impliquant Father James Puryer/Carissa Hads, aucune dispute ni aucun scandale n’a été à déplorer. Wright n’avait même pas besoin de modérer les commentaires. Mais au fil du temps, cela a commencé à changer. Le ton des commentaires est devenu plus agressif : « J’aimerais la frapper à la gorge », écrivait un membre du groupe à propos d’une arnaqueuse. « Je n’éprouve pour elle en tant qu’être humain que du mépris et du dégoût », disait un autre. (Ces deux personnes ont perdu des membres de leur famille proche à cause du cancer, précise Wright.) D’autre part, des personnes mentionnées sur le blog de Taryn Wright ont commencé à se manifester : pas seulement les auteurs des canulars, mais également leurs amis, leurs familles et, dans un cas, des gens qui n’étaient impliqués que de loin dans l’affaire. Les lecteurs de son blog ont fini par la contacter sur Facebook, parfois pour déverser leur colère, parfois par simple curiosité. « Les gens s’estiment en droit de connaître la vérité, sans voir que ces histoires impliquent des personnes réelles », explique Wright. « Tout le monde se prend un peu pour le journaliste qui débarque avec sa caméra et demande : “Votre enfant a été heurté par une voiture, quel est votre ressenti ?” »

À peu près à la même période, les relations entre les membres constituant le noyau dur du groupe Facebook Warrior Eli Hoax ont commencé à se détériorer. Si Wright appelait à la sympathie envers un hoaxer, d’autres membres du groupe y répondaient très défavorablement. « J’ai constaté une montée en puissance de l’esprit de lynchage envers les personnes identifiées comme étant des menteurs. Le fait de poster des informations personnelles sur d’autres personnes dans le groupe principal a commencé à me poser problème, car je voulais être certaine que les gens qui m’aidaient à enquêter étaient sur la même longueur d’ondes que moi, à savoir : être dans une démarche éducative, aider les gens à aller mieux, et non pas chercher à se venger », explique-t-elle. Parler de la décadence du groupe Facebook est très pénible pour Wright. Elle considérait beaucoup de ses camarades détectives comme des amis. La plupart d’entre eux, insiste-t-elle, sont des personnes respectables. « Je peux comprendre leur énervement. Ils ont soutenu leur propre enfant durant son combat contre la leucémie. Ils l’ont d’abord vu perdre ses cheveux, puis sa vie. Le fait que quelqu’un mette en scène une fausse maladie, utilise des photos d’un enfant décédé du cancer pour prétendre qu’il s’agit de son propre enfant, a un impact bien plus conséquent sur eux que sur moi. Je ne peux pas me permettre de leur dire : “Ne réagissez pas comme ça” », déclare-t-elle. « Et je ne veux pas réagir de cette manière non plus. » internet_hoaxers_1a La gentillesse d’inconnus a aidé bien des familles à financer le traitement de gens malades, à récolter des fonds pour la recherche, et s’est avéré un soutien bienvenu lors de périodes difficiles. Cependant, au travers de son travail visant à dénoncer des canulars, Wright a découvert à quel point la communauté de la lutte contre le cancer sur la toile pouvait parfois se montrer cruelle. Alors qu’elle était de plus en plus connue sur Internet, elle a reçu des messages lui demandant d’enquêter sur des parents. Beaucoup de ces e-mails mentionnaient une femme en particulier, laquelle postait régulièrement, sur des sites web caritatifs, des messages demandant des jeux vidéo pour son fils, Jayden, qui présentait des difficultés d’apprentissage. « Je recevais environ dix messages par jour qui la concernaient, me demandant de vérifier ceci, de m’assurer de cela », se souvient Wright. Le souci était que la mère de Jayden n’était pas une menteuse. « Leur problème n’était pas la légitimité de la maladie du garçon », explique Wright. Les détracteurs de cette femme l’avaient en réalité accusée de demander trop de jeux vidéos, et celle-ci avait répondu à leurs commentaires méprisants de façon plutôt agressive.

De tels accès de colère, au sein d’une communauté où tout n’est que gratitude, emojis cœurs et citations inspirantes sur le thème de l’espoir, sont perçus comme un comportement déviant. Ce conflit a quelque peu perturbé Wright. La communauté semblait simplement ne pas apprécier la mère de Jayden et s’acharnait sur elle. « Si un parent ne se montre pas absolument irréprochable, ou se comporte décide de s’énerver, on voit naître des groupes comme Bannissez “Hope for Jayden” », explique Wright. « Ou bien on tapera le nom de cette femme sur Google pour découvrir qu’elle a été arrêtée pour je ne sais quelle raison dans les années 1990 et, à chaque fois qu’elle postera pour donner des nouvelles de son enfant, qui est réellement malade, quelqu’un fera référence à son arrestation de 1991 dans les commentaires. C’est dingue. »

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Taryn devant la porte de chez elle
Crédits : Max Herman/Demotix

Taryn Wright elle-même a été la cible de harcèlement. En avril 2013, elle a reçu un courrier tout aussi inattendu que malvenu : une lettre recommandée de la part d’un avocat menaçant de la poursuivre en justice pour diffamation suite à ses posts relatifs à une fausse malade du cancer nommée Chelsea Hassinger. Mais lorsqu’elle a regardé le courrier plus en détails, elle a constaté que quelque chose ne collait pas. La lettre avait l’air d’avoir été imprimée sur une feuille de papier d’imprimante ordinaire. « Ça ne ressemblait pas à un papier officiel », raconte-t-elle. Le nom du cabinet d’avocats lui ayant adressé le courrier n’a donné aucun résultat sur Google. En revanche, lorsqu’elle a appelé le numéro inscrit sur l’en-tête de la lettre, la boîte vocale lui a indiqué qu’elle était en relation avec le cabinet d’avocats Gorman and Rickman. S’il s’agissait d’une blague ou d’une arnaque, elle était pour le moins sophistiquée. Plus Wright se penchait sur le problème, plus elle était convaincue qu’il s’agissait d’une fausse lettre, mais elle n’en était pas moins effrayée. La personne derrière ce courrier voulait clairement l’intimider, et savait où elle habitait. Peu de temps après, elle a découvert les blogs intitulés : « la vérité sur Taryn Wright » et « Taryn Wright se trompe », entre autres.

Quiconque était l’auteur de ces blogs y avait inclus des photographies peu avantageuses datant de l’ancien blog (aujourd’hui supprimé) de Wright traitant de sa perte de poids, ainsi que des informations privées sur sa sœur. Ce blogueur vengeur avait été jusqu’à envoyer des messages à tous les amis Facebook de la jeune femme, l’accusant d’être une menteuse. Cette campagne de harcèlement a duré environ quatre mois avant de s’essouffler. Wright déclare que la même personne (l’ami d’un hoaxer en colère) était à l’origine des blogs et de la fausse lettre, mais refuse d’en dire davantage de peur d’entraîner plus d’hostilité. Mais cette expérience l’a clairement secouée. « Je savais qu’on révélerait certainement des choses à propos de moi, et j’étais prête à prendre ce risque », dit-elle. « Mais ne postez rien sur mes sœurs. Ne postez rien sur les personnes auxquelles je tiens. » Alors qu’elle devait gérer à la fois les détectives en quête de vengeance, la personne qui la harcelait sur internet et les victimes de canulars désemparées qui l’appelaient à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, la chasse au canular est devenue beaucoup plus compliquée pour Taryn Wright qu’elle ne l’était au départ. Pendant qu’elle me racontait ces histoires, je m’imaginais les arnaqueurs et les traqueurs de canulars devant leurs ordinateurs au beau milieu de la nuit, la lumière bleutée de leurs écrans éclairant leurs visages d’une lueur surnaturelle alors qu’ils s’immergeaient dans des vies qui n’étaient pas les leurs.

En juin 2013, Wright a supprimé tous les membres du groupe Facebook Warrior Eli à l’exception de quatre personnes et d’elle-même, parmi lesquelles Diana Almanza. Les membres restants sont tous des collaborateurs dévoués dont les talents d’enquêteurs sont avérés et qui, avant tout, sont unanimement d’accord sur la façon d’aborder les hoaxers. À présent, le groupe choisit généralement de mener ses recherches et de résoudre l’affaire sans en faire mention sur le blog. Seuls quelques canulars particulièrement flagrants font l’objet d’un article. « Nous ne voulons pas qu’ils soient diabolisés », explique Almanza. « Ils souffrent d’une maladie mentale. Ils font de mauvaises choses, c’est certain, et il y a des moments dans votre enquête où vous êtes vraiment en colère contre eux. Mais j’espère, pour eux tous, que le fait d’être dénoncé, et d’être amené à suivre un traitement, leur permettra d’aller de l’avant et d’avoir des vies plus productives, d’être plus heureux. »

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La lettre d’avocat reçue par Taryn
Crédits : Taryn Wright

Wright n’a plus eu d’emploi à temps complet depuis que son blog a décollé. Elle a postulé à de nombreuses offres, mais à chaque fois qu’elle est sur le point de décrocher le poste, arrive un moment où son patron potentiel prend un regard peiné pour lui dire quelque chose du genre : « Alors, nous avons fait une recherche sur vous sur Google… » J’ai demandé à Wright si elle avait déjà regretté ce coup de tête sur lequel elle a décidé de créer son blog, ce jour de mai 2012. « Je ne sais pas », m’a-t-elle répondu après un long silence. « Je suis fière de ce que j’ai accompli. Je pense que je me suis lancée là-dedans avec de bonnes intentions. Je pense avoir continué avec de bonnes intentions. J’ai rencontré des gens formidables, des gens qui resteront mes amis à jamais. » Mais dans le même temps, ses propres mésaventures de harcèlement lui ont donné une certaine empathie pour les hoaxers qu’elle a dénoncés. « Cela m’a fait un effet terrible… Alors qu’est-ce que ça fait aux gens sur lesquels j’écris ? Beaucoup de personnes m’ont dit que c’était complètement différent, car moi je n’avais rien fait de mal. Mais peu importe, on doit ressentir la même chose. Et c’est une chose horrible. »


Traduit de l’anglais par Marie Le Breton d’après l’article « Cancer cons, phoney accidents and fake deaths: meet the internet hoax buster », paru dans le Guardian. Couverture : Taryn Wright sur ABC News.


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