« Johnny est mort ? Oh non ! Mais quand ? » C’est ainsi que Robert Wise, le réalisateur de La Canonnière du Yang-Tsé, tomba des nues en apprenant la mort de son ancien copain John Sturges. Celui-ci avait été pourtant l’un des réalisateurs les mieux payés d’Hollywood, mais il avait quitté le milieu après la sortie, en 1976, de L’Aigle s’est envolé. Lorsqu’il est mort en 1992, tout le monde l’avait oublié. Pourtant, sans John Sturges, il n’est pas certain que Steve McQueen serait devenu l’incarnation du cinéma américain des années 1960. De vingt ans plus vieux que l’acteur, le réalisateur fut pendant une décennie son ami, son mentor et même son père de substitution. Ils avaient tout pour se comprendre : la passion des femmes, l’amour des bolides et les blessures laissées par des enfances sans père. Sturges guida McQueen et lui apprit à donner le meilleur de lui-même. Plus tard il accepta de l’accompagner dans son projet désespéré de réaliser un film-reportage sur sa passion, la course automobile. Mais Sturges, travailleur méticuleux chez qui l’intelligence primait sur l’émotion, n’avait mesuré ni la fragilité ni le pouvoir d’autodestruction de McQueen. Son émerveillement devant le charisme de l’acteur se transforma en détestation pour les frasques de la star, usée par les excès et les drogues en tous genres. En juillet 1970, John Sturges se détourna définitivement de celui qu’il considérait comme sa créature, sur ce constat amer : « Toutes ces années avaient fait de Steve un cocaïnomane paranoïaque avec lequel j’ai eu le tort de m’engager. Robert Wise et moi l’avions sorti de la boue au moment où il vivait sans un dollar en poche et voilà que gloire et fortune acquises auxquelles se rajoutaient la drogue et l’alcool, il se prenait pour le maître du monde. Je lui ai dit : Steve, je ne vais pas me battre avec toi, tu es malade, c’est un médecin qu’il te faut, pas un metteur en scène. »

Un enfant d’Hollywood

À la fin des années 1950, John Sturges, né en 1910, est un réalisateur respecté de la génération montante. C’est l’aboutissement d’un parcours laborieux, entamé au bas de l’échelle d’Hollywood. Sa mère l’a élevé seule, ils ont connu des revers de fortune mais leurs virées en Ford T lui ont donné le goût de conduire dans les espaces infinis de l’Amérique. Enchaînant les petits boulots, il atterrit en 1931 à la RKO dont il intègre bientôt l’équipe de monteurs, qui s’avérera une véritable école de metteurs en scène, servant également de tremplin à Robert Wise et Mark Robson. Sturges débute dans la réalisation pendant la guerre, pour le compte de l’US Air Force, aux côtés de William Wyler. Fin 1945, il est recruté par la Columbia Pictures, débutant par de petits films noirs avant de s’attaquer dans les années 1950 à des projets plus ambitieux. Sa méticulosité, son sens de la progression dramatique et sa capacité à relever les défis logistiques que représentent les tournages en décors naturels expliquent son ascension rapide.

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Un Homme est passé, de John Struges, 1955
Crédits : MGM

Parmi ses réussites, deux films émergent : Dans Un Homme est passé (1955) Sturges utilise brillamment le technicolor et le cinémascope, pour créer une ambiance confinée au cœur des grands espaces baignés de lumière de l’Amérique profonde. Dans Règlements de Comptes à OK Corral (1957), il raconte avec une précision d’horloger les événements qui conduisirent à la fusillade opposant Wyatt Earp et Doc Holliday au sinistre clan des frères Clanton, déjà traitée par John Ford dans La Poursuite Infernale. Parmi les autres films qui ont contribué à sa réputation, il faut citer Fort Bravo, avec William Holden en officier nordiste, tourné dans le décor torride de la Death Valley, et La Plage Déserte, un petit bijou de film noir avec Barbara Stanwyck en mère de famille modèle qui fait une mauvaise rencontre… Comment McQueen est-il entré dans la vie de Sturges ? Par une gaffe de cette formidable grande gueule de Sammy Davis Junior, l’une des premières vedettes noires de l’Amérique. En 1958, Davis est recruté par Sturges pour tourner dans La Proie des Vautours, qui se déroule pendant la guerre du Pacifique. C’est l’histoire d’un officier américain héroïque mais indiscipliné et brutal, qui doit être joué par Frank Sinatra, tandis que Sammy Davis Jr incarnera Ringa, un ex-gamin des rues devenu son chauffeur puis son adjoint. Un jour, une station de radio de Chicago questionne Sammy Davis Jr à propos de Sinatra, avec qui il fait partie du « Rat pack », bande de copains qui travaillent régulièrement ensemble, sur fond de bringues mémorables. Il déclare que son ami a la grosse tête, qu’on ne peut plus l’approcher. Après qu’on lui a répété ces propos, Sinatra téléphone aux patrons de la MGM et réclame que le crooner sacrilège soit chassé du générique de La Proie des Vautours, dont le tournage démarre tout juste. Au moment où Sammy Davis Jr donne son interview, John Sturges est en Asie, en train de tourner des scènes d’action en décors naturels avec des doublures. La MGM envoie un télégramme codé au réalisateur : « Chicago remplacé par Détroit », ce qui en clair signifie « Sammy Davis viré, Steve McQueen recruté, vous pouvez donner congé à la doublure noire et recommencer toutes les scènes avec un blanc ». C’est ainsi que John Sturges apprend, du fond de la jungle thaïlandaise, qu’il va devoir travailler avec l’extraterrestre qu’il va bientôt adorer puis détester. À son retour d’Asie, Sturges reçoit McQueen : non seulement il approuve le choix de la MGM, mais il lui fait signer un contrat pour trois films. Il est emballé par le charme animal et par l’incroyable mélange d’assurance et de timidité du jeune acteur de 27 ans. Immédiatement, il pense à James Dean, le météore foudroyé d’Hollywood. Il ne sait pas encore que McQueen partage avec Dean la passion des bolides et que cette passion, à défaut de causer la mort de l’acteur, sera un jour fatale à leur amitié. Né dans l’Indiana, d’une mère alcoolique et d’un père qui les abandonna quand il avait six mois, McQueen eut une enfance pauvre et sans amour. Après avoir grandi dans la rue, il est envoyé en maison de correction et ne trouve un semblant d’équilibre qu’en s’engageant pour trois ans dans les Marines. À son retour, en 1950, il s’installe à Greenwich Village et débute une carrière d’acteur au théâtre. En 1956, il rencontre Neile Adams, une actrice et danseuse qui deviendra son épouse et jouera un rôle considérable dans sa carrière, l’aidant à canaliser et orienter sa fougue. La même année, il débute au cinéma par un bref rôle dans Marqué par la Haine, un biopic de Robert Wise consacré au boxeur Rocky Graziano. Portant une petite casquette, McQueen s’est présenté au casting et le réalisateur a remarqué son air relâché et dégingandé ainsi que son allure un peu arrogante. Même s’il n’est pas crédité au générique, il bénéficie de quelques gros plans appuyés, y compris dans une scène où il partage l’écran avec la vedette du film, Paul Newman, filmé de dos. Mais Marqué par la Haine, initialement destiné à James Dean, est justement le film qui permet à Newman d’accéder à la célébrité. McQueen est sourdement jaloux de ce beau gosse à l’éducation plus raffinée que la sienne.

Les années de jeunesse de Sturges en ont fait un guerrier, mais celles de McQueen en ont fait un rebelle.

Lorsque Sturges et McQueen se rencontrent, l’acteur est déjà apparu en vedette dans Le Blob, un film fantastique qui deviendra culte, et Hold-Up en 120 secondes, inspiré de faits réels. Surtout, il est Josh Randall, le chasseur de primes d’Au nom de la Loi, série télévisée à succès, produite par la Four Stars de l’ancienne vedette d’Hollywood Dick Powell. Pendant le tournage de La Proie des Vautours, Sturges et McQueen sympathisent. Neile Adams a été témoin des débuts de leur relation privilégiée : « John était un réalisateur fort et il était capable de guider Steve. Bien que dans ses séries Steve ait commencé à donner des ordres ici ou là, il obéissait maintenant à la direction de John, sans poser de questions. Il était impressionné par le parcours du réalisateur, mais aussi par sa manière de s’entourer de baroudeurs. En outre, John aimait et savait tout des voitures rapides. Cela leur faisait un terrain de communication supplémentaire. Steve venait de découvrir la course automobile et était fanatique de ce sport. » Sturges voit un peu vite en Steve McQueen une copie conforme du jeune déshérité qu’il était dans les années 1930. Ils sont pourtant bien différents. L’un se fie aux vertus de l’organisation, l’autre ne croit qu’aux plaisirs obtenus dans le désordre de l’instant. Les années de jeunesse de Sturges en ont fait un guerrier, mais celles de McQueen en ont fait un rebelle. La Proie des Vautours déplait aux critiques, notamment parce que la MGM a imposé une histoire d’amour abracadabrante entre Sinatra et Gina Lollobrigida. Mais tout le monde a remarqué l’agilité féline et la nonchalance souveraine de Steve McQueen. Sinatra lui propose de faire équipe avec lui dans plusieurs films, dont L’inconnu de Las Vegas, de Lewis Milestone, également connu sous son titre original d’Ocean’s Eleven. Aux propositions du crooner qui se pose en grand frère, McQueen va préférer celles du père de substitution, John Sturges, ce qui au passage vaudra à Sammy Davis Jr de revenir dans les petits papiers de Sinatra et de tourner dans L’inconnu de Las Vegas ! En 1960, Steve McQueen est embarqué dans l’aventure des Sept Mercenaires, le film que John Sturges va réaliser après La Proie des Vautours. Inspiré des Sept Samouraïs de Kurosawa, il raconte l’engagement d’une bande de gunfighters américains au service des habitants d’un pauvre village mexicain, ravagé par des pistoleros dont le chef est interprété par Elli Wallach. Ce sont les frères Mirisch, des producteurs souhaitant créer des films grands publics qui soient en même temps des films d’auteurs, qui recrutèrent Sturges pour tourner Les Sept Mercenaires. Paradoxalement, ils ont choisi un réalisateur connu pour sa rigueur et sa capacité à faire aboutir les projets les plus complexes, mais à qui sera toujours refusé le statut de véritable auteur. L’histoire des Sept Mercenaires leur était arrivée par Yul Brynner, qui lui-même la tenait d’Anthony Quinn, lequel l’avait obtenue du scénariste Lou Morheim… Plus tard, Quinn n’hésita pas à faire un procès à Brynner, l’accusant de lui avoir volé son film.

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Les Sept Mercenaires, de John Sturges, 1960
Crédits : Mirisch Company

Brynner, encore auréolé de son Oscar pour Anna et le Roi en 1957, occupera naturellement le haut de l’affiche et jouera le premier des mercenaires. Pour jouer Vin, son compère nonchalant qui prend les choses comme elles viennent, George Peppard et Gene Wilder ont été auditionnés, mais Sturges tient à Steve McQueen. Comme son contrat avec Four Stars, le producteur d’Au nom de la Loi, ne lui permet pas de se libérer aux dates de tournage prévues, Sturges annonce le recrutement de Dean Jones. Navré de se voir souffler le rôle, McQueen simule un accident dans une Cadillac de location, immédiatement relaté par les agences de presse. Quelques jours plus tard il se présente sur le tournage d’Au nom de la Loi avec le cou engoncé dans une minerve. Bien que Dick Powell, le patron de Four Star, ne soit pas dupe, il accorde à Steve McQueen le congé dont il a besoin pour tourner Les Sept Mercenaires ! Outre Yul Brynner et Steve McQueen, la bande des sept se compose de jeunes acteurs aux dents longues : James Coburn, Robert Vaughn, Horst Bucholz, Brad Dexter et Charles Bronson, un habitué des films de Sturges qui l’a fait débuter en 1951 dans Le Peuple accuse O’Hara. L’ambiance est à la concurrence entre les pistoleros, comme le rappelle Eli Wallach, qui joue le chef des bandits mexicains : dès le premier jour de tournage, « chacun d’eux faisait quelque chose de particulier pour marquer les esprits en passant devant la caméra ». Robert Vaughn résume : « Nous étions tous très ambitieux et tentions de voler la vedette aux autres. » Mais celui qui essaie de se faire remarquer par tous moyens, c’est Steve McQueen. Il ne cesse de faire des gestes, d’enlever et remettre son Stetson pour attirer l’attention. Il l’ôte ainsi deux fois dans la scène de saloon où il est recruté par Yul Brynner. Un jour, la vedette au crane rasé lui conseille de cesser son petit jeu : « Sinon, je n’ai qu’une chose à faire : il me suffit d’enlever mon chapeau et ainsi, plus personne ne te regardera. » McQueen se le tient pour dit, mais s’offusque de l’importance accordée aux autres acteurs. Auprès de Sturges, il conteste la légitimité de Brynner, d’origine russe, et de Bucholz, de nationalité allemande : « Ce sont des Européens ! Que connaissent-ils aux fusils et aux chevaux ? »

Murmures à l’oreille des pistolets

Mais c’est bien Steve McQueen qui va s’imposer dans Les Sept Mercenaires, grâce à son extraordinaire présence, et surtout parce que son personnage lui sied à merveille. Lorsqu’il est à l’avant d’un corbillard à côté de Yul Brynner, et que celui-ci occupe le premier plan, McQueen retient toute l’attention par sa manière de tenir sa carabine en étant aux aguets, et par l’incroyable rapidité avec laquelle il met en joue ceux qui le menacent. Le scénario lui accorde peu de répliques, mais elles sont efficaces : « Tu sais, j’ai visité des villes ou les filles ne sont pas jolies. En fait j’en ai visité où elles sont franchement moches. Mais c’est la première fois que je vois une ville sans filles. »

Rarement un comédien se sera autant servi de l’écran pour entrer dans la peau de l’homme qu’il rêverait d’être.

À une époque où la plupart des hommes ont fait la guerre, la question de la virilité, exprimée par l’habileté aux armes, reste centrale. Pour Steve McQueen, qui a fait trois ans d’armée mais n’a pas combattu, elle tourne à l’obsession, d’autant que John Sturges ne fait rien pour décourager les combats de coqs qui opposent ses acteurs dans la coulisse : « C’était marrant », commenta Eli Wallach, « ils savaient tous faire tourner leur revolver et rengainer sans regarder. Moi j’étais obligé de regarder, sinon il glissait le long de ma jambe. Mais entre Brynner et McQueen c’était une compétition. McQueen éjecte par exemple une cartouche de son fusil. Yul lui jette un regard en coin, genre, “Tu t’y crois, là ?” C’était merveilleux, et John avait un don pour encourager ce genre de truc… » Le son de cloche est un peu différent lorsque la même histoire est racontée par Steve McQueen, car pour lui, il n’y a pas de match. Il déclare ainsi en 1961 : « Ce Yul est sans doute bon comédien, mais médiocre cavalier. Quant à jouer du revolver, laissez-moi rire. » Il est évident qu’utiliser avec une vraie dextérité les attributs d’un guerrier viril compte autant pour Steve McQueen que jouer la comédie. Rarement un comédien se sera autant servi de l’écran pour entrer dans la peau de l’homme qu’il rêverait d’être. Akira Kurosawa, ravi de l’hommage rendu par Hollywood aux Sept Samouraïs, a offert un magnifique sabre à John Sturges. Mais pour celui-ci, Les Sept Mercenaires marque un divorce définitif avec la critique, qui ne le considérera décidément jamais comme un auteur. Le New York Times, qui avait encensé Un Homme est passé et traité avec égards Règlements de Comptes à OK Corral ou Le Dernier Train de Gun Hill, parle cette fois d’un « blême, prétentieux et interminable » remake des Sept Samouraïs. L’immense succès public des Sept Mercenaires dément ces reproches et permet à Sturges d’engager de nouveaux projets ambitieux. Espérant y gagner un statut d’auteur, autant que de l’argent, il entreprend la réalisation d’un pompeux drame psychologique avec Lana Turner, Par l’Amour Possédé. La critique ne suit toujours pas, et cette fois le public décroche. C’est un échec financier terrible pour Sturges et pour les frères Mirish. Ce n’est pas en tournant Les Trois Sergents, mauvais western à prétentions humoristiques avec Sinatra et les autres membres du Rat pack, que le réalisateur va redorer son blason. Heureusement, il reste Steve McQueen, dont le talent a été bien employé par Don Siegel en 1962 dans L’Enfer est pour les Héros, mais qui a déçu ses aficionados en mourant à la fin du film. Sturges va faire de McQueen le héros de La Grande Évasion (1963). Ce film raconte l’aventure d’aviateurs détenus dans un camp de prisonniers gérés par l’armée de l’air allemande, dont l’esprit était plus chevaleresque que celui de l’armée de terre. Ils profitent de ces conditions favorables pour organiser leur évasion par un tunnel. Mais une erreur de calcul les conduit à creuser un tunnel légèrement trop court, aboutissant juste derrière les barbelés où des sentinelles patrouillent. Quelques prisonniers parviennent à s’enfuir mais la plupart seront repris ou tués.

Burt Lancaster et Rhonda Fleming dans Règlements de comptes à O.K Corral

Règlements de Comptes à OK Corral, de John Sturges, 1957
Crédits : Hal B. Wallis

Pour la première fois, Steve McQueen occupe seul le haut de l’affiche. L’évasion est préparée de manière collective par des officiers qu’incarnent Richard Attenborough, James Garner, Donald Pleasance et deux abonnés aux films de Sturges, Charles Bronson et James Coburn. Mais le nonchalant capitaine incarné par Steve McQueen, surnommé Cooler King, travaille sans partenaires. Au lieu de s’évader par le tunnel, il s’échappera spectaculairement à moto, dans une cascade rendue possible par la préparation d’une machine surpuissante de type Triumph T110, déguisée en moto allemande. McQueen réalise lui-même la quasi-totalité de la cascade, mais le saut décisif de 3,70 m de haut et 20 m de long, qui donne tout son sel à la scène, est réalisé en une seule prise par son ami le spécialiste Bud Ekins. En revanche, McQueen a doublé lui-même le motard allemand lancé à sa poursuite ! Si l’idée de cette évasion solitaire convient si bien à Steve McQueen, c’est qu’elle est de Steve McQueen. La production l’a logé avec sa femme et ses enfants dans un chalet situé à 40 minutes de voiture du studio bavarois où a lieu le tournage. Sur le parcours, McQueen réfléchit… en conduisant très vite sa voiture. C’est après avoir détruit deux véhicules et fait plusieurs passages par le poste de police qu’il propose à Sturges et au scénariste Ivan Moffat l’idée de la moto. « Tout le temps que Steve venait sur le tournage », raconte son épouse Neile dans le livre qu’elle lui a consacré,« la police allemande arrivait après lui. » John Sturges le réprimandait immédiatement comme un petit enfant : « Tu ne peux pas foncer dans un élevage de poulets et tu ne peux pas rouler à travers les bois en revenant sur la route juste pour doubler quelqu’un. Tu ne peux pas conduire plus vite que de raison, ou tu vas te blesser. » Mais Sturges aide aussi Steve McQueen a surmonter ses limites de comédien, comme le souligne Neile Adams : « Une chose sur laquelle John devait travailler avec Steve était son manque d’amour pour les mots. C’était un acteur qui était plus à l’aise lorsqu’il jouait avec les émotions qu’avec les mots. John le traitait avec beaucoup d’attention… » Neile Adams écrit également que « Steve avait tendance à surjouer, surtout dans les scènes de comédie et John, toujours grand professionnel, le prenait près de lui et lui suggérait tranquillement : “Écoute, Steve, c’est un petit détail, mais si tu restes à ce niveau pendant tout le film, tu vas chasser tout le monde du cinéma…” » Sturges avait raison de coacher Steve McQueen pour les scènes de comédie : dans La Dernière Bagarre, de Ralph Nelson (1963), son mentor n’est pas là pour le guider et l’acteur joue sur un mode sans doute trop burlesque. Ce film, dont le ton est humoristique mais l’issue amère, aurait réclamé davantage de finesse et sera un échec total. En attendant, les posters montrant Steve McQueen au guidon de sa moto dans La Grande Évasion vont faire le tour du monde et se vendre à des centaines de milliers d’exemplaires. Bien sûr, la tentative du Cooler King est finalement ratée comme celle de ses camarades qui ont creusé le tunnel, mais il regagne le camp en crânant. Le Steve McQueen insouciant, solitaire, plus attaché au style qu’au résultat et suprêmement habile aux commandes d’un bolide, est définitivement installé grâce à l’écrin que lui a offert John Sturges. D’une façon ou d’une autre, beaucoup de films avec Steve McQueen réalisés après La Grande Évasion vont perpétuer et renforcer ce mythe du solitaire irrésistible, rebelle et plus ou moins perdant : L’affaire Thomas Crown de Norman Jewison, Junior Bonner et Guet-apens de Sam Peckinpah, Bullitt de Peter Yates… Dans La Canonnière du Yang-Tsé, Robert Wise montre un McQueen qui ne sait pas vraiment pourquoi il meurt. Après avoir rendu l’âme pour la première fois dans un film, face aux Allemands, dans L’enfer est pour les Héros de Don Siegel, McQueen deviendra un symbole pour la génération perdue des enfants du Vietnam. Mais même lorsqu’il est un loser, un sacrifié, il reste un être supérieur : c’est ainsi que Don Siegel le voit dans Positif en 1965 : « Steve McQueen est un véritable dur et j’ai cru, pendant L’enfer est pour les héros, que j’allais me battre avec lui. Il est inculte, mais très intelligent, et finalement nous nous sommes très bien entendus. (…) Les gens dont je parle sont de vrais hommes, rudes et violents dans leurs gestes et leurs mouvements. Certains ont une stature héroïque : j’ai vu de mes yeux Steve McQueen sauter sur sa moto pour aller, au péril de sa vie, combattre un incendie. Mais pourquoi ces garçons sont-ils tous névrotiques, pourquoi boivent-ils trop et se conduisent-ils si mal, sinon parce que ce sont des gens virils qui exercent une profession de femmelettes ? McQueen est un héros, mais bouleversé et déchiré, comme tous les bons acteurs… »

Plus fragile et étriqué

Le Steve McQueen à l’intrépidité souveraine et à l’agilité physique inégalée cache un autre personnage, plus fragile et surtout plus étriqué. Une facette du personnage que John Sturges n’a pas montrée dans ses films et que, sans doute, dans son admiration quasi-paternelle, il n’a pas su discerner. Norman Jewison a capturé une partie de cette vérité dans Le Kid de Cincinnati, où McQueen est un jeune joueur de poker aux dents longues qui se fait administrer une leçon de modestie par un vieux routier des cartes interprété par Edward G.Robinson, par ailleurs légende de l’âge d’or d’Hollywood.

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 La Grande Évasion, de John Struges, 1963
Crédits : Mirisch Company

Mais les films qui donnent la vision la plus émouvante et probablement la plus juste du vrai Steve McQueen, enfant immature perdu dans les méandres du grand jeu de la vie, ne sont pas des films d’action. Ce sont deux drames psychologiques réalisés par Robert Mulligan : Une Certaine Rencontre et Le Sillage de la Violence. Dans Une Certaine Rencontre, tourné la même année que La Grande Évasion, McQueen incarne un petit homme étriqué en imperméable, à l’opposé du héros de La Grande Évasion. Il est interpellé par une jeune personne, jouée par Natalie Wood, dans un vaste hall ou se déroule une réunion du syndicat des musiciens, auquel il appartient. La femme, qu’il situe tout juste, lui apprend qu’elle attend un enfant de lui. La première réaction de Steve McQueen, tombant des nues, semble plus vraie que nature. Pendant tout le film, il oscillera entre inconscience et courage, bonne volonté et irréalisme face à cet événement qu’il n’attendait surtout pas. La scène où le couple se retrouve face à des avorteurs qui ne sont pas médecins et prend brutalement conscience des risques est une vraie scène d’horreur, même si le film évolue ensuite vers la comédie romantique. Sous la pression des événements, le Steve McQueen d’Une Certaine Rencontre s’avère être plutôt un brave type. Il rentre dans le rang face à un événement de la vie ordinaire, loin des périlleux défis auxquels il était confronté dans les films de John Sturges. Dans Le Sillage de la Violence, McQueen est un musicien incapable de se débarrasser de ses démons – alcool, tempérament bagarreur – hérités de son enfance malheureuse d’orphelin élevé par une belle-mère cruelle. Il rêve d’être l’égal d’Elvis Presley mais n’y parviendra jamais. Ce destin n’est pas sans points communs avec celui du véritable Steve McQueen, qui eut une jeunesse fracassée et qui s’identifia toujours un peu vainement à ses idoles, d’abord les vrais pistoleros de la légende de l’Ouest, puis les grands coureurs automobiles. John Sturges n’a sans doute pas mesuré à quel point Steve McQueen l’arrogant, l’intrépide, est perdu dans sa vie de star. Il partage avec son jeune disciple quelques jeux d’enfants gâtés. La réputation de Dom Juan du réalisateur est, comme celle de l’acteur, établie dans tout Hollywood. Trompé par leurs ressemblances et par leur goût commun de la fête, Sturges n’a pas réalisé à quel point McQueen était entré dans un processus d’autodestruction. Neile commence à s’inquiéter de la dépendance de son mari à la drogue au milieu des années 1960 : « Sa consommation d’herbe ne cessait de grimper. Elle ne se limitait plus aux soirées ou aux instants intimes, elle s’étendait à toutes les heures du jour et de la nuit. Et désormais il consommait aussi quotidiennement de la coke. » Elle se souvient que Jay Sebring, le coiffeur des stars qui sera assassiné avec Sharon Tate, « venait avec sa valise remplie de peignes, de ciseaux et de petits sacs de poudre ». Faute d’avoir analysé à temps les faiblesses de McQueen, John Sturges va se laisser entraîner avec lui dans un projet pharaonique qui aurait pourtant réclamé une immense dose d’organisation et d’équilibre personnel. Leur relation n’y résistera pas.

Mais son espoir de renouer avec le succès planétaire passe par Steve McQueen.

McQueen a montré son talent à moto, mais il est aussi fanatique de sport automobile. Entre 1959 et 1962 il a participé à diverses courses aux États-Unis, et en Grande Bretagne où il s’est illustré au volant de Mini Cooper. Selon John Sturges, la passion pour la course est à l’origine de sa participation à La Grande Évasion. « Il croulait sous les propositions et il a finalement abandonné plusieurs projets pour s’engager avec moi sur La Grande Évasion en me disant, sous l’autorité de son agent, que nous allions faire son film sur les bolides tout de suite après. » Sturges, qui possédera huit Porsche, est loin d’être insensible à la passion des voitures de course. Mais ce qu’il veut avant tout, c’est faire du cinéma. Or l’aventure dans laquelle il est en train de s’embarquer est une affaire d’ego et de chevaux-vapeur. C’est tout sauf une histoire de cinéma… En 1962 John Frankenheimer, un autre passionné d’automobiles, vient de s’illustrer en réalisant Un Crime dans la Tête, un formidable thriller d’espionnage avec Sinatra. Sturges et McQueen s’associent avec lui. Les trois hommes annoncent qu’ils ont acquis les droits de The Cruel Sport, un livre document sur l’aventure humaine de la Formule 1 écrit par Robert Daley, un écrivain et journaliste du New York Times auquel on devra aussi l’histoire originale de L’Année du Dragon, de Cimino. Deux réalisateurs, c’est sans doute trop pour un seul film et bientôt le trio se sépare : Frankenheimer annonce la mise en chantier de Grand Prix, tiré du livre de Daley, pour le compte de la Warner. Sturges et McQueen ne tardent pas à réagir, annonçant la préparation de Day of a Champion, un film ayant également pour cadre la Formule 1, pour le compte de la MGM. Des contacts sont pris des deux côtés pour tenter de s’assurer les services des meilleurs pilotes du monde comme figurants de luxe. Il n’y a bien entendu pas la place pour deux projets de cette nature. Frankenheimer a été plus méthodique dans son approche du petit milieu de la Formule 1 et le projet de Grand Prix inspire davantage confiance que celui de Day of a Champion, qui ne se réalisera jamais. Sturges a pourtant mobilisé ses qualités d’organisateur. Pour lui, un film se prépare comme une opération de guerre, en soignant chaque détail. Il a signé un contrat avec le circuit du Nürburgring et a même rendu visite à McQueen sur le tournage de La Canonnière du Yang-Tsé pour parler scénario et logistique. Mais l’acteur reste nébuleux, préférant attendre d’être en mesure de filmer la réalité des compétitions pour décider ce qu’il veut faire. Sturges raconte que McQueen « s’accrochait comme un fou à cette histoire, pourtant il reculait sans cesse le moment où nous devions nous asseoir autour d’une table pour savoir quelles possibilités narratives pouvaient être développées autour d’un sujet pareil, et d’après les scénaristes que nous avions approchés il n’y en avait aucune, pour eux c’était le prétexte à ne faire qu’une belle merde ». Ce que Sturges oublie de dire, c’est que le milieu des années 1960 n’est pas une bonne période pour lui, et que s’il soutient le projet mal né de Steve McQueen, c’est parce qu’il peine à retrouver le chemin du succès sans son acteur fétiche. En 1965, il réalise le catastrophique Sur la Piste de la Grande Caravane, un western à grand spectacle aussi coûteux que raté, tourné en 70 millimètres. Les délais et les budgets du film sont largement dépassés : non seulement il est très mal accueilli, mais Sturges y laisse sa réputation d’organisateur efficace. Entre 1965 et 1969 il tournera plusieurs thrillers méticuleux à base de science-fiction ou de technologie : Station 3 Ultra Secret, Destination Zebra Station Polaire, Les Naufragés de l’Espace. Mais son espoir de renouer avec le succès planétaire passe par Steve McQueen.

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Bullitt, de Peter Yates, 1968
Crédits : Solar Productions

En 1968 sort Bullitt, de Peter Yates. Ce film est surtout légendaire pour la poursuite qui voit s’affronter dans les rues en pente de San Francisco deux voitures en apparence ordinaires mais en réalité préparées comme des véhicules de compétition, dont une Ford Mustang vert foncé pilotée par Steve McQueen lui-même, dans le rôle du lieutenant de police Frank Bullitt. Le film est un succès mais McQueen, par sa façon de soutenir toutes les demandes de Yates, réalisateur anglais qui exigeait un tournage entièrement en décors naturels, a exaspéré les responsables de la Warner avec laquelle il était engagé pour encore cinq films : celle-ci résilie son contrat.

Requiem pour trois Lola

Après Bullitt, McQueen joue dans The Reivers, un film réalisé par le très cérébral Mark Rydell d’après William Faulkner. Mais l’esprit du comédien vagabonde loin de cette aventure intellectuelle. Puisque le grand film sur la Formule 1 est déjà fait, McQueen décide de s’attaquer, avec John Sturges, à l’autre expression emblématique de la course automobile, les 24 heures du Mans. Dans Le Mans, il n’y a pratiquement aucun scénario, juste des pilotes qui se toisent et des voitures qui se dépassent : d’un ennui mortel pour le profane mais jouissif pour le spécialiste qui s’amuse à reconnaître chaque célébrité du volant à son casque, chaque variante d’un même modèle au positionnement d’un rétroviseur ou d’une ouïe d’aération du circuit de freinage. John Sturges ne pouvait mener à bien un film aussi dépourvu de scénario, lui qui aimait tant les intrigues bien ficelées. Comme le dit Neile Adams, « John voulait une histoire clairement établie, quand Steve poussait l’idée d’un film de deux heures qui serait plus ou moins un documentaire sur la course ». Au bout du compte, Le Mans sera achevé et signé par Lee Katzin, un tâcheron délégué par Cinema Center, la filiale de CBS qui avait accepté d’accompagner Solar, la société de McQueen, dans la production du film. Mais avant de jeter l’éponge, John Sturges allait parcourir un véritable chemin de croix…

Les groupies se succèdent dans son lit à un rythme effrayant. Il a un accident de la route avec l’une d’elles alors qu’il est sous l’emprise de la drogue.

Chez McQueen, le démon du pilotage était plus fort que le démon du cinéma. Début 1970, il a terminé deuxième des 12 heures de Sebring, l’une des plus grandes courses américaines. Bien que son équipier Peter Revson ait piloté pendant 70 % de la course, ce résultat, obtenu malgré un pied plâtré dans un accident de moto, lui a valu une chaleureuse accolade du vainqueur, le très populaire Mario Andretti. Aux anges, McQueen formait déjà le projet de s’engager lui-même comme pilote aux 24 heures du Mans. Il fut rappelé à l’ordre par Cinema Center, qui n’avait aucune envie de voir son acteur vedette risquer sa vie dans cette épreuve périlleuse. Finalement, McQueen devra se contenter de regarder la course en posant pour quelques raccords dans sa combinaison de pilote. Les prises de vue débutèrent pendant les 24 heures, à la mi-juin 1970, et se poursuivirent pendant tout l’été et l’automne sur le circuit du Mans. Le tournage devait initialement durer jusqu’à septembre mais d’innombrables péripéties le prolongèrent jusqu’à novembre. Pendant cette période furent mobilisées 25 voitures de haute compétition et quelques-uns des meilleurs pilotes du monde. L’équipe vécut dans un village de maisons préfabriquées où se côtoyaient des dizaines de figurants, de mécaniciens, d’acteurs, de pilotes et de techniciens du cinéma. Si la période de prises de vues dura si longtemps, c’est avant tout parce que Steve McQueen se sentait enfin pilote au milieu des grands champions et des meilleures voitures de courses de son époque, des Porsche 917, des Ferrari 512… Des Lola T70, un peu moins coûteuses, furent déguisées en Porsche et en Ferrari pour les accidents afin de ne pas trop grever le budget. Une économie qui fait rêver puisque de nos jours le prix atteint dans les ventes aux enchères par des Lola T70 en bon état avoisine 500 000 dollars ! Trois exemplaires furent sacrifiés pendant le tournage. Le pilote de Formule 1 Joseph Siffert, qui était à la fois un véritable as du volant et un brillant homme d’affaires, se frottait les mains : c’est lui que ce rêveur de McQueen avait chargé de lui fournir les automobiles qui lui permirent de s’amuser comme l’aurait fait un gamin avec un circuit miniature. Sauf qu’ici le circuit valait des dizaines de millions de dollars, et qu’un bon pilote anglais, David Piper, dut être amputé d’une jambe après un accident survenu pendant le tournage. À l’époque où il tourne Le Mans, McQueen est de plus en plus assoiffé de sexe. Les groupies se succèdent dans son lit à un rythme effrayant. Il a un accident de la route avec l’une d’elles alors qu’il est sous l’emprise de la drogue. Il la croit morte, mais elle n’est que choquée et ils se retrouvent à errer nuitamment dans la campagne mancelle. Juste après le tournage de Bullitt, un livre underground a mis McQueen sur une liste des personnalités homosexuelles d’Hollywood. Cette rumeur l’a rendu furieux et aiguise son besoin de se sentir puissant. Il est de plus en plus colérique. Sa femme le juge même « paranoïaque ». Sur le circuit, il feint désormais d’ignorer John Sturges, clamant à la face de celui qui fut presque un père pour lui : « Je suis un acteur, un pilote et un film maker. » Pendant tous ces mois, l’agacement ne va cesser de monter chez le réalisateur, avant tout désespéré de devoir multiplier les prises de vues de voitures de course sans avoir vu l’esquisse d’un scénario. Robert Relyea, producteur associé, se souvient : « Jour après jour, semaines après semaines, nous filmions la voiture numéro 22 qui doublait la numéro 23, ou la numéro 24 qui faisait un tête-à-queue. John Sturges fulminait sur sa chaise. » Même exaspération chez les cadres de Cinema Center, de plus en plus inquiets que leurs dollars servent à financer une orgie de moteurs plutôt que le tournage d’un véritable film. Fin juillet, ils décident de suspendre les opérations pendant deux semaines, le temps d’y voir plus clair. Sturges espère pouvoir mettre à profit cette interruption pour travailler enfin à un scénario, mais il explose de colère en apprenant que Steve McQueen a décidé de partir en vacances au Maroc avec sa femme et ses enfants, dans un effort aussi vain qu’inattendu pour sauver son couple qui bat de l’aile. Cette fois-ci, c’en est trop. Le metteur en scène des Sept Mercenaires et de La Grande Évasion claque la porte en hurlant : « Je suis trop riche et trop vieux pour supporter cela. »

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Steve McQueen et John Sturges, tournage de La Grande Évasion
Crédits : Cinephilia & Beyond

Le film est terminé dans une ambiance délétère par Lee Katzin : il n’y aura même pas de pot d’adieux pour l’équipe. Le montage est réalisé en l’absence de McQueen. L’échec critique et financier de ce film dans lequel le visage de l’acteur est caché la plupart du temps par son masque de pilote est retentissant. Après avoir produit un documentaire sur les courses de moto, McQueen va tenter de se ressourcer dans le cinéma, avec des performances d’acteur remarquables, que ce soit dans ses deux films avec Sam Peckinpah, dans Papillon de Franklin Schafner ou dans Tom Horn, l’histoire d’un glorieux héros du Far-West dont la fin fut particulièrement sinistre. Son mariage avec Ali McGraw, rencontrée sur le tournage de Guet-apens, ne lui rendra que brièvement un semblant d’équilibre, tant il est rongé par ses démons et leurs conséquences sur sa santé. Il tournera au total sept films après Le Mans, avant de mourir à 50 ans d’un cancer du poumon accéléré par les excès en tous genres. Depuis, sa légende n’a cessé de grandir. Sturges parla jusqu’à la fin de sa vie avec amertume de l’enfant prodigue qu’il avait adoré mais dont il n’avait pas assez redouté le penchant pour le désordre. Sturges avait fait de McQueen une star, mais les frasques de McQueen avaient porté un coup à la carrière de Sturges au moment où celui-ci espérait un renvoi d’ascenseur. Elle était bien loin l’époque où, évoquant Steve McQueen et Neile Adams, il célébrait leurs « deux esprits libres, aussi libres que le vent ». Sturges vécut jusqu’à 82 ans, mais ne réalisa que quatre films après le désastre du Mans. Souffrant d’emphysème, il eut une fin de vie plutôt triste. Après sa mort en 1992, ses cendres furent dispersées au large d’Avila Beach, plage californienne proche de sa dernière résidence. Les nécrologies des journaux furent glaciales. Bien que certains de ses films soient devenus d’immenses classiques, John Sturges n’a toujours pas trouvé sa juste place au Panthéon des auteurs.


Couverture : Steve McQueen dans Le Mans, de Lee H. Katzin (1971).