Inconnu dans l’Hexagone

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Arnaud Massy

Ce nom, quasiment inconnu dans l’Hexagone, est bien celui du plus grand joueur de golf français, le premier non-britannique à avoir remporté « The Open ». Son titre appartient aujourd’hui à l’Histoire puisque c’est en 1907 que le Biarrot s’est emparé du Claret Jug, le trophée mythique que tous les golfeurs convoitent. Depuis, le golf français vogue entre espoir et désillusion : Jean Van de Velde puis Thomas Levet, 2e au British Open en 1999 et 2002, ont effleuré l’aiguière d’argent mais n’ont jamais pu lui faire franchir la Manche. 23e au classement mondial et assuré de participer à la Ryder Cup 2014, Victor Dubuisson est aujourd’hui celui sur lequel reposent de nombreuses attentes. En manque de champion, le golf en France semble conserver une image confidentielle et élitiste, et survit dans l’ombre de son aîné anglo-saxon. Il parle depuis toujours de démocratisation, mais ces mots sont souvent des songes en dépit de 430 000 licenciés. La victoire d’Arnaud Massy en terres anglaises au début du XXe siècle est l’événement majeur qui a permis au golf de s’exporter et de devenir un sport international. Né sur le littoral écossais de la mer du Nord, le golf est le paysage du tableau culturel britannique. Déjà, au XVe siècle nombreux sont les hommes du royaume d’Écosse qui flânent, clubs archaïques à la main, sur les links : ces longues dunes couvertes d’herbe grasse et de touffes d’ajoncs, idéales pour la pratique de ce jeu. Trop répandu au goût de Jacques II d’Écosse, le golf est interdit dans un édit de 1457 : selon le roi, il détourne les jeunes hommes des arts défensifs que sont le tir à l’arc et l’escrime. Cet acte, première référence documentée du golf tel qu’il existe aujourd’hui, est ignoré et depuis 500 ans on n’a jamais cessé de pratiquer ce sport en Grande-Bretagne. Les rois s’y essayent, Jacques IV lève le ban en 1502, puis les noblemen et gentlemen s’en emparent et créent les premiers clubs de golf au XVIIIe siècle pour structurer la pratique. Le plus emblématique d’entre eux, le Royal and Ancient Golf Club of Saint Andrews, crée en 1754, est la « maison du golf » où les 13 règles fondamentales, toujours appliquées aujourd’hui, furent écrites. Au XIXe, la pratique du golf est commune et déjà traditionnelle en Grande-Bretagne, certains joueurs deviennent professionnels (La famille Morris) et l’on organise des tournois comme le British Open qui naît à Prestwick en Écosse en 1860.

Pour Arnaud Massy l’aubaine est d’être né à deux pas du deuxième golf de France.

Attirés par les villégiatures des littoraux français, ces mêmes aristocrates et bourgeois écossais et anglais emportent avec eux les premiers plans de terrain dans l’Hexagone. Ils passent chaque année une saison en France et veulent exercer leur swing sous le soleil du sud-ouest. Ainsi, à Pau, en 1856, alors véritable ville anglaise, est tracé le premier parcours de golf français qui est aussi le premier en dehors du Royaume-Uni. Loisir chéri des lords britanniques, le terrain de golf, voisin du cours de tennis, devient un indispensable de la station thermale qui se respecte. Cependant, les links français restent essentiellement un vaste terrain de jeu pour touristes britanniques. Il suffit parfois de hasards pour créer une vocation : pour Arnaud Massy l’aubaine est d’être né à deux pas du deuxième golf de France. Inauguré en 1888 dans une ambiance so british, le Golf du Phare de Biarritz est conçu par des architectes reconnus et eux-aussi Anglais : Tom et Willie Dunn. Un conseiller de la reine Victoria est désigné pour présider le Biarritz Golf Club et la conquête de ce nouveau territoire golfique est le sujet d’articles dans les magazines sportifs outre-manche : les Britanniques sont séduits par ce nouveau parcours où l’on peut s’adonner à sa passion même en hiver. D’après un article de The Field de 1890, « l’air qu’on respire [au golf du Phare] produit l’effet du champagne ; après l’avoir aspiré quelques temps, les compatriotes anglais […] voient leur épiderme changer à vue d’œil et trouvent que la vie a encore du bon. » Rien que ça. Mais indéniablement, fin XIXe, le golf, même lorsqu’il est pratiqué sur le continent, a toujours un passeport britannique.

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Loin du faste aristocratique

Loin du faste aristocratique, mais voisin des greens, Arnaud Massy, le précurseur du golf français, est issu d’une famille de paysans basques. Tantôt mousse sur un sardinier, tantôt écolier, c’est avec le regard d’un gamin de 10 ans que le Biarrot voit débarquer ces voyageurs, sujets de la reine Victoria. Avec des camarades de classe, il gagne quelques pièces en devenant cadet pour les joueurs britanniques qui s’entraînent sur le parcours du Phare. Le vif esprit de compétition qui l’animera le reste de sa carrière naît des parties clandestines qu’il dispute sur un terrain vague où ses amis et lui installent deux trous de fortune. En ce qui concerne le matériel, c’est une autre histoire, d’après Massy lui-même, à l’époque, posséder un club représente « à peu près le summum de l’opulence ». Alors, certains rafistolent des morceaux de cannes cassées, d’autres se contentent de bâtons prenant à peu près la forme d’une tête de driver, lui, par chance trouve l’objet de ses convoitises, abandonné dans une remise. Seul détail : le club qu’il s’approprie est celui d’un gaucher, mais, passionné, déterminé et travailleur Arnaud Massy apprend à frapper la balle de son côté faible. Le jeune garçon suit à la trace ses aînés et pousse l’imitation jusque dans le talent. Massy s’applique, se confronte à ses employeurs et à ses professeurs. Les habitués du golf du Phare remarquent ce jeune homme bourru, entêté mais talentueux. Toujours désireux de s’améliorer, et pour ne rien louper de ce que lui enseignent ses maîtres britanniques, Massy, au cours de son adolescence, réapprend tous les coups, en droitier, afin de gagner encore en puissance et en précision. « L’imitation, en golf, est le grand secret de l’excellence », d’après Henry Leach qui identifie ainsi parfaitement la force principale du golfeur français dans un article pour The American Golfer en 1916.

L’explorateur champion

Le golf balbutie en France et cela ne suffit pas à Arnaud Massy qui veut affronter de nouveaux adversaires et si possible devenir l’égal des bons joueurs qu’il côtoie. Quoi de mieux alors que de visiter un temps la patrie du golf pour progresser encore et devenir l’un des meilleurs ? Lorsque le très respecté Everard Hambro, banquier écossais, dont la famille est à l’origine du golf de Biarritz, propose au génial cadet de le rejoindre pour un été à North Berwick à quelques kilomètres à l’est d’Édimbourg, afin de se perfectionner, ce dernier n’hésite pas une seconde. Le pèlerinage du jeune français, en 1898, sur les terres qui ont vu naître son sport s’avère efficace. Il est initié à la fabrication des cannes par Hutchinson, le gérant d’une boutique de golf réputée. À North Berwick, Massy côtoie Ben Sayers : un joueur professionnel, architecte de terrains, fabriquant de clubs et professeur des princes et des nobles ; et s’entraîne avec Davie Grant qui a remporté à deux reprises le British Open mais qui est également apprécié pour ses qualités de pédagogue. Les progrès du jeune homme sont considérables et plusieurs étés il renouvelle l’expérience. En plus du labeur technique dont il s’accommode, Arnaud Massy s’imprègne de l’essence de son sport en foulant des links historiques. Puis il croise le chemin de l’exemple de la perfection, le mythe : Harry Vardon. La leçon de style. Fasciné et impressionné, il le voit évoluer dans un match face à Willie Park en 1899, l’Anglais devient alors sa référence. Entre observations, découvertes, et rencontres, ces voyages répétés dans le berceau du golf entérinent un peu plus la volonté et l’ambition du Biarrot de devenir un grand joueur.

L’homme de caractère, acharné et obstiné parvient après des efforts remarqués à obtenir un contrat professionnel en Angleterre.

L’homme de caractère, acharné et obstiné parvient après des efforts remarqués à obtenir un contrat professionnel en Angleterre. En 1902 il participe à son premier British Open. En tant que premier participant étranger, Massy est une curiosité. Malgré un talent indéniable, il n’obtient que la dixième place. Son irascibilité et son manque de concentration lui portent encore préjudice. Deux ans plus tard il se marie à une Écossaise. Le Basque est tombé dans les bras de la Perfide Albion, séduit par ses jeux et ses femmes, et délaissant par la même occasion ses compatriotes pourtant attentifs à ses exploits. Car à Paris, le golf a besoin d’une figure. Pierre Deschamps, président du golf de Paris–La Boulie dès 1901, a de grands projets : il veut organiser une compétition en France réunissant les meilleurs joueurs du monde. Enchanté par ce dessein, Arnaud Massy devient le joueur professionnel attitré du club parisien, à condition qu’il puisse participer librement à n’importe quelle compétition et notamment à l’Open britannique. Le premier Grand Omnium de Paris a lieu en 1906 et réunit Britanniques et Français, et Arnaud Massy s’impose pour la première fois face à ses pairs d’outre-manche. Rendez-vous est pris, le Français n’est plus un simple élève et promesse est faite d’aller défier les maîtres sur leur domaine. Hoylake, 1907. C’est dans cette ville de la banlieue de Liverpool qu’a lieu le 46e British Open. Remporter le British Open permet à son vainqueur de marquer l’histoire de son sport. Plus prestigieux qu’un tour de France et plus historique qu’une coupe du monde de football, le plus ancien des quatre tournois majeurs de golf, qui désigne le « champion golfer of the year », a lieu tous les ans en Grande-Bretagne depuis 1860. Malgré une pluie battante et des bourrasques de vent, l’élite du golf mondial, des Anglais, des Écossais et des Américains essentiellement, est présente. Près de 200 joueurs sont prêts à se disputer la fameuse aiguière. Arnaud Massy, fort de ses victoires antérieures, est redouté. Dès le premier tour, il prend la tête du tournoi, il fait preuve de puissance et d’assurance.

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Cet Open est celui de Massy

Son jeu est irréprochable et il tutoie la perfection lorsqu’il s’agit d’utiliser le driving-iron offert par son adversaire mais ami Andrew Kirkaldy. Cet Open est celui de Massy. Il vient à bout de ses références : J.H. Taylor, James Braid et bien sûr Harry Vardon. La performance est unique et épatante. Signe que ce jour était sien, Arnaud Massy apprend, alors qu’il lève le trophée, que sa femme vient de donner naissance à une petite fille qui aura pour deuxième prénom : Hoylake. Il est le premier joueur étranger à graver son nom au palmarès de ce tournoi mythique et sa victoire est unanimement reconnue. Lui se contente de dire qu’habitué à frapper la balle sous le vent de la côte basque il a été avantagé par son expérience. Mais l’exploit mérite triomphe, et le triomphe sera double. On fête le retour de l’homme victorieux aussi bien à North Berwick qu’à Paris. Cet événement marque bien sûr l’apogée d’un parcours personnel, celui d’un golfeur talentueux et appliqué. Mais c’est aussi la renaissance d’un sport à différentes échelles. Inspiré par les britanniques, Arnaud Massy a agi en explorateur. Le golf était jusque là cloîtré dans un cocon anglo-saxon, enfermé dans des règles qui pouvaient paraître strictes et hermétiques. Il a fallu la curiosité insatiable d’un enfant basque passionné pour que la tradition cède. Dès lors, le golf ne sera plus un jeu d’Anglais mais bien un sport international.

Massy ambassadeur

« Vive l’entente cordiale ! » C’est par ces mots que Massy conclut son discours de vainqueur au British Open, célébrant ainsi les accords diplomatiques signés quelques années auparavant entre la France et l’Angleterre et son affection pour les deux pays qui ont donné naissance à sa carrière. L’aventure sportive du Français ne se résume cependant pas à des allers-retours Paris-Londres. Son titre obtenu, sa popularité grandit et il est invité à participer à des matchs d’exhibitions et à de nouveaux tournois.

Cet homme tenace, fier et talentueux a changé le visage de son sport, lui a fait franchir des frontières.

Ainsi, dès l’hiver 1907 il affronte à Cannes pour le plaisir du Grand Duc Michel de Russie les dieux britanniques du fairway : il les bat de nouveau. Par la suite, il est le premier à inscrire son nom au palmarès de nouveaux Opens : il remporte celui de Belgique en 1910 et celui d’Espagne en 1912 puis en 1927 et 1928. En 1911 il termine deuxième du British Open, rivalisant encore avec les meilleurs. Accompagné de Jean Gassiat, Louis Tellier et Eugène Lafitte, le meneur des mousquetaires du golf comme on les surnomme alors, s’offre même une victoire contre l’équipe américaine dans une rencontre organisée par Pierre Deschamps en 1913. Le basque est devenu l’égal des champions britanniques. Ce porte-drapeau du golf français a ainsi participé à la démocratisation de son sport à travers le monde. Le golf entre dans une nouvelle ère où la distinction entre le loisir d’antan et la compétition sportive est plus flagrante. Le Great Triumvirat composé de Harry Vardon, J.H. Taylor et James Braid domine encore un temps les greens et terrasse de nombreux adversaires. Ils remportent à eux trois 16 des 21 British Open qui ont lieu entre 1894 et 1914. Puis, dans les années 1920, les Américains prennent le relais : Bobby Jones le « Mozart du Golf » collectionne les trophées et est adulé. C’est dire le talent et l’exploit accompli par Arnaud Massy de s’imposer au plus haut niveau pendant plus de 25 ans. Deux signes prouvent que le golf a changé entre les débuts du Basque et la fin de sa carrière : en 1911 il écrit un livre intitulé Le Golf qui trois ans plus tard est traduit en anglais, et, pour célébrer sa retraite, le génie français fait une tournée d’adieu de trois mois en Floride.

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Tournoi de golf dames au Jeux olympiques parisiens de 1900

Les britanniques n’ont plus le monopole. De nouveaux tournois sont crées : l’US Open qui a lieu outre-atlantique, le championnat international amateur des États-Unis et le championnat international amateur de Grande-Bretagne. Oscar Bane utilise l’expression de Grand Chelem lorsque Bobby Jones remporte les quatre à la suite. Les nouveaux champions sont américains. En Europe continentale, le golf connaît un vrai boom : de nouveaux parcours voient le jour et les joueurs sont de plus en plus nombreux. Arnaud Massy, ambassadeur de ce nouveau golf international, s’efface et quitte le milieu. Il s’exile un temps au Maroc. Le golf garde une place importante dans sa vie: il donne des cours, écrit des livres d’initiation. Il passe sa fin de vie dans l’oubli et le dénuement sans retrouver de club d’attache, ne laissant au golf français que le premier chapitre de son histoire. Même si le golf français connaît depuis les années 1980 un fort développement avec un nombre de licenciés croissant (environ 415 000 en 2013), le successeur de Arnaud Massy ne s’est jamais présenté. Cet homme tenace, fier et talentueux a changé le visage de son sport, lui a fait franchir des frontières. Le golf est aujourd’hui pratiqué au quatre coins du globe, de nouveaux champions internationaux ont fait tomber les anglo-saxons. L’Espagnol Severiano Ballesteros est le second joueur non-britannique qui remporte le British Open en 1979. Cependant, malgré ce précurseur charismatique, jamais le golf français n’a pu titiller le golf anglo-saxon, pas davantage d’ailleurs qu’il n’a su déranger les quelque champions ibériques et autres étrangers venus ramasser les miettes laissées par les Britanniques et Américains. Pratique ésotérique, il souffre toujours de cette réputation élitiste. Les initiés français regrettent que leur sport soit ainsi dénigré et espèrent qu’avec la Ryder Cup 2018, organisée en France, et l’arrivée de Victor Dubuisson parmi les nouveaux ténors du circuit, le golf puisse enfin rayonner. Toutefois, ce qui fait la force du golf au Royaume-Uni, c’est son histoire et son rôle dans la culture locale. De l’autre côté de la Manche, le golf boit du thé, salue la reine et écoute les Beatles. Son petit cousin français, en manque d’identité, doit peut-être alors se rappeler au bon souvenir de sa gloire passée, de son unique champion : Arnaud Massy.


Couverture : Balle de golf.