Depuis la tenue, le 1er octobre dernier, d’un référendum déclaré illégal sur l’indépendance de la Catalogne – marqué par des violences policières, il a vu le « oui » l’emporter à 90 % avec une participation électorale de 40 % –, l’Espagne vit au rythme des passes d’arme entre le gouvernement central basé à Madrid, et les séparatistes basés à Barcelone. Et si l’Union européenne a choisi de ne pas intervenir dans le conflit, ses dirigeants semblent avoir choisi leur camp. Ils vont « envoyer » un « message d’unité autour de l’Espagne », a en effet affirmé Emmanuel Macron lors d’un sommet européen à Bruxelles, le 19 octobre. « Nous soutenons la position du gouvernement espagnol », a pour sa part déclaré Angela Merkel. Peut-être de peur que les velléités d’indépendance de la Catalogne ne gagnent d’autres régions d’Europe.

D’autres régions européennes en quête d’indépendance

La saga des Féroïens

Au sein même de l’Espagne palpite une autre région aux velléités d’indépendance : le Pays basque (Euskal Herria), où le mouvement séparatiste a longtemps été incarné par des armes bien réelles. Celles de l’ETA, qui a tué 829 personnes et commis des dizaines d’enlèvements entre 1959, date de sa fondation, et 2011, date de « la fin définitive de son action armée ». Depuis, « la société basque est dans une phase de réconciliation », selon le politologue Vincent Laborderie, spécialiste des séparations d’États. « Elle dispose en outre d’une autonomie très forte, notamment en matière fiscale, ce qui lui donne une situation enviable en Espagne. » Bien que des manifestations en soutien à l’action des indépendantistes catalans aient eu lieu dans les rues de Bilbao, fin septembre, il semble donc peu probable que le scénario catalan se reproduise au Pays basque. Tout comme en Flandre, région néerlandophone de la Belgique qui dispose de son propre parlement. « La Flandre n’a en réalité jamais été aussi loin de l’indépendance », explique Vincent Laborderie. « Seule une faible partie de sa population y est favorable, mais cela n’a rien de nouveau. Ce qui a changé, c’est que le principal parti indépendantiste flamand, la N-VA, ne l’est plus vraiment. » Après les dernières élections, en 2014, la N-VA avait en effet décidé de mettre de côté ses revendications communautaires pour participer au pouvoir. « Il a alors fini de se transformer en un parti de droite conservatrice, à l’instar des Républicains en France. »

L’Assemblée de Corse
Crédits : corse.fr

Le Premier ministre belge Charles Michel a pour sa part condamné fermement les violences policières qui ont marqué le référendum catalan : « La violence ne peut jamais constituer une réponse ! Nous condamnons toutes les formes de violence et réaffirmons notre appel au dialogue politique. » Des violences également dénoncées par le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, qui a tenu à apporter son soutien aux Catalans, fustigeant au passage une « Espagne  dérivant vers l’autoritarisme ». Comme le souligne Corse-Matin, la Catalogne a toujours captivé les nationalistes corses. « Une “région amie” vers laquelle ils n’ont jamais cessé de regarder, tantôt pour nourrir leur imaginaire politique, tantôt pour l’ériger en “modèle” de réussite et d’émancipation, nouant des relations depuis des décennies pour faire valoir des sacro-saints “droits nationaux”. » Mais la Catalogne et la Corse sont « deux mondes économiques aux antipodes », fait valoir le quotidien local. La Catalogne représente 16 % de la population espagnole, 20,6 % du PIB de l’Espagne, et 28 % de ses exportations, tandis que la Corse représente 0,5 % de la population française, 0,4 % du PIB de la France, et près de 0 % de ses exportations.

Loin de la Méditerranée, en mer de Norvège, c’est bien la perspective de s’affranchir économiquement de Copenhague qui a ravivé les velléités d’indépendance des Îles Féroé. Autonome depuis 1948, cet archipel du Danemark qui dépend de la pêche et d’une subvention annuelle de 68 millions d’euros a en effet découvert qu’il disposait d’importants gisements gaziers et pétroliers. Un référendum sur un projet de constitution doit avoir lieu le 25 avril 2018. Selon les termes employés par le Premier ministre des Îles Féroé, Aksel Johannesen, cette constitution « définira [leur] identité en tant que nation et [leurs] droits fondamentaux et devoirs en tant que peuple, y compris le droit à l’autodétermination ».

Les Îles Féroé
Crédits : Lonely Planet

Hard Brexit

Contrairement aux régions que sont la Catalogne, le Pays basque, la Flandre ou la Corse, l’Écosse, qui se trouve à seulement 320 kilomètres des Îles Féroé, est une des quatre nations qui constituent le Royaume-Uni. Et contrairement à la Catalogne, elle avait été autorisée à organiser le référendum sur son indépendance qui a eu lieu le 18 septembre 2014. Les électeurs écossais s’étaient alors prononcé contre, à 55 %, pour un taux de participation de 84 %. Mais ils se sont également prononcés contre le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne le 23 juin 2016, à 62 %, pour un taux de participation de 67 %. Et comme le souligne Vincent Laborderie, « un nouveau référendum en Écosse est directement lié au Brexit et à la manière dont celui-ci se déroulera ».

C’est au lendemain de ce vote que Nicola Sturgeon, cheffe du parti indépendantiste Scottish National Party (SNP) et Première ministre écossaise, a demandé au gouvernement britannique la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance en automne 2018. Avant de changer d’avis en juin dernier, fragilisée par les élections législatives. « Nous n’introduirons pas de législation pour un référendum sur l’indépendance immédiatement », déclarait-elle alors, en expliquant qu’elle voulait attendre le résultat des négociations du Brexit. Ce qui repousse ledit référendum, au mieux, au printemps 2019. Et complique les choses pour les indépendantistes. « Maintenant que les conservateurs n’ont plus la majorité absolue à la Chambre des communes du Royaume-Uni, un “hard Brexit” apparaît improbable », explique Vincent Laborderie. « Le Royaume-Uni devrait donc rester à l’intérieur du marché unique. Dès lors, une simple sortie de l’Union européenne sans pour autant entraver la libre circulation des hommes et des marchandises justifie-t-elle un nouveau référendum ? Probablement pas, et dans ce cas il sera d’autant plus dur à gagner pour les indépendantistes. » Lesquels ne semblent pourtant pas vouloir y renoncer.

Catalans et Écossais sont solidaires
Crédits : France Info

« Nous ne savons peut-être pas quand le choix sera fait mais nous pouvons, nous devons revendiquer l’indépendance, et nous revendiquerons toujours l’indépendance », a en effet affirmé Nicola Sturgeon lors de son allocution de clôture du congrès annuel du SNP, qui s’est tenu du 8 au 10 octobre à Glasgow, et où des dizaines de drapeaux catalans flottaient aux côtés des drapeaux écossais. Ces mots ont fait la une du National le lendemain. « La Première ministre », soulignait alors le journal pro-indépendance écossais, « a réitéré le raisonnement qui sous-tend le but ultime du [SNP], à savoir que les intérêts de l’Écosse ont été “écartés” de plusieurs façons : lors du référendum sur le Brexit en 2016, par la politique d’austérité du gouvernement britannique et par le fait que Londres n’a pas mis en place de fonds pétrolier dans les années 1970. » 

De son côté, le Daily Record a préféré attirer l’attention de ses lecteurs sur le fait que la cote de popularité de Nicola Sturgeon est actuellement au plus bas. « Et pourtant, elle a encore juré dans son discours que le SNP est le “parti de l’indépendance” », fait mine de s’étonner le journal anti-indépendance écossais. « Cela ne réconforte guère les parents dont les enfants sont scolarisés dans des classes surchargées, les banlieusards qui se déplacent dans des trains ScotRail bondés et en retard, et les patients confrontés à de longues attentes aux urgences. »

Nicola Sturgeon

Lombardie et Vénétie

Dans la foulée du contentieux qui oppose Barcelone à Madrid, une autre volonté d’indépendance s’exprime dans l’Europe méditerranéenne. En Italie, la Ligue du Nord, un parti d’extrême droite, a organisé, dans le cadre de la Constitution, un référendum sur l’autonomie de la Lombardie et de la Vénétie le 22 octobre. Leurs présidents, Roberto Maroni et Luca Zaia, rêvent d’une « Europe des régions ». En cas de victoire lors du référendum, ils souhaitaient réclamer à Rome davantage de compétences en matière d’infrastructures, de santé et d’éducation. Ils souhaitaient aussi obtenir des pouvoirs traditionnellement réservés à l’État en matière de sécurité et d’immigration, deux thèmes chers à la Ligue du Nord qui nécessiteraient néanmoins une modification de la Constitution. Un autre de leurs objectifs était d’obtenir davantage de ressources financières en récupérant environ la moitié du solde fiscal actuel. Celui-ci s’élève à 54 milliards d’euros pour la Lombardie et à 15,5 milliards pour la Vénétie. Or, Roberto Maroni et Luca Zaia ont en partie réussi leur pari.

Les électeurs de Lombardie et de Vénétie ont majoritairement voté en faveur d’une plus grande autonomie, et ce avec une participation suffisamment importante pour leur donner un pouvoir de négociation face à Rome. D’après des données quasi-définitives, ils ont été plus de 95 % à se prononcer en faveur du oui, avec un taux de participation autour de 40 % en Lombardie, et de 57 % en Vénétie. « J’ai voté oui pour donner davantage de pouvoir à la Vénétie dans une future Italie plus forte et plus fédérale »,  a twitté le maire de Venise, Luigi Brugnaro. « Non aux égoïsmes, oui à la bonne administration. »

Le drapeau de la Vénétie

En attendant de voir si d’autres régions d’Europe décident de demander à leurs habitants de se prononcer sur leur autonomie, les yeux des dirigeants restent braqués sur la Catalogne. « Le gouvernement espagnol vient de décider de destituer le gouvernement catalan et d’organiser de nouvelles élections », rappelle Vincent Laborderie. Reste à savoir qui les gagnera. « Mais même si les indépendantistes perdent leur majorité à cette occasion, ce ne sera pas la fin du conflit entre Madrid et Barcelone, ni à l’intérieur de la société catalane. » La France elle-même va bientôt devoir se confronter aux désirs d’indépendance d’un de ses territoires : la Nouvelle-Calédonie. Cet archipel du Pacifique sud votera en effet pour son autodétermination en novembre 2018, un peu plus de vingt ans après les accords de Nouméa, qui avaient amorcé un processus de décolonisation. L’État a progressivement attribué de nombreuses compétences au gouvernement local, mais conservé les domaines régaliens. Et aujourd’hui, Paris craint qu’un scrutin « outrancièrement binaire, mal préparé, mette le feu aux poudres », selon les mots de l’ancien garde des Sceaux de François Hollande, Jean-Jacques Urvoas. La proclamation d’indépendance d’un territoire français serait une première depuis 1980, année où l’archipel voisin des Nouvelles-Hébrides est devenu le Vanuatu.


Couverture : Venise sous les étoiles européennes. (DR/Ulyces.co)