Dubaï, Émirats arabes unis.

À la Film & Comic Con du Moyen-Orient (MEFCC), on dévoile les secrets des costumes. Un adolescent saoudien révèle qu’il a utilisé des rouleaux de papier toilette pour concevoir la carapace géante de son costume inspiré des Tortues Ninja. Deux jeunes garçons omanais expliquent avec enthousiasme comment utiliser de la glu afin de recréer parfaitement les cheveux dressés en piques de Sangoku, personnage emblématique de Dragon Ball. Quant aux porteuses du hijab, de jeunes Émiriennes futées expliquent comment fabriquer la coiffe du film Maléfique afin qu’elle couvre totalement leurs cheveux. Leur secret ? Une bonne dose de chatterton.

Quatre ans après son lancement, la MEFCC est sans aucun doute le rendez-vous de la culture pop le plus prisé de la région. À la fin de la convention, le 11 avril, près de 50 000 personnes étaient venues assister à cet incroyable événement, qui s’est déroulé sur trois jours au gigantesque World Trade Centre de Dubaï. Cette incroyable affluence représente une augmentation de 40 % par rapport à l’année précédente. La convention a attiré plus de 250 exposants, artistes et célébrités venus du monde de la télévision, du cinéma et des comics.

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Des accessoires traditionnels de la région sont utilisés pour certains cosplays
Crédits : Gaar Adams

« Vous vous souvenez, quand la première MEFCC était à peine plus grande qu’une tente plantée dans le jardin d’un voisin ? » plaisante Max Landis, scénariste hollywoodien et animateur à la convention, alors qu’il donne le coup d’envoi de l’événement sur scène.

Il exagère à peine : lors la première convention en 2012, seuls quelques milliers de participants se tenaient dans le vieil immeuble délabré d’un club nautique situé en périphérie de la ville, comme des ados mis à l’écart de la piste de danse au bal de fin d’année. Culturellement parlant, on pourrait croire que Dubaï est l’endroit le moins évident où organiser un week-end de fête pour passionnés de science-fiction ; et pourtant, la ville s’y prête parfaitement. Durant son discours, William Shatner – le capitaine Kirk en personne – s’est dit impressionné : « Je ne sais pas grand-chose de Dubaï, mais on la croirait tout droit sortie d’un imaginaire futuriste. »

Le marché

De nombreuses personnes se représentent Dubaï de cette façon : une cité du désert aux gratte-ciel étincelants et au luxe ultramoderne, une flèche de verre et d’acier émergeant d’un paysage aussi vaste et désolé que la surface de Tatooine. Depuis sa montée en puissance au niveau mondial, l’émirat s’est soigneusement forgé une image utopique. Et bien que la crise économique mondiale de 2008 ait brièvement mis un frein à sa croissance ambitieuse, Dubaï montre à nouveau son penchant pour les folies architecturales avec la récente annonce des plans de construction d’une forêt tropicale artificielle, du plus grand centre commercial du monde (encore un), et d’un canal de trois kilomètres d’une valeur de 450 millions d’euros, creusé tout autour du centre-ville.

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Star Wars X Freddy
Crédits : Gaar Adams

Si la finance est encore le secteur majoritaire en ville, Dubaï cherche aussi à se positionner en tant que centre international de plusieurs nouveaux marchés, parmi lesquels la mode islamique et la production de nourriture halal. Quel autre secteur figure parmi les plus prometteurs ? Celui du cinéma et de l’animation, bien entendu.

Les incontournables de la science-fiction et les héros de séries cultes font sensation à la Comic Con de Dubaï : Gillian Anderson de X-Files y signe des autographes ; Sam J. Jones, icône des années 1980, évoque ses souvenirs de Flash Gordon ; et Miltos Yerolemou, qui incarne Syrio Forel, le « maître à danser » d’Arya Stark dans Game of Thrones, y offre même des cours d’escrime à la veille du lancement de la série sur HBO. Cependant, parmi toutes ces célébrités étrangères venues à Dubaï – souvent raillée car elle s’appuie trop sur la culture importée –, le MEFCC met aussi en avant l’un des marchés émergents les plus formidables de la ville : son talent dans l’industrie locale du cinéma et du comics.

Ce 10 avril au Comic Con, Jalal Luqman, artiste émirati et entrepreneur de 48 ans, reste collé à son stand haut en couleurs. Il est ici pour le lancement de sa bande dessinée, The Armagondas, l’une des premières du pays, après avoir passé vingt ans à développer l’univers de cette série épique et fantastique, une dystopie mêlant feu de l’enfer et dragons. Les premiers prototypes de ses colosses à l’air sauvage trônent dans un coin du stand. En tant que pionnier du domaine au sein des Émirats arabes unis, Luqman a assisté à l’expansion de l’industrie du comics, passée de niche à géant en devenir. « Ici, si on n’arrive pas à s’exprimer à travers une forme artistique donnée, on en essaye une autre », explique-t-il.

À l’autre bout de la convention se trouve Ashraf Ghori, l’un de ses amis et contemporains, dessinateur de comics et réalisateur d’origine indienne vivant à Dubaï. Pendant que des joueurs passionnés se bousculent devant lui, Ghori dessine un croquis, faisant glisser la mine de son crayon sur la page blanche d’un bloc-notes avec dextérité. « Dans les années 1990, alors que je vivais déjà ici, je rêvais qu’un tel événement se tienne un jour à Dubaï », raconte-t-il tandis que deux jeunes Émiratis habillés en personnages de la Légende de Zelda défilent avec fierté. « Maintenant, ça y est. »

Ghori a débuté dans les années 1980 en tant qu’illustrateur pour le Khaleej Times, un journal en anglais, tout jeune à l’époque, quand l’industrie manquait encore de débouchés. Aujourd’hui, avec sa réalisation du premier film de science-fiction en images de synthèse du pays – un thriller futuriste avec des cyborgs intitulé Xero Error –, il est l’un des membres les plus influents des réseaux sociaux du Golfe. Et alors que décolle enfin son webcomic plus ordinaire – FOBcity, vision cinglante et satirique de la vie d’un expatrié en terre étrangère –, Ghori s’embarque également dans une collaboration inédite avec The Narcicyst, célèbre rappeur arabe, pour un projet multimédia baptisé World War Free Now – dont la sortie est prévue à la fin du mois de juin. « C’est un mélange de musique, de vidéo et de bande dessinée. Nous sommes en train de bâtir une communauté où convergent tous les arts », affirme Ghori.

Avec son costume inspiré de Walking Dead, ce cosplayer de Dubaï à fait sensationcrédits : Gaar Adams

Avec son costume inspiré de Walking Dead, ce cosplayer de Dubaï à fait sensation
crédits : Gaar Adams

La communauté

Ali Al Sayed comprend lui aussi l’importance d’une communauté artistique soudée pour les Émirats arabes unis. Ce comédien, parmi les premiers de Dubaï, anime la scène principale du MEFCC, dirige un programme de formation pour comédiens appelé Dubomedy – l’un des seuls de la région – et voit une inter-connectivité cruciale entre la bande dessinée, le cinéma et les autres arts.

Son programme compte de nombreux fans de la Comic Con de la région. Pendant que nous parlons, des membres de sa troupe vendent des T-shirts arborant des slogans tels que « Luke, je suis ta mère », représentant une vieille femme émiratie vêtue d’un niqab.

« Mon premier boulot à Dubaï ? C’était un spectacle de 30 minutes devant un public de 800 dentistes », se rappelle Al Sayed en riant. « Mais à présent, la ville a changé. Il y a de la place pour la comédie, pour les geeks, pour tout le monde. »

Les Émirats arabes unis ont longtemps souffert de lois draconiennes imposées aux spectacles et d’un manque d’acteurs originaires de la région. Al Sayed, qui attend avec impatience les événements cinématographiques et scéniques – comme l’avant-première d’un réalisateur local du nom de Faisal Hashmi –, espère aider l’industrie en démocratisant la comédie, le jeu d’acteur et les représentations. « Nous devons nous soutenir mutuellement afin de continuer à nous développer », dit-il.

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Ce jeune homme est venu d’Arabie Saoudite pour le festival
Crédits : Gaar Adams

Et même si le MEFCC a des allures de groupe exclusivement masculin, les femmes jouent un rôle essentiel dans le développement de l’industrie ; et elles représentent une part importante du public venu assister à la Comic Con. Dans l’allée des artistes – un labyrinthe où ces derniers dévoilent leurs œuvres durant la convention –, près de la moitié des exposants sont des femmes.

Fakhra Al Mansouri, fondatrice et présidente de Hybrid Humans, un studio indépendant de jeux vidéo de la région, explique, surexcitée, la programmation de Hop Hop Away, leur dernier jeu en date, qui inclut des lapins de cirque en fuite. À un autre stand, l’artiste émiratie Maryam Al Zaab vend ses représentations osées d’icônes réinterprétées de la culture populaire.

Néanmoins, les femmes artistes ne se limitent pas aux Émirats : beaucoup d’entre elles, attirées par le MEFCC, viennent aussi de pays voisins, comme le Koweït, le Liban et le Soudan.

« Je viens à Dubaï car le marché y est le plus développé [de la région]. On peut tous se rassembler ici pour apprendre et nous épanouir en tant qu’artistes », m’affirme Alaa Ahmed Musa, character designer et illustratrice de talent originaire du Soudan.

« Nos opérations étaient seulement basées au Caire, mais à présent, la communauté artistique de Dubaï est si importante que la moitié de notre équipe s’y trouve également », explique une artiste de Magnoon Magazine, un fanzine illustré par des artistes venus des quatre coins de la région. « C’est une ville où ce type d’art est de plus en plus respecté. Les gens sont plus emballés. »

Les nouveaux talents sont aussi synonymes d’argent, et même les artistes à l’étranger et les distributeurs ont pris note de l’industrie du comics à Dubaï – davantage pour son contenu que pour son style. Bien que Sohaib Awan, créateur du webcomics Jinnrise, soit basé aux États-Unis, où il rencontre un franc succès, il a également lancé son œuvre au MEFCC de 2012, et revient cette année encore, échangeant même avec des distributeurs au Moyen-Orient.

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Certaines participantes ne peuvent pas faire plus de quelques pas sans prendre une photo
Crédits : Gaar Adams

Son œuvre raconte l’histoire d’un jeune étudiant qui fait face à des obstacles, en apparence insurmontables, avant que des forces interstellaires envahissent la Terre et qu’une race incomprise et oubliée, les Jinn, ou génies, ne devienne le dernier espoir pour la survie de l’humanité. « Nous voyons Jinnrise comme une marque internationale, mais c’est ici, à Dubaï, que nous nous sommes trouvés une famille », avoue Awan.

Pour les artistes comme Awan et les autres exposants du Comic Con, cette famille et cette impression d’appartenance vient souvent de la mixité des cultures présente dans la ville. L’un des exposants les plus populaires cette année est Hudoob, une marque de vêtements basée à Dubaï qui s’attaque adroitement aux questions des origines et de l’identité. Leurs T-shirts et leurs casquettes bien pensés allient l’argot en vogue aux Émirats et les proverbes classiques de la région, le tout dans un mélange habile de calligraphie, de couleurs vives et de design contemporain.

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Certaines femmes trouvent des astuces pour se déguiser
Crédits : MEFCC/Facebook

« Pour nous, il était important de créer quelque chose qui puise ses racines dans la culture locale, mais qui soit fait pour la génération d’aujourd’hui », explique le co-fondateur de Hudoob, Max Stanton, un Américain parlant couramment arabe, élevé au Yémen et qui vit à présent à Dubaï. Pour lui comme pour l’autre fondateur, Khalid Mahmood, un Émirati ayant vu son pays devenir principalement une terre d’expatriés, le fait de représenter ces notions de culture changeante est la clé pour intéresser leur public.

D’autres œuvres tentent de s’attaquer au développement fulgurant de la culture populaire du comics et du manga japonais dans la région. Le style de dessin japonais a largement inspiré le travail de la jeune illustratrice et créatrice émirienne Shaïkha Al Hattawi. « Je ne suis jamais allée au Japon, mais on le retrouve partout dans mes dessins », dit-elle.

Et tout comme pour les œuvres ainsi exposées au Comic Con, beaucoup de participants jonglent eux aussi avec ces mêmes questions d’origine.

« Je suis né à Singapour, j’ai grandi au Qatar, mais mon père est malaisien et ma mère vient des Philippines. Aujourd’hui, je vis à Dubaï », commente un jeune cosplayer. « C’est toujours super long à expliquer. Au Comic Con, je peux être n’importe qui », poursuit-il, les yeux étincelants sous son masque de Green Lantern.

La culture

Le cosplay est l’un des éléments incontournables du Comic Con. Adolescents, jeunes adultes et même certains adultes plus tout jeunes semblent ravis de jouer à incarner un personnage. De vifs bavardages s’échappent de la salle de prière des filles au World Trade Centre, un endroit habituellement réservé à la réflexion. Des femmes vêtues de jeans, d’un pantalon ou d’un abaya y entrent, et des Natasha Irons, des Erza Scarlet ou des Wonder Woman en sortent.

Pourtant, on sent encore la présence de certaines contraintes culturelles au MEFCC. Après avoir pris une série de photos de fausses exécutions avec des victimes consentantes, les quatre jeunes Émiratis revêtus de leurs costumes issues d’Assassin’s Creed refusent poliment de trancher la gorge d’une femme, et ce malgré son insistance. Au lieu de cela, ils optent pour une photo tous ensemble avec les pouces levés, tout sourire et sans capuchon.

Beaucoup de femmes se plaisent à saper les attentes culturelles. Tandis qu’un groupe d’hommes habillés en soldats de Call of Duty: Black Ops se faufilent discrètement entre les stands, deux jeunes filles des Émirats leur volent leurs armes, donnant lieu à une course-poursuite dans toute la convention.

Plus tard, en montrant son costume de Katniss Everdeen, une jeune fille de 16 ans explique tranquillement : « Katniss était le costume le plus simple pour moi, parce que je pouvais cacher les flèches sous mon abaya en sortant de chez moi ce matin. »

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Les participants aiment se mettre en scène devant les photographes
Crédits : Gaar Adams

Omar Ismail, fondateur émirati d’une solide communauté de 450 membres portée sur le jeu de rôle : la Gulf Roleplaying Community, assure que cet intérêt régional grandissant pour les comics – qui s’étend à tout et tous : hommes ou femmes, jeunes ou âgés, du coin ou expatriés – a même redéfini ses attentes en tant que joueur passionné. « Lorsqu’on a commencé la Comic Con il y a quatre ans, je voulais seulement rencontrer des gens pour jouer à Shadowrun. Cette année, on est si nombreux que notre stand a même un bar à desserts ! » raconte-t-il en riant. Il indique un bar chic tout près de là, qui sert des cupcakes. « Incroyable, non ? »

Partir de rien pour créer quelque chose, c’est le rêve désertique par excellence que Dubaï adore faire miroiter. Bien avant la frénésie de construction lancée pour sa gigantesque exposition universelle de 2020, comprenant un méga-projet à presque trois milliards de dollars (environ 2,6 milliards d’euros) avec ses cinq parcs à thèmes qui raviront sûrement les adorateurs du Comic Con, cette première histoire fera encore longtemps parler d’elle.

Mais comme avec toute bonne bande dessinée, le lecteur doit découvrir ce qui se cache sous la couverture brillante. Et au Comic Con, il y avait bien assez de personnages incroyables pour construire l’avenir de la science-fiction dubaïote.

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Un participant déguisé en personnage du Seigneur des Anneaux
Crédits : Gaar Adams


Traduit par Anastasiya Reznik d’après l’article « Dubai, SCI-FI  CITY », paru dans Roads & Kingdoms.

Couverture : Des Stormtroopers aux abords de Dubaï, par Power League Gaming pour la MEFCC.