« Parler de Blanco, c’est évoquer Dieu. Ici, à Biarritz, tout le monde l’adore ! » À en croire cet interlocuteur du Pays basque, écrire sur Serge Blanco reviendrait donc à rédiger la Bible. Pour qui a suivi le rugby des années 1980, l’image est raccord. Inspiration, talent, exemplarité, le joueur marchait sur l’eau. Les images d’époque ont conservé la marque d’un joueur emblématique, esthétique et efficace : un record de 38 essais inscrits avec le XV de France en onze années et 93 sélections entre 1980 à 1991, dont celui aplati en coin contre l’Australie, au bout du monde et au bout du match, qui vaut aux Français de disputer – et de perdre – la finale de la première Coupe du monde, en 1987, chez les All Blacks de Nouvelle-Zélande. Mais au-delà des louanges et des images, Serge Blanco demeure cependant une douce et dingue idée de l’époque, l’incarnation du talent, une référence multiraciale alors que le terme ne se disait pas encore, une émotion aussi, dont son palmarès international – six Tournois des Cinq nations, dont deux Grands Chelems, un titre de vice-champion du monde en 1987 – ne témoigne qu‘imparfaitement. Mais si Biarritz vénère son Blanco, c’est au moins autant pour son jeu flamboyant que pour son attachement viscéral à son Rocher de la Vierge. L’arrière du XV de France, l’un des plus grands joueurs français de tous les temps, aurait pu se bâtir un CV en or massif s’il avait accepté l’une des propositions formulées par les clubs huppés. Mais il a toujours privilégié ses frères d’armes. Blanco et son numéro 15 dans le dos sont devenus une marque ; Blanco biarrot, c’est un tatouage pour la vie. S’il naît à Caracas d’un père vénézuélien – décédé alors qu’il n’avait que deux ans –, c’est à Biarritz qu’il débarque dans les bras de sa mère, Française d’origine basque. S’il s’initie au rugby à Saint-Jean-de-Luz, le temps d’une saison, c’est au Biarritz Olympique qu’il fait l’intégralité de sa carrière. De ses carrières, doit-on écrire : joueur, d’abord, seize ans sous le maillot rouge et blanc, puis président, de 1995 à 1998 et depuis 2008. Lorsqu’en 1998, il accède à la présidence de la naissante Ligue nationale de rugby (LNR), l’organe de gestion du rugby professionnel, c’est un ambassadeur de leurs couleurs que les Biarrots voient monter jusqu’à la capitale.

Un ouvrier fraiseur en équipe de France

Il faut dire que la saga est belle. Avant d’être à la tête d’un patrimoine diversifié – ligne de vêtements, hôtels, restaurants, centre de thalassothérapie – pesant environ 40 millions d’euros, le jeune métis a débuté comme tourneur-fraiseur chez Dassault. Pendant sept ans, il décape les Falcon et les Mirage avant que son entrée en équipe de France, en 1980, ne l’ouvre à d’autres horizons. Jean-Pierre Rives, capitaine emblématique des Bleus, le présente au grand patron du groupe de spiritueux Pernod. Mais Serge Blanco ne tient pas longtemps dans le rôle de public relations. Il l’a souvent rappelé : « Ce que j’aime par-dessus tout, c’est la création. » Au créateur de beau jeu succède celui de créateur d’affaires. En 1992, au crépuscule de sa carrière, l’autodidacte bat le rappel de ses fondamentaux de joueur, flair, sens de l’anticipation, ascendant sur les autres. Le réseau qu’il a commencé à se constituer fait le reste. « Je n’ai finalement pas eu de véritable reconversion puisque je n’ai jamais cessé de travailler », expliquera-t-il. « Et lorsque j’ai rangé les crampons, les choses étaient planifiées. » Il est encore joueur en 1991 lorsque sort de terre à Hendaye le premier centre de thalassothérapie à son nom. L’idée a germé sur une table de massage, un échange avec le kinésithérapeute du club, Louis-Michel Clus. « Michel souhaitait diversifier ses activités, se souvient Blanco. La thalassothérapie s’est imposée comme une évidence avec une répartition des rôles très claire : j’irai chercher les clients, lui les soignera. » Avec une perte de 4,5 millions de francs, « la première année a été très compliquée », dit sobrement Blanco. Malgré cela, l’essor ne tarde pas.

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Diversifier les activités
Pioneer Exhibition Game
Excelsior, novembre 1916

À peu près à la même époque, Jean-Jacques Lauby, un ancien prof de sport reconverti dans le prêt-à-porter, le convainc de monnayer son nom. « Je songeais à créer une ligne de vêtements lorsque j’ai entendu Blanco à la radio, se rappelle Lauby. Je l’ai trouvé chaleureux et intéressant. Alors, j’ai filé à Hendaye. Au deuxième rendez-vous, on topait. Seule condition : attendre qu’il ait fini de jouer pour créer la marque car il ne voulait pas mélanger les genres. » Blanco a l’honnêteté de reconnaitre qu’il n’entend pas grand-chose au design vestimentaire. « J’ai compris que, dans la mode, des choses qui pouvaient ne pas me plaire pouvaient plaire aux gens, et vice versa. » Quelques semaines après le dernier match officiel avec Biarritz de son joueur emblématique, le label « 15. Serge Blanco » fait son apparition. On est en septembre 1992. La mode du sportswear rugby est alors confidentielle et le jeu encore loin d’être tendance. Autour des douze premiers polos griffés Blanco, la greffe prend pourtant. Une première boutique à son nom ouvre à Blagnac en 1994. La gamme s’élargit aux accessoires, elle est distribuée dans près de soixante-dix magasins. La plupart sont franchisés. « Serge ne risquait pas grand chose, observe un concurrent. Il était sous licence et disposait d’un minimum garanti. » Le pari est gagnant, le volume commercial croît, le magot indexé aux bénéfices de Blanco tout autant. En 1995, Canal+ obtient les droits télévisuels du championnat de France et propose au Biarrot de rejoindre son antenne. Avant lui, seul l’ancien joueur Pierre Albaladejo a franchi le seuil d’une cabine de commentateur. Dans les années 1960 et 70, son association avec l’enthousiaste Roger Couderc a fait le bonheur des samedis après-midi de l’ex-ORTF. Premier consultant rugby de la chaîne cryptée, Blanco n’oublie pas d’apporter sous le bras sa ligne de vêtements pour habiller les journalistes et les génériques des émissions sportives. Mais l’avènement cette année-là est ailleurs. Blanco prend la présidence du Biarritz Olympique. L’ère du rugby professionnel vient d’être décrétée. « Le BO était à la rue, se souvient un sympathisant du club. Sportivement, il ne pesait pas, structurellement, c’était un vaste chantier et la composition de son organigramme était d’une autre génération. Le club ronronnait et n’avait aucun critère pour répondre aux exigences du passage au professionnalisme. Ce qui se profilait l’aurait fait disparaître de la carte de l’élite. Oui, Blanco a sauvé le BO. Il l’a restauré, a fait le ménage, parfois sans prendre de gants et l’a remis sur les rails de la gagne. Voilà aussi pourquoi les gens d’ici lui vouent une reconnaissance éternelle. » En 1998, il est porté à la présidence de la Ligue nationale de rugby. « Il avait le bon CV, se souvient Henri Bru, ancien journaliste de L’Équipe. Il avait pour lui son passé de joueur, il était président de club et pas n’importe lequel. Il était connu et reconnu. Il passait bien dans les médias, que ce soit ses messages ou ses coups de gueule. Et il avait des idées. » « Son accession était tout ce qu’il y a de légitime», prolonge Patrick Wolff, vice-président de la LNR depuis sa création. « Son nom sonnait comme une évidence à l’époque. Ce serait peut-être moins le cas aujourd’hui au vu de l’évolution des organigrammes. »

Parachutage à la Fédération

Pour réussir son atterrissage, Blanco s’appuie sur les compétences et le dynamisme de Wolff et du directeur général, Arnaud Dagorne. « C’est un fin politique, à la fois visionnaire et pragmatique », dit de lui Dagorne. « Serge impulsait, à nous de mettre à exécution », rappelle Patrick Wolff. L’invention du rugby professionnel constitue un vaste chantier : il s’agit d’assainir les finances de l’élite, de modifier le statut juridique des clubs, d’établir les calendriers, de trouver un point d’équilibre entre les clubs dominants et les autres, de changer les mentalités et de se frotter à la reine-mère, la Fédération. « Les rapports tendus avec la Fédération ne datent pas d’hier, reprend Patrick Wolff. La FFR, qui détient toujours les pouvoirs régaliens, devait apprendre à remettre sa délégation sportive et économique entre les mains d’une autre organisation. » Confirmation de Marc Lièvremont, qui a eu à composer avec les deux organismes au poste de sélectionneur de l’équipe de France entre 2008 et 2011 : « Les deux instances sont en désaccord sur tout depuis des années, XV de France, droits télé, Coupe d’Europe, formation, arbitrage… Leurs intérêts sont culturellement antagonistes. » Dans sa mallette, Blanco apporte son carnet d’adresses, un contrat télé (Canal+) et son sens du marketing. Fidèle à son tempérament, il fonce, se prend le bec, bataille, notamment avec le président de la Fédération Bernard Lapasset. « Nous sommes des sanguins, au tempérament excessif, et jouons des rôles pour nos publics respectifs. Serge n’est pas vraiment un homme de conciliation immédiate mais nous avons l’esprit de famille et finissons toujours par trouver une solution. »

« Quand j’entraînais le club, il était omniprésent, il voulait tout savoir, il m’appelait tous les soirs. » — Jacques Delmas

« Entre Lapasset et Blanco, il y avait clairement un combat de chefs et d’egos à la fois, appuyé sur l’antagonisme qui fonde la relation entre la Ligue et la Fédération », analyse un témoin de l’époque. « Au vu de son tempérament, on était obligé de rentrer en conflit avec lui », se souvient Patrick Wolff qui concède « une fâcherie de trois ans. Parfois il fallait passer derrière lui pour arrondir les angles avec ses interlocuteurs. Disons que l’esprit de synthèse n’est pas son point fort ». Son point fort, c’est la manière forte. Un confrère de la presse régionale, qui avoue un faible pour le personnage, ne méconnaît pas son caractère abrupt. « Blanco, c’est un malin, un bon négociateur qui a du flair, qui juge dans l’instant les rapports de force. Il n’est pas du genre à conceptualiser. » Pas étonnant qu’on puisse le voir attablé deux à trois fois par semaine dans un café du quartier de La Négresse à jouer au muss. Le muss ? Un jeu de cartes basque rappelant vaguement le poker, où le meilleur menteur s’impose. « C’est un homme buté, de mauvaise foi, qui opère de manière dictatoriale, reprend notre confrère. Il peut être très désagréable, à l’ancienne, je dirais. Combien de fois a-t-il menacé un journaliste, lui disant qu’il n’avait plus intérêt à remettre les pieds au stade d’Aguilera… » Alors on file doux. « Lors des réunions de la Ligue, quand Blanco parle, tout le monde écoute », rapporte le bouillant président de Toulon Mourad Boudjellal. « Le milieu lui passe ses incartades, voire le mélange des genres, comme lorsqu’il descend passer un savon aux joueurs de Biarritz, dont il n’est plus président, à la mi-temps d’un match télévisé. » « C’est un affectif qui peut se transformer en tueur », décrit Jacques Delmas, l’entraîneur du BO de 2004 à 2008. « Quand j’entraînais le club, il était omniprésent, il voulait tout savoir, il m’appelait tous les soirs. Quand il ne se déplaçait pas lui-même. Car il est de notoriété publique, alors, que Blanco passe plus de temps au siège du BO qu’à Paris, où est installée la LNR. » « Sportivement, il était toujours là, même trop, se souvient Lièvremont. Mais il ne s’en cachait pas, tout le monde le savait et ça ne choquait personne. » Les mauvaises langues lui prêtent le pouvoir d’influencer la politique de la Ligue au profit de son club, au niveau de l’arbitrage notamment. « Oui, beaucoup de choses ont été dites, témoigne Patrick Wolff, mais jamais je n’ai vu Serge le faire d’une manière ou d’une autre. »

Murmures de couloirs

En 2005, année de sa reconduction à la tête de la LNR, son nom recueille 67 des 68 voix en jeu. Un plébiscite qui consacre la méthode Blanco, son approche de la gouvernance, le mélange d’idées qui chamboulent et de craintes qu’on refoule. Un fonctionnement qui n’est pas sans rappeler l’époque des gros pardessus, lorsque la pluie et le beau temps sur l’Ovalie étaient décidés par une tribu de hobereaux locaux réunis autour d’une bonne table. « Serge Blanco est devenu le membre le plus éminent de l’oligarchie rugbystique française », ose Boudjellal.   « Blanco est intouchable, assure un élu de comité. Dans les assemblées, les réunions, je n’ai jamais entendu la moindre critique sur l’homme ou ses projets, ne serait-ce que pour le joueur qu’il fut. Dans les couloirs, c’est différent… » Quand il quitte la LNR en 2008 pour reprendre les rênes du BO mais aussi pour revenir plus près de ses activités qui connaissent quelques fluctuations, Serge Blanco est au zénith. Les félicitations pleuvent. Ses dix ans en deux mandats à la tête de la LNR ont instauré un championnat lisible, un modèle économique florissant. À l’occasion de ses cinquante ans, Canal+ lui consacre un documentaire dans lequel il apparaît désinvolte et sûr de lui. L’homme sait ce qu’il vaut et à qui il le doit. « Je n’aurais jamais pu réussir sans des rencontres », convient-il. Sans une surtout, capitale.

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Souder le groupe
Football Incidents
Par Stephen T. Dadd, 1905

Il faut revenir à Sydney le 13 juin 1987, lorsqu’un essai de Serge Blanco terrasse les Australiens sur leur terre en demi-finale de la Coupe du monde (30-24). Dans les gradins, parmi les supporters qui ont accompagné la délégation française, se trouve Serge Kampf. Le patron de Capgemini, l’une des plus importantes sociétés de services informatiques, est un fan inconditionnel. « On en pleurait dans les tribunes », avouera le chef d’entreprise, pourtant avare en interviews. Le soir même, il se retrouve à la table des héros. Il ne la quittera plus. « Notre amitié ne s’explique pas, ce sont des choses qui se passent, comme ça », évoquera Blanco. Un fin connaisseur des arcanes institutionnels depuis trente ans ne sait pas non plus quels mots employer. « Je pense tout simplement que Kampf est tombé en admiration. C’est un homme très dur, rigide, parti également de pas grand-chose. Il avait peut-être trouvé en Blanco un écho à la mesure de sa passion pour le rugby. » « En fait, Kampf a aidé à l’identique Jean-Pierre Rives et Serge Blanco dans leur reconversion, reprend un autre témoin. Sa vie était réussie, il n’avait pas de fils et il était aussi généreux dans le privé qu’impitoyable dans le business. Pour Serge, qui était alors un peu balourd dans son approche des affaires, il a été un conseiller. Son tuteur, même. C’est Kampf qui l’a tenu par la main pour ses premiers pas dans le monde du business. » En 1991, Blanco accepte l’aide de l’homme d’affaires pour financer son centre de thalassothérapie. « Mais ce prêt, il n’a eu de cesse de me le rembourser jusqu’au dernier carat », précisera Kampf. « De ce que j’en sais, Serge Kampf se portait surtout caution auprès des banques, rapporte un élu fédéral. S’il apportait en plus de l’argent, il était entendu qu’il soit remboursé parce que là, on entrait dans le monde des affaires. » Discret, anonyme dans une foule mais suivi par quelques yeux avertis quand il la traverse, Serge Kampf, éminent représentant du CAC 40, est devenu un mécène du rugby français qu’il accompagne au gré de son agenda. On le voit lors des matchs du Tournoi des Cinq – puis des Six – nations. Mais aussi à Grenoble, siège social de son groupe et du club professionnel local, ou à Biarritz. Depuis vingt-six ans, Serge Kampf est dans l’ombre de Serge Blanco. Il a cornaqué son ascension, financé ses premiers projets, alimenté les ressources de son BO. Il lui a ouvert son carnet d’adresses à la page Medef : Claude Bébéar (ex-Axa), Jean-René Fourtou (Vivendi), Henri Lachman (Schneider Electric). Tous sont sous le charme de l’ancien joueur. « Joueur, il avait l’art de la contre-attaque et était doté d’un instinct fou. Et, en affaires, il fait montre d’une belle élégance », commente Bébéar. « Tout ce qu’il entreprend, il le réussit. C’est un génie de l’anticipation, un leader né », s’amuse Kampf. « Comme Platini dans le foot, il fascine les chefs d’entreprise », commentera Mourad Boudjellal, le président de Toulon. « Sa gloire ancienne lui a apporté beaucoup de relations, renchérit Jacky Lorenzetti, l’ex-PDG de Foncia et président du Racing Métro 92. Il n’est pas le patron institutionnel du rugby mais c’est un personnage très important, dans les deux ou trois qui comptent, notamment grâce à ses réseaux. » C’est peut-être Jean-Pierre Rives qui résume le mieux la trajectoire de son ami. « Sa force ? Le rebond. Comme par miracle, le bon rebond (du ballon, nda) a toujours été pour lui. » Quand il revient en 2008 au Pays basque, Serge Blanco a l’aura de l’empereur romain foulant la Via Appia. Ses affaires sont prospères. Au centre de thalassothérapie s’est ajouté un hôtel, puis deux, un restaurant, puis deux. Sa ligne de vêtement, qu’on peut trouver dans 300 points de vente et qui équipe plusieurs clubs (Toulouse, Biarritz mais aussi Lorient et Évian-Thonon-Gaillard en football), bénéficie de l’effet France – Coupe du monde 2007. Il n’y a que le château de Brindos, à Anglet, manoir à séminaires qu’il a acheté sur un coup de tête en 2002 parce que le BO y venait festoyer, qui n’engendre pas le rendement espéré. Les projets sont encore et toujours innombrables : moderniser le Biarritz Olympique qui s’est un peu endormi sur ses lauriers, élargir son cercle d’activités de thalassothérapie, réfléchir à la pertinence d’un engagement à la mairie depuis que les politiques locaux lui font d’incessants appels du pied. Et s’impliquer dans une stratégie à long terme auprès de la Fédération française de rugby.

Les travers du Monsieur

C’est qu’à peine après avoir tourné le dos à la Ligue, une autre épopée s’offre à l’appétit d’ogre de Serge Blanco. En décembre 2008, la FFR élit à sa tête Pierre Camou. Un Basque, lui aussi. « Ça peut aider », concède Patrick Wolff. Blanco, qui ferraillait encore quelques semaines plus tôt avec les instances fédérales dans le camp adverse, se retrouve en deuxième position sur la liste Camou et bombardé vice-président, en charge de la « réflexion sur l’évolution du rugby national et international ». Prioritairement, Serge Blanco devra porter le projet de Grand Stade dédié au rugby à l’horizon 2017. Sous le manteau, on lui prédit la présidence de la Fédération, et plus vite même que ne le supposent de pseudo-élections. « Je ne serais pas étonné que Serge Blanco prenne les rênes de la fédé en cours de mandat », reconnaît à voix haute le trésorier général René Hourquet dans les colonnes du Monde, peu de temps avant d’être invité à rendre les clés du coffre-fort fédéral. L’intéressé n’élude d’ailleurs pas ce cas de figure : « Aujourd’hui, je fais partie d’une équipe. Si elle tourne bien, je n’ai aucune raison d’être un prétendant à la présidence. Mais si, demain, Pierre Camou se désistait ou avait un problème – ce que je ne souhaite pas –  pourquoi je ne me présenterais pas ? », explique-t-il à Challenges.

En attendant, le Biarrot n’a pas encore les coudées franches. Avant de partir présider la Fédération internationale (International Rugby Board), Bernard Lapasset a parié sur Marc Lièvremont pour être le successeur de Bernard Laporte au poste de sélectionneur du XV de France. Jeune, Catalan et novice à ce haut niveau, l’ancien troisième ligne international est accueilli avec pas mal de grincements de dents. Blanco s’était activé pour faire élire l’expérimenté Philippe Saint-André. « Il en a voulu à Lapasset de ne pas l’avoir consulté », se souvient Lièvremont. D’avoir été fait roi par un autre vaut au Perpignanais bien des attaques en piqué. « Le milieu pro du rugby n’a jamais cessé de me fracasser, sourit-il aujourd’hui. Blanco ne s’est pas gêné pour haranguer ses troupes. Entre nous, il m’appelait Marco, disait ne pas m’en vouloir personnellement. Il voulait que je le consulte, qu’on échange sur le choix des joueurs. Mais je ne suis jamais allé dans son sens. » Au vu des résultats en dents de scie de l’équipe nationale, Blanco le compare à « un clown triste ». Mais en 2011, le clown quitte le chapiteau sur une dernière représentation homérique. En finale de la Coupe du monde, la France ne s’incline que d’un point face aux All Blacks (8-7), qui évoluent pourtant à domicile. Un joli pied de nez. « Quand Blanco est revenu à la tête du BO (2008, nda), ce fut un soulagement pour tout le monde », se souvient un témoin privilégié de la vie du club. « Et bizarrement, c’est de là que tout est parti en quenouille… » Au début des années 2000, le club basque a connu sa période la plus faste, couronnée par trois titres de champion de France. Biarritz n’avait plus été champion depuis 1939 ! Les moqueurs ont beau faire remarquer que les trois fameux boucliers de Brennus ont été conquis en l’absence du patron (2002, 2005 et 2006), tout le milieu sait ce que cette réussite doit à Serge Blanco. Depuis, les premiers signes d’essoufflement sont apparus. Le club basque est rentré dans le rang. Et le paradoxe est que les causes de cette mise sur le reculoir, pour reprendre un terme de terrain, sont pour partie imputables à Blanco. À force de logique de business, à exiger toujours plus de compétitivité des équipes, le patron de la Ligue a indirectement malmené son propre club, qui ahane sur des marches de plus en plus hautes. « Il faut savoir qu’en dépit de son standing, le BO est une petite structure qui fonctionne toujours grâce à l’appui de nombreux bénévoles », commente Arnaud David, chef du service rugby du quotidien Sud-Ouest. « Le bassin économique n’est pas extensible, les infrastructures sont modestes, pour ne pas dire vieillottes et son mode de fonctionnement obsolète. »

Il dénonce un « complot », ourdi par des clubs, les arbitres, des gens mal intentionnés.

Malgré une présence en finale de la Coupe d’Europe au printemps 2010, le BO s’encalmine. Serge Blanco débauche Arnaud Dagorne, son compagnon de route de la LNR. Mais la martingale ne marche plus. L’ancien directeur général, arrivé en décembre 2010, est licencié dix-huit mois plus tard. Budget déficitaire, selon l’explication officielle. Vue de la coulisse, l’affaire est un peu plus complexe. « Dagorne a été viré comme un malpropre, se souvient un témoin. Il avait voulu faire bouger les lignes mais il s’est vite heurté au système bien rodé de la petite équipe en place. En gros, Dagorne a voulu aller aussi vite qu’à la Ligue ; il s’est mis des gens à dos. Et Blanco l’a laissé tomber plutôt que de le soutenir face à ses copains de toujours. » Une pièce rapportée, aussi brillante soit-elle, reste exposée en cas de vent contraire. « Pour Blanco, c’était une formalité juridique, rapporte aujourd’hui l’intéressé. Il ne m’a pas plus reçu dans son bureau pour m’en parler qu’il ne m’a aidé à retrouver un job. En fait, on n’a pas eu l’occasion de se fâcher. » Après plus d’un an à Pôle Emploi, Arnaud Dagorne vient d’être recruté comme directeur adjoint à la Fédération française de volley-ball. Péripétie ou bande-annonce d’un scénario assombrissant à vue d’oeil l’horizon du BO, l’épisode Dagorne ressort aujourd’hui du domaine de l’anecdote. Anonyme neuvième lors des deux dernières saisons, Biarritz est cette année la lanterne rouge du Top 14 et la relégation en pro D2, la deuxième division, apparaît comme une perspective inéluctable. Au terme du derby perdu à l’automne contre l’ennemi intime, le voisin bayonnais (27-19), Serge Blanco sort de ses gonds. Il dénonce un « complot », ourdi par des clubs, les arbitres, des gens mal intentionnés.


Cette histoire est adaptée de l’enquête « Les dérives du Rugby’zness », paru dans le magazine Au Fait numéro 7. Couverture : World Rugby Museum.