Nancy Howard ne se doutait pas que quelqu’un la suivait ce jour-là. Dans la matinée, elle s’était rendue à l’église baptiste de Carrollton, tout près de chez elle. C’était l’heure du thé pour les femmes de la communauté, et Nancy s’occupait de deux des tables. Quelques jours plus tôt, Frank, son mari, l’avait aidée à mettre les décorations dans la voiture avant qu’il ne parte en voyage d’affaires. Après le thé, elle était rentrée chez elle avant de retourner à l’église pour le baptême d’un ami de la famille. Lorsqu’elle quitta à nouveau l’église, peu avant 19 h 30, il pleuvait. Une Nissan grise la suivait.

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La maison de Nancy Howard
Carrollton, Texas
Crédits : Google

Sur le chemin du retour, Nancy s’arrêta au drive de Taco Bueno et commanda une fajita au bœuf. Cette femme de 53 ans, mère de trois grands enfants, reprit ensuite la route en direction sa belle maison de briques sur Bluebonnet Way. Elle pensait se relaxer devant la télé une fois arrivée. Elle mit la voiture au garage, sortit du véhicule, son sac à main et sa commande de Taco Bueno sous le bras. C’est à ce moment-là qu’elle sentit quelqu’un l’attraper par le cou et lui coller un revolver sur la tempe. Le jeune homme voulait qu’elle lui donne son sac. Nancy l’entendait mais ne l’écoutait pas. Elle se débattit et se retourna pour faire face à son agresseur. Elle se rendit alors compte de la gravité de la situation.

Un homme qu’elle n’avait jamais vu se tenait devant elle. Il avait la vingtaine, portait une barbe, une casquette de base-ball vissée sur le crâne, et il tenait un revolver gris. Il répétait incessamment la même chose, mais cette fois il cria : « Donne-moi ton sac ! » ulyces-nancyhoward-04-3Prise de panique, Nancy essaya de le lui donner mais au lieu de son sac à main, elle lui tendit celui de chez Taco Bueno. Elle voyait que l’homme était en colère et lui donna son sac des deux mains, ce qui le fit reculer. Il leva son arme et la pointa sur sa tempe. Avant qu’il ne presse la détente, Nancy s’écria : « Jésus ! Sauve-moi ! » Une balle de calibre .380 entra par sa tempe gauche, traversa sa cavité sinusale, passa dans sa gorge et termina sa course dans son poumon droit. L’homme s’enfuit avec son butin, laissant le sac de nourriture dans l’allée trempée et Nancy qui se vidait de son sang sur le sol du garage.

Le casino de Lake Tahoe

Ils s’étaient rencontrés dans une église de San Marcos. Frank Howard avait la voix douce et grave et le regard perçant. Il avait été marié brièvement pendant ses années de fac – Nancy avait même assisté à la cérémonie –, mais ça n’avait pas marché. Elle aussi avait une belle voix, et ses yeux bleus aux tons violets n’étaient pas sans rappeler ceux d’Elizabeth Taylor. Le père de Frank, un pasteur baptiste, les avait mariés en 1983. Ils accueillirent la naissance de leur première fille, Ashley, deux ans plus tard. La petite famille déménagea ensuite dans la banlieue de Dallas, pour finalement poser ses valises à Carrollton. Il y avait là-bas de bonnes écoles et une église qu’ils aimaient fréquenter. Par la suite, ils avaient eu deux autres enfants, Jay et Brianna.

Leur vie était paisible. Frank était comptable et dirigeait sa société avec un associé. Ils avaient des bureaux à Addison – décorés par Nancy – et un portefeuille de plus de 500 clients. Nancy se considérait comme une « ingénieure d’intérieur ». En plus de la cuisine, du ménage et de la gestion de l’emploi du temps de son mari, cela faisait maintenant plus de vingt ans qu’elle s’assurait que ses trois beaux enfants fussent à l’heure à l’école et à leurs diverses activités. Elle était également membre de l’association des parents d’élèves et ne manquait jamais une occasion d’accompagner les enfants en voyage scolaire. Frank et Nancy s’occupaient tous deux du groupe des jeunes de l’église et chantaient tous les dimanches dans la chorale. Leur fils Jay dira plus tard à qui voulait l’entendre que « si les portes de l’église étaient ouvertes, vous pouviez être sûrs qu’ils étaient à l’intérieur ».

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Nancy et son époux, John Franklin Howard

Leur mariage n’était pas parfait, cependant. Nancy souffrait de dépression et de douleurs chroniques dues à une fibromyalgie. Quant à Frank, il s’était battu pendant un temps contre un cancer de la prostate. Mais si ces problèmes de santé étaient stressants, le couple en était sorti plus fort. Ils avaient toujours de longues discussions avant chaque transaction commerciale ou achat conséquent – il avaient peur que la nouvelle Lexus de Frank soit trop flashy. Ils travaillaient ensemble pour montrer à leurs enfants qu’ils étaient un couple uni. Nancy disait à son entourage qu’elle avait élevé ses enfants pour qu’ils « aiment, honorent et respectent leur père ».

Lorsque Brianna, la petite dernière, termina le lycée, Nancy avait hâte de retrouver leur « petit nid » vide et elle espérait que Frank et elle pourraient raviver la flamme de leurs jeunes années. En mai 2009, Frank dit à Nancy qu’il avait un nouveau client et qu’il voyagerait sûrement davantage. Elle s’étonna qu’il ne lui en ait pas parlé avant. Frank lui confia qu’il espérait encore pouvoir la rendre heureuse.

Ce nouveau client, c’était Richard Raley, un homme d’affaires de Colleyville qui avait gagné des millions grâce à plusieurs contrats avec le département américain de la Défense – c’était grâce à lui que les troupes avaient des glaçons en Irak. Son comptable de toujours venait de mourir et Raley avait besoin d’un nouveau collaborateur pour transférer plus de 30 millions de dollars du Koweït aux État-Unis. Il offrit à Frank un bureau à Grapevine, l’accès à son jet privé, et le poste de directeur financier. Cet été-là, Nancy et Brianna partirent en mission en Afrique. C’était pour elles l’occasion de passer un peu de temps ensemble avant que sa fille ne parte pour l’université. Mais lorsque Frank vint les chercher à l’aéroport, Nancy remarqua que quelque chose en lui avait changé – elle n’aurait su dire quoi. Frank laissait rarement paraître ses émotions. Mais sur le chemin du retour, il éclata en sanglots.

À l’époque, il avait mis ça sur le compte du récent décès d’un ami de la famille. Bientôt, Frank serait tout le temps en voyage. Il se rendait en Floride, en Californie, en Europe, au Koweït… Il appelait à la maison et envoyait des emails, mais cela n’empêchait pas Nancy de rester seule pendant de longues périodes, et elle n’était pas heureuse. Elle n’avait jamais rencontré Richard Raley, mais elle songeait que ce nouveau client était en train de ruiner leur mariage.

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Suzanne Leontieff est une assistante dentaire d’une cinquantaine d’années originaire de Santa Cruz, en Californie. Ses cheveux sont blonds, son visage plein de jeunesse, et sa voix est guillerette et haut perchée. Ses deux filles pratiquaient le softball à haut niveau, et elle les conduisait à leurs compétitions à travers toute la Californie.

Suzanne et Frank se disputaient rarement, et quand une dispute éclatait, c’était toujours à propos du divorce de Frank.

Le week-end du 25 juillet 2009 (alors que Nancy était en Afrique), Suzanne était à une compétition à Lake Tahoe. Pour tuer le temps entre deux matchs, elle décida d’aller faire un tour au casino Harveys. À l’une des tables de jeu, elle rencontra un homme prénommé Frank. Il lui dit qu’il était en ville pour affaires. Il avait l’air aimable, sa voix était douce et grave, sa chevelure noire épaisse. Elle dut partir au bout de trente minutes, après quelques verres et des échanges de banalités. Elle le revit le soir même à une autre table et ils jouèrent pendant plusieurs heures. Le lendemain, alors qu’elle passait à l’endroit où ils avaient joué la veille, Suzanne tomba à nouveau sur Frank.

À la fin du week-end, ils s’étaient échangés leur numéro de téléphone – il lui demanda si elle avait des projets pour le week-end suivant. Suzanne était mariée mais actuellement séparée – elle était en pleine procédure de divorce. Elle savait que Frank était marié lui aussi, mais il lui expliqua que ça n’allait pas fort. « Il disait qu’il n’était pas heureux, se souvient-elle. Mais sa vie n’était pas non plus misérable. » Ils s’appelaient et s’envoyaient des SMS pendant la semaine. Le week-end suivant, il l’invita à le rejoindre à Reno. Ils prirent plusieurs verres et discutèrent alors qu’ils marchaient dans cet autre casino. Bien qu’elle eût sa propre chambre, elle resta surtout dans celle de Frank. Ils parlèrent de l’homme dont elle se séparait et de la femme de Frank, Nancy.

Une semaine après leur rencontre, selon Suzanne, Frank ne parlait « que » de divorce. Quelques semaines plus tard, alors que Frank créait des holdings pour transférer l’argent de Richard Raley, il nomma trois des sociétés en l’honneur de Suzanne. L’une d’elles s’appelait SLH, pour Suzanne Leontieff-Howard, son nom s’ils se mariaient un jour. Ils se parlaient et se voyaient régulièrement… mais les choses allaient plus loin que ça. Frank payait ses déplacements pour les compétitions de softball. Il participa aux frais universitaires de l’aînée de Suzanne. Il loua un bateau pour finalement l’acheter 30 000 dollars. Et en janvier 2010, il acheta une maison pour y loger sa belle, à Santa Cruz – un investissement de 900 000 dollars, payés cash. Il acheta également un appartement à Tahoe d’une valeur avoisinant les 380 000 dollars. ulyces-nancyhoward-07-3Et il y avait les voyages.

En 2010, il emmena Suzanne à un match des Mavericks de Dallas et à un autre des Steelers, à Pittsburgh. Ils logeaient évidemment dans une suite. L’année suivante, il l’emmena même au Super Bowl. Accompagnés des deux filles de Suzanne, ils assistèrent à un match des Giants à San Francisco et, cerise sur le gâteau, ils partirent tous les quatre une semaine aux Bahamas. Elle avait raconté à ses filles qu’il était séparé de sa femme. Il la faisait voyager en jet privé dès qu’il le pouvait. Quand il ne pouvait pas, il lui payait les billets d’avion, la nourriture et l’hôtel. Et il ne la quittait pas, même lorsqu’elle venait à Dallas. Frank lui avait également ouvert un compte épargne retraite. Il lui envoya un chèque de 500 000 dollars et lui fit un virement de 200 000 dollars.

Quand son divorce fut enfin prononcé et qu’elle perdit son assurance santé, il la fit assurer par l’entreprise de Raley. Il avait même une photo d’elle sur son bureau, souvenir de leur voyage en hélicoptère. Pour Suzanne, ils étaient amoureux. Ils se disputaient rarement, et quand une dispute éclatait, c’était toujours à propos du divorce de Frank. Elle voulait qu’il entame la procédure et rêvait du jour où elle pourrait enfin déménager au Texas pour vivre avec lui. Il lui dit qu’à présent, Nancy et lui dormaient dans des chambres séparées et qu’il lancerait bientôt la procédure. Mais il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas : une remise de diplôme, un mariage, une maladie, la santé fragile de Nancy… Il avait toujours une excuse.

Le parking du Texaco

Billie Earl Johnson a à peine plus de 50 ans. C’est un homme fin et sec, qui porte un bouc. Ses bras, son torse et son cou sont couverts de tatouages. Il est passionné par les amphétamines et les motos. Il a déjà passé plus du quart de sa vie en prison. À sa sortie en février 2009, son petit frère Chris l’attendait, prêt à le ramener à la maison. Ils venaient de l’est du Texas, d’un endroit plein de grands pins et de villes qui ne sont guère que des relais routiers rongés par la rouille.

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Le rideau de pins
Champ pétrolifère de Saratoga
Crédits

Chris et sa femme avaient casé Billie avec une de leurs collègues de chez Van Tone, une entreprise qui fabriquait des additifs alimentaires, basée à Terrell. Quand cette femme quitta Billie en juillet 2009, il ne l’a pas bien pris. Il l’appelait à n’importe quelle heure de la journée, la harcelait,  la menaçait au beau milieu de la nuit. Elle avait peur qu’il se pointe à son travail – il l’avait déjà fait –, aussi avait-elle dit aux employés de chez Van Tone d’être sur leurs gardes. Mais en quelques semaines, Billie s’était malgré tout trouvé une nouvelle copine, et de nouveaux ennuis. Billie raconte qu’il était chez lui dans la ville de Ben Wheeler, affalé sur le canapé, quand son téléphone sonna. Sa nouvelle copine, une employée de supérette baptisée Stacey Serenko, était dans la cuisine. L’homme au bout du fil disait s’appeler John. Il dit à Billie qu’il avait entendu parler de lui et qu’il espérait qu’il pourrait lui donner un coup de main car il avait besoin de quelqu’un pour tuer sa femme. « J’ai bondi du canapé », se souvient Billie.

Des années plus tard, menottes aux poignets et combinaison orange sur le dos, Billie assure qu’il n’a jamais eu l’intention de tuer qui que ce soit. Il voulait juste soutirer un peu de pognon à ce mec. Il avait accepté de rencontrer John à la périphérie de Mesquite, sur le parking de la boutique Sheplers Western Wear. Quand Billie arriva sur le lieu de rendez-vous, il n’y avait qu’une seule autre voiture. John tendit à Billie une enveloppe marron contenant 60 000 dollars en liquide et une photo de Nancy Howard. Il insista sur le fait qu’il fallait que ça ait l’air d’un accident. ulyces-nancyhoward-09-2

De retour à East Texas, Billie arrosa tout le monde. Partout où il allait, il payait des verres, des repas, et donnait des pourboires de 100 dollars. Un bon paquet fric flamba dans la drogue. Stacey et lui faisaient des fêtes sur plusieurs jours. Aujourd’hui, cette période n’est plus qu’un mélange brumeux où se mêlent shopping effréné et parties de sexe sous amphets. Peu de temps après, Billie fut arrêté pour possession de drogue. La police confisqua le peu d’argent qu’il lui restait. Quand il fut relâché deux jours plus tard, il appela John pour lui dire qu’il avait besoin de plus d’argent. Stacey avait remarqué que John s’exprimait bien et avait de bonnes manières. « Un homme charmant, dit-elle. Très gentil. » Mais dès qu’elle en eut l’occasion, elle envoya une photo de cet homme roulant en Lexus à sa mère. « S’il m’arrivait quelque chose, lui dit-elle, je veux que cette photo circule. »

Leur deuxième rencontre eut lieu au Texaco sur la départementale 635. John donna à Billie une nouvelle enveloppe renfermant 35 000 dollars. Il dépensa l’argent de la même manière que la première fois. Il se retrouva en prison et fauché en un rien de temps. Il a des mots bien à lui pour décrire la façon dont il claquait son fric. « Je me torchais avec… Je dépensais ma thune comme un bébé salit ses couches », dit-il.

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Charlie Louderman est grand, intimidant, pourvu de larges épaules et de gros bras. C’est le genre de mec qui vous dira sans ciller : « Le sang, ça me connaît. » Et il peut décrire ce que ça fait de se prendre des coups de poing américain dans la gueule. Il vit au bout d’une impasse, à Mineola – de là, il peut voir qui approche de très loin. Charlie avait grandi avec un ami de Billie Earl Johnson, mais la première fois qu’il rencontra Billie, c’était il y a quelques années, dans son impasse. Billie avait une grosse bécane violette, des bottines noires et un bandana autour du cou. Il avait demandé à Charlie s’il pouvait lui trouver des flingues. Il lui proposa même 700 dollars la semaine pour qu’il fût son garde du corps et son coursier. Du coup, pendant des mois, il fut aux premières loges pour assister aux mésaventures de Billie et de sa clique de Texans déséquilibrés.

À chaque fois qu’ils échafaudaient un plan, il y avait toujours un truc qui n’allait pas.

Charlie raconte que Billie et lui allaient souvent chercher de grosses sommes d’argent – elles venaient toutes de ce mystérieux John. Ils se voyaient sur le parking d’un Walmart, d’une entreprise ou d’un Grandy’s. Charlie se souvient qu’un jour, assis sur le sol de sa chambre, il avait palpé 83 000 dollars. Il observait Billie échanger des sacs de fric contre des sacs d’amphets. Il raconte aussi que Billie lui avait bien confié qu’il était tueur à gage, mais qu’il avait pour mission de descendre un membre d’un gang pour avoir violé la fille d’un type. « Quand j’ai percuté qu’il s’agissait en réalité d’une femme, je lui ai dit qu’il n’y avait pas moyen que je le fasse », explique Charlie.

Quand Billie présenta enfin Charlie à John par téléphone, Charlie accusa son bienfaiteur – Billie l’appelait son « client » – d’être un agent sous couverture, puis il l’accusa d’être un dealer, et enfin d’être un pétochard. Il avait aussi entendu les conseils de John pour tuer Nancy. Lui et Billie se rappelaient que John voulait que le meurtre ait l’air d’un cambriolage. Il leur dit qu’il y en aurait pour 40 000 dollars de bijoux et qu’ils pourraient mettre le feu à la maison pour effacer leurs traces. Mais John avait peur que l’incendie ne touche les maisons voisines. John leur révéla aussi où Nancy avait pour habitude de déjeuner avec ses amies. Il suggéra l’utilisation d’une arme automatique sur l’ensemble du groupe. Les premières balles seraient pour Nancy, mais il faudrait « tirer dans tous les sens » pour brouiller les pistes. Sinon, ils pourraient aussi la tuer pendant qu’elle était à son club de lecture ou de scrapbooking.

À chaque fois qu’ils échafaudaient un plan, il y avait toujours un truc qui n’allait pas. Stacey les ralentissait, ils étaient trop défoncés pour sortir de la chambre d’hôtel, ou bien ils étaient en prison. Et à chaque fois, Billie servait une nouvelle excuse à John, qui semblait de plus en plus contrarié. Stacey se souvient qu’à un moment, l’un des deux lui a demandé pourquoi il voulait tuer sa femme : « C’est en rapport avec la justice ou c’est un truc personnel ? » « Un peu des deux », avait-il répondu.

La vache à lait

Fin 2010, John n’utilisait plus qu’un téléphone prépayé et faisait des virements à Billie. Lui et Stacey n’avaient pas de compte bancaire, aussi Billie fit appel à ses enfants et à la mère de Stacey – ils pouvaient garder 10 à 20 % des sommes qui transitaient sur leur compte. L’un des fils de Billie reçut 75 000 dollars, la mère de Stacey 20 000 dollars, et les choses durèrent ainsi pendant deux ans. Au total, ils reçurent plus de 750 000 dollars.

En plus de cela, Billie estima qu’il avait reçu environ 1 million de dollars en cash et que John avait payé pour 1 million de dollars de caution. Billie s’était acheté un pick-up Chevrolet Avalanche, et pour sa fille, il avait craqué sur une Pontiac Firebird. Chacun de ses trois enfants avait reçu une moto, et ses petits-enfants avaient eu droit à des karts. Il disait qu’il voulait mettre de côté pour ouvrir un magasin. Il s’offrit un bateau et une multitude de chambres d’hôtel où ils faisaient la fête avec ses potes. Charlie avait reçu une tondeuse autoportée et « plusieurs armes de guerre ».

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Ben Wheeler, Texas

Billie pouvait être aussi bien être un destructeur qu’un bienfaiteur. Un jour, alors que Stacey et lui se disputaient, complètement défoncés à la coke et aux amphets, Billie s’était filmé en train de tirer sur une moto avec un AK-47 jusqu’à ce qu’elle prenne feu. Il avait ensuite envoyé la vidéo au fils de Stacey, Dustin. Puis il avait explosé le pare-brise de la voiture de sa fille et avait traîné sa propre bécane à 80 000 dollars derrière son pick-up. Stacey m’a confié qu’il l’avait aussi battue plusieurs fois. Quand il se faisait arrêter – ce qui arrivait souvent –, il appelait directement John pour qu’il paye sa caution.

À un moment donné, Billie et Stacey se firent arrêter au Best Western du comté de Wood avec plus de 10 000 dollars en liquide sur eux et assez d’amphets pour être inculpés pour trafic de drogue. Pendant qu’elle était en prison, Stacey se confia à un agent du FBI : elle lui révéla le plan mis en place pour assassiner Nancy. « C’était une histoire si loufoque, dit-elle, que personne n’y croyait vraiment. » Charlie Louderman parla lui aussi du plan aux autorités. Pendant un séjour dans la prison du comté de Wood, il décrivit comment Billie se servait de John, plein aux as, comme d’une vache à lait débordant d’enthousiasme à l’idée que quelqu’un puisse tuer sa femme. Là encore, personne ne crut à son histoire.

Fin 2011, Billie était à nouveau libre et proposa de payer les funérailles de son grand-frère en liquide. Quand sa sœur et son neveu débarquèrent en Californie, ils étaient surpris de voir tout l’argent qu’avait Billie, bien qu’il fût au chômage. Dès le début de l’année 2012, son neveu Michael Speck avait déménagé au Texas pour faire partie de la bande. Après plus de deux ans de contretemps et de retards en tout genre, John devenait de plus en plus difficile à gérer. Quant à Billie, il avait plus d’une dizaine de petites frappes à ses ordres – ils étaient liés soit par le sang, soit par alliance. « Au début, c’était juste Stacey et moi, raconte Billie, mais ensuite il y a eu tout un tas de gens. »

Fin mai 2012, Billie arrangea une rencontre avec John au Bass Pro Shops de Grapevine. Au grand dam de Billie, Stacey invita Michael et son fils Dustin. John avait concocté un plan dans lequel Michael devait suivre Nancy pendant son voyage à San Marcos. Il leur dit qu’il leur payerait une assurance vie à 100 000 dollars et qu’il leur donnerait 5 000 dollars par semaine pendant le reste de leur vie. Billie ne décrocha pas un mot durant toute la durée du rendez-vous, dégoûté que d’autres aient accès à sa vache à lait. Mais avant que qui que ce soit n’aille à San Marcos, Billie et Stacey se firent une nouvelle fois arrêter.

Cette fois pourtant, quand Stacey passa son coup de fil à John, il ne put rassembler l’argent nécessaire à leur caution. « Je sais que je ne vais pas faire long feu ici, lui dit-elle en pleurs. Si je sors demain, on mettra le plan à exécution. Ça peut le faire. »

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Les protagonistes du drame
Crédits : D Magazine

Après que Billie et Stacey furent arrêtés, son fils Dustin emménagea chez Billie avec Michael – celui qui avait déménagé de Californie pour faire partie de la bande. C’est à ce moment-là que Dustin, 18 ans, essaya les amphets pour la première fois. C’est un grand dadais à la voix traînante qui n’a jamais dépassé la troisième. Billie disait de lui qu’il était « si stupide qu’il ne savait pas où mettre l’antigel dans un pick-up ». Avec sa mère et le petit-ami de celle-ci en prison, Dustin s’était mis à contacter directement John. Au début, c’était juste pour lui pomper du fric, mais John lui demanda rapidement de prendre les rênes de l’opération.

Le 4 juillet, Dustin rencontra John, qui lui donna 24 000 dollars. John lui dit que Nancy resterait au Gaylord Texan Hotel dans le cadre d’une convention rassemblant des jeunes mamans. John suggéra à Dustin d’utiliser une batte de baseball. Dustin repartit à l’est du Texas et flamba rapidement l’argent, à la Billie. Il s’était acheté un énorme sac d’amphets et passa la nuit à le partager avec des gens qu’il ne connaissait pas. Il souhaita à tous ceux qu’il rencontra un bon 4 juillet et distribua des billets verts à tours de bras. Il posta aussi sur Facebook des photos de lui tenant d’énormes liasses de billets. Aujourd’hui, il raconte qu’à un moment de la soirée, des milliers de dollars se sont envolés du coffre de sa voiture sur le parking d’une église.

En deux semaines, tout l’argent y était passé, et Dustin demanda une rallonge à John. Il lui dit qu’il laisserait un peu de cash près du compteur d’eau, à l’arrière d’une maison qu’il possédait. Dustin partit à Carrollton avec l’un de ses amis, Jason Rendine. Mais, étant complètement raides, ils se perdirent. Ils passèrent des heures à tourner en rond dans le quartier de Nancy et s’arrêtèrent devant plusieurs maisons. Un officier de police ne tarda par à les repérer et leur demanda de se ranger sur le côté et de sortir du véhicule.ulyces-nancyhoward-11-1

Dustin était nerveux et bafouilla qu’il cherchait la maison de son oncle. Puis il dit qu’en fait, c’était celle de son beau-père qu’il cherchait. Puis il dit qu’il cherchait un ami de la famille que tout le monde appelait John. Finalement, il lâcha qu’il était tueur à gage et qu’il avait été engagé pour tuer la femme d’un type. Dustin et Jason furent conduits à la prison de Carrollton. Les flics firent un rapport, mais ils pensèrent que l’histoire du tueur à gage n’était qu’une histoire inventée par un camé.

Le lendemain, ils relâchèrent Dustin. Son ami Jason, lui, croyait à son histoire. Quand il sortit de prison et retourna auprès de sa femme Stephanie – visiblement très en colère –, il lui raconta ce qu’il avait entendu et lui montra un numéro de téléphone qu’il avait écrit sur un bout de papier. « Tu ne devineras jamais où Dustin trouve son argent », dit-il. Stephanie songea vite à un plan. Ils se créèrent de fausses identités – Wes et Tiffany – et appelèrent le numéro. Ils expliquèrent à John qu’ils savaient ce qu’il préparait et que s’il ne les payait pas, ils iraient trouver les flics. John accepta de les rencontrer au Whataburger de Garland. Il se pointa dans une Lexus couleur foncée et donna à Jason (ou plutôt Wes) une enveloppe de 30 000 dollars, en petites coupures.

Deux jours après, nouvelle rencontre et cette fois, John leur donna 12 000 dollars. Quelques jours plus tard, ils reçurent un virement de 20 000 dollars. Mais il y avait une chose à laquelle Jason et sa femme n’avaient pas pensé. John commença à les appeler, et il insistait drôlement. Il voulait parler à Wes (enfin à Jason). Il voulait savoir s’il connaissait quelqu’un qui serait capable de faire le boulot. Stephanie raconte que John leur offrit 50 000 dollars pour trouver quelqu’un et 100 000 à celui ou celle qui aurait accompli la mission. Elle se teignit donc les cheveux en noir et dit à John qu’elle était Stephanie, la sœur de Tiffany. Elle reçut 10 000 dollars en liquide. Plus tard, un avocat questionnera Stephanie sur ces faits, visiblement sceptique. « Vous pensez vraiment qu’il est stupide à ce point-là ? » demanda-t-il. « Mais il l’est ! » insista-t-elle.

La nuit du meurtre (ou presque)

Misti Ford a 32 ans et vit à Hemet, en Californie. Ses cheveux sont teints en rouge foncé et elle a des piercings au nez et à la lèvre. En 2012, elle était fiancée à un homme nommé Michael Lorence. Ils s’étaient rencontrés quelques années auparavant, avant qu’il n’aille en prison. À sa sortie, ils s’étaient installés ensemble. Il lui avait parlé de son co-détenu, un type qui s’appelait Michael Speck – il y avait deux Michael dans la même prison, dont l’un était le neveu de Billie. Les écoutes téléphoniques indiquent que John était en contact avec Dustin, Jason, Stephanie et Michael Speck. Fin juillet, quand Billie appela John depuis sa cellule pour qu’il paye sa caution, John lui dit qu’il avait donné ses derniers dollars à Michael.

Une fois seuls dans leur chambre, il lui confia qu’il avait tué quelqu’un.

Sur l’enregistrement, Billie n’y va pas par quatre chemins : « — J’ai besoin de thunes. — C’est bien ça mon problème, répond John. Je suis toujours écarté des décisions. Qu’est-ce qui est arrivé à Michael ? Je lui ai donné un sacré paquet de fric. » On entend Billie s’énerver sur les enregistrements. « — Tu lui as donné combien ? — Je ne sais même plus. C’était il y a un moment. — J’ai pas entendu parler de lui et il m’a rien dit ! — Je lui ai dit… J’ai dit : “C’est la dernière fois”, et il a dit qu’il allait s’occuper de tout. »

Le 14 août, Michael Speck envoya 1 000 dollars à son ex co-détenu, Michael Lorence, et il lui dit que Misti et lui allaient venir à East Texas. Misti pensait que le but du voyage était que son fiancé demande à Michael de bien vouloir être son témoin à leur mariage. Ils roulèrent dans la Honda de Misti et arrivèrent à bon port en vingt-quatre heures. Comme la Honda avait un pneu pourri, ils avaient loué une voiture une fois sur place – une Nissan grise. Misti déclare que Lorence et elle avaient passé la majorité de leur séjour chez Michael, qu’ils étaient restés avec lui et sa famille.

Le 18 août, Michel et Lorence quittèrent la maison de bonne heure. Ils avaient dit qu’ils partaient à Dallas pour voir « quelques monuments et chercher du taf ». Les deux Michael partirent en ville ensemble. Elle avait passé la journée sur Facebook et avait tué le temps à parler aux inconnus avec lesquels elle était coincée. Elle se souvient qu’il était presque minuit quand les garçons rentrèrent. Ils avaient de l’alcool avec eux et avaient commencé à boire. Elle dit avoir remarqué quelque chose de différent chez son fiancé. Lorence n’était pas un gros buveur, mais cette nuit-là, il avait bu une sacrée quantité d’alcool. Et il était étrangement silencieux. « D’habitude, il ne la boucle jamais. »

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Les secours interviennent
Crédits : John Phelan

Une fois seuls dans leur chambre, il lui confia qu’il avait tué quelqu’un. Il dit qu’il avait tiré sur une femme, en pleine tête. Misti sortit marcher seule. Quant à lui, il resta à l’intérieur et continua à boire. Deux mois s’écoulèrent avant qu’elle ne choisisse de rompre leurs fiançailles. Elle ne parla à la police qu’en janvier 2013. Une amie à qui elle en avait parlé les avait rencardés. Misti raconte qu’elle était terrifié. « J’avais peur qu’il m’arrive la même chose. » John voulait que sa femme meurt, alors il avait appelé Billie. Billie avait un neveu prénommé Michael qui avait fait de la taule avec un autre Michael – Michael Lorence. Il s’avéra que c’était le second Michael qui avait fini par exécuter le contrat de Billie.

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Nancy ne sait pas vraiment combien de temps elle est restée inconsciente dans son garage. Elle dit avoir entendu la voix de Dieu. « Lève-toi ! a-t-Il dit. Lève-toi ! » Elle se redressa en s’appuyant contre une table en métal, mais elle retomba au sol. Elle décida alors de ramper. « Comme les soldats à l’armée », dit-elle. Son téléphone était dans son sac à main qui avait disparu. Elle rampa jusqu’à la voiture, espérant pouvoir activer le téléphone par Bluetooth. Elle ouvrit la porte et se hissa à l’intérieur, laissant des empreintes sanglantes partout sur son passage. Elle parvint au bouton pour activer le Bluetooth, mais sans la clé – qui se trouvait aussi dans son sac –, ça ne marchait pas. Elle glissa dans son propre sang mais parvint à regagner la maison.

Dans la buanderie, elle s’arrêta devant un miroir et y vit un reflet terrifiant. Son visage était couvert de sang et de morceaux de chair. Ses yeux violets, autrefois si pétillants, commençaient à virer au brun. Et à la place de son œil gauche, il n’y avait plus qu’une blessure profonde et suintante. Elle réussit à composer le 911 et cria dans le combiné : « Seigneur, aidez-moi ! Oh mon dieu, aidez-moi ! » Elle expliqua qu’on lui avait tiré dessus. Elle donna son adresse et pria son interlocutrice de rester en ligne. Elle était toujours consciente, près de la porte, lorsque la police et l’ambulance arrivèrent.

Un officier de police qui connaissait la famille par le biais de l’église appela les enfants de Nancy. Ashley téléphona à son père, qui était dans un casino de Reno avec Suzanne. Elle était en train de jouer et lui était au bar, il regardait un match des Cowboys de Dallas. Quand Ashley lui dit qu’on avait tiré sur Nancy, Frank se mit à pleurer. Il s’effondra près de la porte du casino et Suzanne dut l’aider à marcher. Elle le conduisit à l’aéroport, mais ce soir-là, il n’y avait plus de vols pour Dallas. Il appela Richard Raley, expliqua la situation et lui demanda s’il pouvait emprunter le jet privé. Mais les pilotes de Raley étaient déjà repartis au Texas. Finalement, Suzanne roula pendant quatre heures pour l’emmener à l’aéroport de San Jose, où Frank prit le premier avion.

Dès son arrivée, il courut au chevet de sa femme. Il ne parla pas de sa maîtresse à la police, mais dès qu’ils jetèrent un œil à son téléphone, ils comprirent. Les semaines suivantes, Frank eut toute une série de discussions pour le moins désagréables avec ses enfants et Nancy, qui était toujours à l’hôpital. Il leur avoua qu’il avait eu une liaison et que cela durait depuis plus de trois ans. Mais il maintenait qu’il n’avait rien avoir avec cette histoire. Nancy, le cœur brisé depuis l’annonce de sa trahison, le crut.

Quand la police arriva chez elle et arrêta son mari, elle n’arrêtait pas de dire que c’était une erreur. Aucun des voisins de Nancy n’avait vu ou entendu quoi que ce soit cette nuit là, et il fallut du temps pour démêler cette histoire d’avidité et d’incompétence – un vrai scénario des frères Coen. Grâce aux caméras de surveillance de l’église, la police put voir la Nissan grise qui avait suivi Nancy. ulyces-nancyhoward-16-2Les enquêteurs de Carrollton reçurent finalement les rapports de police sur la nuit où Dustin s’était garé dans le voisinage et prétendait être un tueur à gage. Ils le conduisirent au commissariat, et après trois jours d’interrogatoire, Dustin déballa tout ce qu’il savait sur cette affaire de meurtre sur commande.

La prison les contacta pour les informer qu’un détenu du nom de Billie Earl Johnson prétendait détenir des informations. Les enquêteurs virent les photos de « l’homme aux biftons », plus connu sous le nom de John, ainsi que la photo que Stacey avait envoyée à sa mère. Bien sûr, tout le monde avait reconnu l’homme dans la Lexus grise – c’était Frank, enfin John Franklin Howard. Il s’avéra que l’entreprise d’additifs alimentaires Van Tone était l’un des plus anciens clients de Frank. Il s’y rendait toutes les semaines pour trafiquer les relevés de compte et travaillait souvent avec la femme que Billie avait harcelée.

Cette année-là, Frank avait demandé le numéro de Billie à plusieurs personnes, promettant qu’il mettrait fin à ce harcèlement. Quand Misti Ford dit enfin aux enquêteurs tout ce qu’elle savait, la police put relier la Nissan grise à Michael Speck et Michael Lorence, tous deux enfermés à la prison du comté de Denton. Le duo fut d’abord condamné pour vol aggravé et homicide prémédité, mais Lorence ne plongea finalement que pour violences aggravées. Les accusations choquèrent tous ceux qui connaissaient Frank. Il avait toujours eu l’air d’être si digne de confiance. « Pour nous, il incarnait l’archétype du bon Chrétien », raconte la tante de Nancy. Pendant son audience, la salle était pleine de gens acquis à sa cause.

Durant la liberté provisoire de Frank, sa fille Brianna se maria. Nancy voulait que sa fille ait le mariage de ses rêves. Pour ce faire, elle écrivit au juge pour lui demander de bien vouloir assouplir les conditions de liberté de Frank le temps d’un week-end afin qu’il assiste à l’événement. « C’était dur, mais c’était un intense moment de bonheur », raconte-t-elle aujourd’hui.

Le couperet

Le procès de Frank débuta en août 2014. C’était une affaire familiale. Les membres de la sienne se tassèrent d’un côté de la salle d’audience, la famille de Nancy s’agglutinant de l’autre côté. Il y avait au moins dix avocats et des dizaines de témoins : des enquêteurs, des experts en communication, des gérants d’hôtel, et même l’opératrice du 911 qui avait parlé avec Nancy la nuit du drame. Nancy fut appelée à la barre et expliqua combien son mariage s’était dégradé. Suzanne Leontieff confirma ses trois ans de liaison avec Frank. C’était la première fois qu’ils se trouvaient dans la même pièce depuis qu’elle l’avait emmené à l’aéroport deux ans auparavant. Perchée à la barre des témoins, elle gloussait nerveusement, ce qui eut le don d’agacer la famille de Nancy.

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Frank Howard lors de son arrestation

Billie Johnson et Stacey Serenko – tous deux sortis de prison pour l’occasion – parlèrent de ce premier coup de fil et décrivirent comment ils avaient saigné cet homme pendant plus de deux ans en lui soutirant des millions de dollars. Charlie Louderman, le type que Billie avait engagé pour être son garde du corps, dit au jury qu’il avait plusieurs fois entendu cet homme parler du meurtre de sa femme. Dustin, Stephanie et Jason parlèrent tous des liens étranges qu’ils entretenaient avant le drame, de leurs débats à rallonge et de la misère dans laquelle l’argent les avait laissés.

Misti Ford raconta son périple depuis la Californie jusqu’au Texas ainsi que la fameuse confession de son fiancé – celle qui changea sa vie. Les avocats de la défense clamèrent que Frank avait été victime de chantage et que la crédibilité des témoins laissait fortement à désirer. Ashley, Jay et Brianna témoignèrent tous les trois en faveur de leur père – ils expliquèrent notamment que c’était un homme bon et plein de compassion. Ils n’étaient pas présents lors de la présentation des preuves. Mais lorsqu’ils étaient là, ils étaient assis juste derrière leur père.

Le procès dura presque trois semaines, mais le jury n’eut besoin que de deux heures pour prononcer son verdict. Pendant l’audience de Frank, Richard Raley fut appelé à la barre. Vêtu d’une combinaison orange et menottes aux poignets – il est en prison pour une affaire de pilules –, Raley dit au jury qu’en trois ans, Frank avait méthodiquement détourné plus de 30 millions de dollars de sa fortune. Un représentant de Van Tone était également présent et il expliqua comment Frank lui avait également volé de l’argent. Le procureur conclut qu’en plus d’avoir méprisé la femme avec laquelle il était marié depuis plus de trente ans, il aurait dû savoir qu’un divorce mettrait au jour ses opérations frauduleuses. Le jury condamna Frank à la prison à perpétuité. Ses trois enfants, révoltés, quittèrent la salle d’audience sans même dire au revoir à leur mère.

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Nancy porte à présent un œil de verre pour accompagner son magnifique œil violet. Il s’assèche, devient collant et lui fait mal. Elle doit le nettoyer chaque matin pour calmer la douleur. La prothèse tombe de temps à autre, car sa paupière n’a plus de muscle pour la maintenir en place. Très tactile avant l’accident, il s’avère que les dommages causés à ses nerfs rendent chaque étreinte douloureuse. La balle ayant traversé ses sinus, elle a perdu l’odorat et presque toute sensation gustative. Elle est restée à l’hôpital pendant plus de deux semaines et subi plusieurs opérations de chirurgie réparatrice. Malgré cela, son apparence physique a continué de la préoccuper. Sa famille avait peur qu’elle ne perde sa voix – elle avait une atélectasie et crachait des morceaux de chair lorsque la police était arrivée chez elle. Mais elle a tout de même pu chanter à nouveau dans la chorale de l’église.

À 53 ans, elle vit seule pour la première fois. Elle garde des enfants à mi-temps, mais cherche un travail à temps complet. Elle n’aurait jamais imaginé en être là à cette période de sa vie. Nancy pourrait être morose et déprimée, mais ce n’est pas le cas. Elle sait faire la différence entre Frank, l’homme qu’elle connaissait et qu’elle a aimé pendant toutes ces années – l’homme qui l’a aimée aussi, elle le sait – et John, cet alter ego qui ne pensait qu’à lui. Certains jours, elle a l’impression de vivre un cauchemar dont elle se réveillera bientôt. Sa foi est grande, ce qui l’a aidée à pardonner, mais aussi à être patiente.

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Nancy Howard lors du procès
Août 2014 , Dallas
Crédits : Barron Ludlum

« J’essaie de trouver ma voie, dit-elle. J’ai été femme au foyer pendant plus de vingt ans. C’est ce que je fais, c’est ce que je suis. Mes enfants sont aux quatre coins du pays, c’est une lutte incessante. » Sa relation avec ses enfants s’est étiolée. Ils sont restés en contact avec leur père pendant toute la procédure et croient fermement en son innocence. Elle comprend leur réaction, Frank reste leur père. Nancy espère qu’ils viendront pour Noël. La chaleur d’une famille unie lui manque. Être entourée de sourires lui manque. Elle ne sait pas si cela se reproduira un jour. Le procès leur a pris beaucoup de temps. « C’est très compliqué, conclue t-elle. Je les ai élevés pour qu’ils aiment, honorent, et respectent leur père. Et c’est ce qu’ils font. »


Traduit de l’anglais par Maureen Calaber d’après l’article « How Not to Get Away With Murder », paru dans D Magazine. Couverture : Une robe de mariée. Création graphique par Ulyces.