Depuis l’entrée de la surface de réparation, Florian Sotoca plante son regard dans le ballon posé devant lui, au point de penalty. Par moment, il relève les yeux vers le gardien d’Orléans, dont le maillot gris se confond avec les sièges étagés en tribune. Le stade Félix-Bollaert est vide, si vide qu’on entend les encouragements résonner dans les travées. À la 50e minute de ce match de Ligue 2, ce lundi 10 mars, l’attaquant du Racing Club de Lens expédie le cuir à gauche du but, prenant à contre-pied Alexandre Letellier. Alors qu’il se dirige vers le point de corner, pour sautiller en serrant timidement le poing, le speaker s’époumone. « Buuuuuut pour le Racing Club de Lens, du numéro 7, Floriaaaan… » mugit Cyril Jamet avant de marquer une pause, comme s’il espérait une réponse du public. « So-to-ca ! » complète-t-il en riant sous cape.

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Dans les heures qui suivent, la séquence est abondamment partagée sur les réseaux sociaux et le portable de cet animateur de radio Horizon sonne sans discontinuer. « Ça a pris une proportion un peu folle », remarque-t-il par téléphone. Le jour du match, la ministre des Sports Roxana Maracineanu avait annoncé que l’interdiction des rassemblements de plus de 1 000 personnes, imposée pour lutter contre la propagation du nouveau coronavirus (Covid-19), s’appliquerait aux événements sportifs au moins jusqu’au 15 avril. Comme le match du Racing Club de Lens, le huitième de finale retour du Paris Saint-Germain contre Dortmund se jouera donc à huis-clos, ce mercredi soir, dans un stade vide. Y aura-t-il un semblant d’ambiance ? Cyril Jamet a répondu à nos questions.

Comment avez-vous abordé ce match à huis-clos ?

J’appréhendais beaucoup la rencontre et j’étais triste, car je savais que l’absence des groupes de supporters allait casser l’ambiance. Lens a l’un des meilleurs publics de France. Ici c’est un spectacle à chaque fois, il n’y a pas un seul match où je ne prends pas mon pied à regarder ce qui se passe en tribune. Il y a souvent plus de 20 000 personnes pour une affiche de Ligue 2 moyenne. Cela dit, je ne me suis pas préparé différemment.

Même à huis-clos, il faut un speaker sur place. Alors j’y suis allé et quand je suis arrivé sur la pelouse, j’ai eu un petit moment de solitude en donnant la composition. C’était bizarre d’annoncer les joueurs alors qu’il n’y avait personne pour les suivre au stade,  alors même que l’enjeu était énorme. Le RC Lens joue la montée en Ligue 1 cette saison. Je me suis dit : « Vivement le coup d’envoi. »

Aviez-vous préparé votre réaction en cas de but ?

C’est venu comme ça, sans malice. Si vous demandez aux supporters, il vous diront que je suis quelqu’un d’un peu chaud, que je suis moi-même supporter et que j’ai donc tendance à m’emporter. Lors des buts, je peine à contenir ma joie, comme j’ai du mal à contenir mon énervement parfois. Quand Florian à marqué, j’étais accroupi en attendant le tir du penalty, je croisais tout ce que je pouvais croiser, je ne pensais pas du tout à ce que j’allais dire.

Finalement je me suis retrouvé seul au monde. Dans la vidéo, on entend que je prononce le nom en rigolant parce que c’était comique. Derrière moi il y avait la tribune de presse, le staff. J’espérais que quelque-uns allaient suivre mais non ! Ils se sont contentés de rigoler.

C’était malgré tout un clin d’œil pour les supporters, qui auraient aimé célébrer le but comme ils en ont l’habitude. Des gens qui regardaient le match à la télé ont crié « Sotoca ! » pour compléter ma phrase. Je l’ai su parce qu’il me l’ont dit après, ils m’ont remercié. Quand tu as ça, tu es le plus heureux du monde. Ils m’ont fait la plus belle des récompenses et je tiens à les remercier.

Cette expérience vous inspire-t-elle un conseil pour le speaker du PSG ?

Il est là depuis plus longtemps que moi donc je n’ai pas de conseils à lui donner. Je ne sais pas s’il va vouloir la jouer comme moi, c’est-à-dire faire comme s’il y avait du public. J’ai cru comprendre que des supporters allaient quand même venir aux abords du stade pour se faire entendre. Il y avait aussi des fans lensois sur le parking et je les ai entendus klaxonner.

À mon avis, il ne faut rien changer. Je n’ai pas mal vécu le fait d’être le seul à crier. C’est quand Lens ne marque pas ou perd que je vis de mauvais moments.

Comment êtes-vous devenu supporter et speaker du RC Lens ?

Je suis arrivé dans la région en 2000, pile au moment où le club dominait le football français. Mon grand-père m’avait emmené voir des matchs de la Berrichonne de Châteauroux quand j’étais petit car j’ai grandi là-bas. Mais Lens est un club à part. J’ai halluciné en découvrant l’ambiance de Bollaert.

Il y a trois ans, le club a voulu remplacer son speaker historique, qui était là depuis 15 ans. Il a cherché son remplaçant parmi les membres d’une radio partenaire, radio Horizon. Comme j’y présente la matinale et que je suis fan de l’équipe, j’ai sauté sur l’occasion.

Pour ma première, je devais animer un match amical contre un club belge. On m’avait donné une liste de joueurs manuscrite. C’était écrit en néerlandais, avec un vieux stylo qui marchait à moitié donc j’arrivais à peine à lire. Ça a donc été compliqué mais le souvenir n’est pas si mauvais : je commençais quelque chose qui me tenait vraiment à cœur. Même si j’avais l’habitude du public, la pression est différente, c’est un monde à part.

Comment devient-on un bon speaker ?

J’ai beaucoup appris en écoutant les conseils des dirigeants, du staff et des supporters. Je suis aussi très à l’écoute de ce qu’on me dit sur les réseaux sociaux. Avec de la passion, de l’humilité et beaucoup d’écoute, on peut progresser très vite. Je suis très curieux donc je regarde ce que font les autres que ce soit en France ou à l’étranger. Pour moi, le maître absolu est le speaker du Napoli.

Pour la célébration des buts, j’ai pris exemple sur lui car il arrive à créer une véritable communion. J’avais envie d’apporter quelque chose de nouveau dans ce temple des Sang et Or. Mais c’est quelque chose qu’il n’est possible de faire que dans un stade avec un vrai public, qui connaît le football.

En criant pour le but de Florian Sotoca, j’ai essayé de perpétuer cette ambiance, de faire comme si le public était là. Ce n’est pas parce qu’on est à huis clos qu’il faut changer nos habitudes, d’autant qu’il y a plein de supporters qui nous entendent à la télé. Maintenant, des tas de gens me disent que j’ai lancé une mode… Je ne pense pas à ça mais si les autres font comme moi je n’ai rien contre.