Hiver 2013. La compagnie pétrolière Shell s’apprête à forer en plein Océan Arctique au large de l’Alaska. À moins d’une centaine de kilomètres des concessions pétrolières, en lisière de l’océan, sept villages préparent leur campagne de chasse à la baleine. Un rituel ancestral réservé au peuple Inupiat, occupant millénaire de ces terres boréales. Une journaliste et un dessinateur partent pour trois mois à l’extrême nord des États-Unis. Zoé Lamazou et Victor Gurrey veulent constater au ras du terrain la révolution qui s’opère dans cette région polaire où la vie traditionnelle est encore très présente. Une saison de chasse en Alaska, le livre tiré de ce voyage, parait aux éditions Paulsen en mai 2014. En mots et à l’aquarelle, les auteurs y font le récit émouvant d’un monde en mutation, un monde menacé.

Comment avez-vous préparé votre expédition avec Victor ? La préparation de notre périple a débuté en septembre 2012, six mois avant notre départ pour l’Alaska. En concertation avec Victor Gurrey, j’ai élaboré ce reportage au long cours comme je prépare tout autre sujet journalistique : documentation extensive, constitution d’un carnet d’adresses, premières interviews et prises de contact. La spécificité de cette expédition tenait plutôt aux conditions climatiques et logistiques d’un terrain nouveau pour nous : l’Arctique de la fin d’hiver. Entre la fin du mois de février et les derniers jours d’avril, au-dessus du cercle polaire, les températures peuvent encore atteindre – 30°C à – 40°C. Autre caractéristique, l’Arctique est cher. La plupart des villages où nous voulions enquêter ne sont accessibles que par la voie des airs ; les tarifs du moindre petit hôtel sont rédhibitoires ; le prix des denrées alimentaires – acheminées par avion ou par barge chaque été – également. Nous avions un budget restreint. Sur place, nous avons dû composer avec cette contrainte et bien souvent nous fier à l’improvisation. Pendant un mois et demi, nous avons dormi gratuitement… dans une citerne. Pourquoi avoir choisi de travailler un reportage dessiné plutôt que photographié ? Victor Gurrey est dessinateur ! Une saison de chasse en Alaska est le rêve commun d’une journaliste et d’un dessinateur. Nous avions déjà voyagé ensemble, notamment en Arctique, et expérimenté ce tandem. Nous reconnaissons tous deux la valeur du dessin dans un contexte de reportage. Le portrait, par exemple, installe la confiance par forme de don mutuel : modèle et artiste se consacrent du temps et de l’attention. Pour peu que le journaliste s’adapte au temps du dessinateur, l’interview et l’observation prennent un autre tour. Le journaliste, à sa manière, capte aussi plus de nuances et plus de couleurs. Dans les pages du livre, texte et dessin se répondent dans un bel équilibre. Nous estimons que ces deux medias ont un potentiel assez identique de suggestion et de stimulation de l’imagination du lecteur. En Alaska, nous avions pourtant emporté, en plus de nos carnets, crayons et aquarelles, du matériel photo, vidéo et de prise de son. Une version multimédia de notre récit est actuellement en préparation… Quelles sont les conditions de travail en Alaska pour un journaliste ? Vous a-t-on laissé faire le reportage que vous souhaitiez ?  Le froid est une condition particulière, surtout pour le dessinateur. L’encre et l’aquarelle gèlent avant d’avoir atteint le papier ! Une autre contrainte, qui existe aussi ailleurs, a été la grande méfiance de la plupart de nos interlocuteurs. Dans les villages iñupiatla majorité des Blancs de passage sont des employés de compagnies pétrolières, des scientifiques, des journalistes pressés, des activistes écologistes… Plus rares sont les auteurs de reportage au long cours. Le temps a été notre principal atout. Nous avons pu expliquer notre démarche, transformer des rencontres en amitiés et partager véritablement le quotidien de ces habitants du Grand nord alaskien qui sont les personnages de notre livre.

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Une saison de chasse en Alaska, aux éditions Paulsen

Zoé Lamazou, auteur d’Une saison de chasse en Alaska