La cinquième saison du Bureau des légendes se refermera ce soir avec la diffusion des deux derniers épisodes sur Canal+. Et pour ne rien gâcher, ils sont écrits et réalisés par Jacques Audiard, sous la houlette d’Eric Rochant dont c’est la dernière saison en tant que showrunner – il restera producteur de la série.

Que restera-t-il de la série française mondialement renommée après ce final très attendu ? Il restera la DGSE, déjà. Au cas où le BDL vous aurait donné des envies de reconversion, voici comment devenir espion à la DGSE.

Le stand

Dans un coin du Parc des expositions de la porte de Versailles, au sud de Paris, les plateaux de macarons circulent entre une pile d’autocollants et des stylos à l’effigie de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE). Vers 18 h 30, ce jeudi 16 mai 2019, l’agence de contre-espionnage française s’offre une collation avant de remballer. Installés près du stand de Google au salon VivaTech, ses employés d’ordinaire si secrets présentent leur activité avec le sourire. Un mystère affecté est maintenu par des affiches qui interdisent les photos, mais la « boîte » est bien sabre au clair.

À quelques mètres de là, accoudé à une table, un grand brun au costume impeccable est pendu au téléphone. Comme ses collègues, « Philippe » fait mine de jouer sur du velours en refusant de décliner son identité, bien qu’elle se devine en quelques clics. Depuis 2016, le chargé de communication de la DGSE s’appelle Philippe Ullmann. Avec une confidentialité toute relative, notre homme accepte d’évoquer les modes de recrutement de son employeur. Après tout, il est là pour ça.

Crédits : Servan Le Janne

Dans un secteur soumis à une « course à l’innovation perpétuelle », explique le quadragénaire au visage émacié, « il faut qu’on aille chercher les compétences ». En plus de planquer à la sortie des universités et des écoles d’ingénieurs pour repérer les meilleurs informaticien·ne·s, elle campe depuis l’an passé à VivaTech, au milieu des startupers. « Il y a une barrière psychologique », regrette Philippe. « Les gens ne se disent pas forcément que la DGSE est un embaucheur potentiel. Or, nous recrutons des femmes et des hommes ordinaires pour faire des métiers extraordinaires. Il faut le faire savoir. »

Rejointe en moyenne par 600 à 700 nouvelles têtes par an, la « piscine » prévoit d’engager 1 500 personnes d’ici à 2022. Si la plupart de ses 6 800 agents sont encore fonctionnaires ou militaires, la part des contractuel·le·s augmente. Elle rassemble aujourd’hui 65 % de civils pour un budget annuel de 900 millions d’euros. À côté des concours, des détachements administratifs et des affectations de l’armée, des CDD durant un à trois ans sont de plus en plus régulièrement offerts dans les domaines de l’ingénierie, des langues étrangères (notamment le russe, le chinois, les déclinaisons de l’arabe, le persan et le coréen), de l’exploitation du renseignement et du soutien. Différents entretiens, tests psychotechniques et procédures d’habilitation précèdent l’embauche. Si la mission dépasse six ans, elle débouchera sur la signature d’un CDI.

Crédits : Servan Le Janne

« Nous recrutons des compétences techniques clés en main », résume Philippe, qui avoue s’intéresser en particulier aux écoles d’ingénieurs et aux BTS informatique. Aux débutant·e·s sorti·e·s des grandes écoles, la DGSE propose pas loin de 40 000 euros brut par an, tandis que le salaire moyen offert oscille en général entre 33 000 et 35 000 euros. À l’heure actuelle, elle recherche par exemple des ingénieurs·euses en développement d’outils SSI, en traitement du signal SF, un·e administrateur·rice système, un·e développeur·se, et un·e chef·fe de bureau logistique.

Les scientifiques ne sont néanmoins pas les seul·e·s à entrer à la piscine. Jusqu’au 11 octobre 2019, les titulaires d’une licence peuvent s’inscrire au prochain concours d’attaché. Un bac suffit pour prétendre au poste de secrétaire administratif·ve spécialisé·e avant le 20 septembre. Ces deux fonctions réclament notamment des compétences rédactionnelles, afin d’être en mesure de rendre des analyses dans différents domaines. Des candidatures spontanées peuvent aussi être envoyées à dgse-macandidature.cer.fct@intradef.gouv.fr.

L’agence s’intéresse à même à « des physiciens, des techniciens et des chercheurs », confiait son ancien cadre Alain Juillet à France Inter en 2016. « Dans un service de renseignement, il doit y avoir des gens qui ont des réponses à toutDes gens qui sont capables d’analyser toutes les facettes des problèmes qu’on rencontre dans la vie. Il faut des gens qui connaissent le nucléaire, l’aéronautique, l’hydraulique, etc. Et à chaque fois ce sont ces gens-là qu’on va former pour faire de l’analyse. Ou, pour ceux qui en ont vraiment le talent, qui vont faire du renseignement. » Cette ouverture à des domaines très variés est toutefois assez récente.

Les voies étroites

À VivaTech, dans les allées du Parc des expositions, la DGSE a trouvé un moyen bien à elle de soigner sa réputation. « C’est quand même assez atypique pour un service secret », concède Philippe. Il n’en a d’ailleurs pas toujours été ainsi. Quand il a sombré dans la guerre d’Algérie et l’affaire Ben Barka, son ancêtre, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece), a été dissout pas les Socialistes dès leur arrivée au pouvoir. La nouvelle organisation n’a certes pas tardé à se saborder dans le fiasco du Rainbow-Warrior en 1985, mais, fût-elle lente à se dessiner, la mue était à l’œuvre.

Crédits : DGSE

Au sein de l’agence, dans les années 1980, il n’y a plus seulement deux divisions (infrastructure et moyens, renseignement) mais quatre (affaires financières et générales, recherche, contre-espionnage, action). Surtout, ce repaire de gradé·e·s s’ouvre aux spécialistes issu·e·s du civil sous l’influence d’un des responsables, Louis Mouchon. Ce dernier les jugeait « pour beaucoup, inaptes au renseignement par manque de formation », écrit l’historien Gérald Arboit dans un article sur l’ancien directeur, Pierre Marion. Légèrement plus colorée, cette DGSE n’en reste pas moins fidèle à la devise qu’on lui prête, Ad augusta per angusta (« À des résultats grandioses par des voies étroites »). Elle renâcle à incorporer des profils différents.

« Chez les militaires », se souvient Alain Juillet, « on avait tendance à recruter des officiers ou des sous-officiers de valeur mais qui n’étaient pas forcément des gens de haute qualification intellectuelle. Ce n’était pas des ingénieurs, par exemple. Allez interpréter des équations ou des résultats sur le nucléaire quand vous n’avez pas la moindre idée de ce que c’est, c’est impossible ! » Et puis, à la fin des années 2000, un rapport du conseiller d’État Bernard Pêcheur insiste sur la nécessité de recruter des contractuel·le·s de haut niveau. La DGSE « prend conscience qu’il lui faut élargir son horizon en puisant de la “matière grise” dans les écoles les plus prestigieuses », écrit France Inter.

Le Livre blanc de la sécurité et de la défense nationale publié le 17 juin 2008 prévoit la création de « normes communes de gestion des carrières » et d’une « académie du renseignement [qui] développera un programme de formation, véritable “tronc commun” défini entre les services, hébergé par eux et sanctionné par un brevet reconnu par tous. » Il suggère aussi de faciliter l’arrivée de linguistes et de scientifiques. Dans la loi de programmation militaire adoptée pour les années 2009-2014, il est aussi écrit que « les parcours de carrière offriront plus de possibilités de mobilité entre les services. Des filières de formation commune seront créées ; la future académie du renseignement y contribuera. »

La piscine essaye de se montrer séduisante en publiant des offres de stages sur son site.

À cette période, un vaste plan vise à recruter 690 personnes d’ici 2015. Pour la première fois, un chargé de communication est aussi nommé en 2010.« La DGSE ne communiquait pas jusqu’à ce jour avec le grand public », détaille l’intéressé, Nicolas Wuest-Famose, prédécesseur de Philippe Ullmann. « Elle demeurait une maison discrète en ne dialoguant qu’avec le pouvoir exécutif au profit duquel elle travaille. Aujourd’hui, notre rôle et l’évolution de la société doivent nous inciter à entrouvrir notre porte pour expliquer aux citoyens notre mission et notre action », a assuré. »

Dès lors, l’agence se montre dans les colonnes du Figaro. Après un article sur le « nouveau visage des espions français », en 2011, le quotidien de droite renseigne régulièrement ses lecteur·rice·s sur l’agence et, en 2014, va jusqu’à faire paraître un reportage de 12 pages dans son magazine. « Pour la première fois de (son) histoire », il propose « une immersion exceptionnelle » derrières ses portes entrouvertes. Un an plus tôt, la Revue de défense nationale faisait paraître une tribune de l’étudiante Aurore Bouvart qui regrette que « jusqu’à une période relativement récente, le renseignement n’était pas considéré par les jeunes diplômés comme un domaine dans lequel il était possible de faire carrière ». La DGSE tente donc de rattraper son retard sur l’Angleterre, où c’est « un domaine d’excellence ».

Même si la recherche sur le renseignement demeure « une filière à construire », à en croire Pierre Memheld, responsable du master intelligence économique à l’université de Strasbourg, la piscine essaye de se montrer séduisante en publiant des offres d’emplois ou de stages sur son site. À VivaTech, son nom attire « beaucoup de curieux », observe Philippe. L’agence est selon lui encore « associée au monde des services secret » mais, à force de communiquer, le public finira par comprendre « qu’elle traite aussi de renseignement technique et humain », précise-t-il. Alors, « on sera amené à faire davantage d’événements comme VivaTech à l’avenir », promet-il.


Couverture : DGSE