L’herbe folle pousse toujours là où l’attend le moins. En semant négligemment quelques graines il y a sept ans, les trois fondateurs de Mon petit gazon (abrégé MPG) étaient loin de se douter qu’ils récolteraient de tels fruits. Aujourd’hui, le jeu de « fantasy football » rythme le week-end de centaines de milliers de fans français. Depuis la terrasse de leur bureau du IXe arrondissement de Paris et sa fausse pelouse, Martin Jaglin, Grégory Rota et Benjamin Fouquet reviennent sur leur épopée digne d’un Petit Poucet en Coupe de France.

Au début de l’aventure, en 2011, ces trois collègues d’une agence de marketing numérique ont voulu créer un jeu de fantasy football convivial. Leur espèce de Football Manager en ligne, simplifié mais néanmoins arrimé aux performances réelles, était personnel. Ils n’avaient pas le temps d’essayer d’en faire la promotion ou de le complexifier. C’est cette simplicité, conjuguée à une bonne dose de second degré, qui ont fait son succès.

À ceux qui ne connaissent pas encore MPG, Martin Jaglin explique que « chaque week-end, quelqu’un défie un ami dans le jeu virtuel et le bat si ses joueurs jouent bien dans le championnat de France réel ». Le trio se référait aux notes de L’Équipe pour juger leurs performances et aux matchs de la Ligue 1. Ce qui lui a valu des menaces de poursuite. Mais quand, fort de leur succès, ils ont cessé de n’être que des amateurs, pour devenir des promoteurs du football français, Martin, Grégory et Benjamin ont été adoubés par le quotidien et les instances. La réussite est totale.

La fibre du jeu

Martin Jaglin : Au moment de lancer Mon petit gazon, en septembre 2011, je travaillais dans une société de marketing numérique qui marchait bien, 1000mercis. J’y suis arrivé en 2005, deux ans après Grégory et Benjamin. Rien ne nous poussait à chercher une autre activité. De toute manière, ce projet entre potes n’était pas voué à prendre une grande ampleur. L’univers de ce qu’on appelle le « football fantasy », alors bien plus développé en Angleterre qu’en France, ne nous était guère familier. Nous jouions ensemble à FIFA et PES quand un jour, nous avons découvert un jeu créé par des Lyonnais, Fantaleague, qui ressemblait à un Football Manager en ligne. Le côté interactif nous a séduits.

Martin Jaglin (à droite)
Crédits : L’Équipe

Gregory Rota : Les sites de football fantasy qui existaient ne nous emballaient pas vraiment. En fait, MPG a été conçu comme le jeu auquel nous voulions jouer, et nous avons eu la chance qu’il plaise. Nous étions loin de penser que ça deviendrait une entreprise.

Benjamin Fouquet : Il y avait non seulement une certaine alchimie, mais aussi une complémentarité entre nous trois. En jouant à Fantaleague, nous nous sommes dit que nous pourrions allier nos compétences pour l’améliorer. Fantaleague était un peu trop compliqué. Alors nous avons repris le site pour partir de zéro. Certains collègues se sont mis à jouer mais nous n’en parlions pas tellement au bureau. Ça restait une agence marketing. En revanche, le projet nous a rapprochés d’ami·e·s qui aiment le foot.

Gregory Rota : Martin a grandi à côté de Paris et supporte donc le PSG, tandis que Benjamin est Bordelais. J’ai beau être originaire de Vesoul, dans l’est de la France, mon cœur battait pour l’Olympique de Marseille. Dans les années 1990, c’était l’équipe qui faisait rêver tant par ses résultats que par la ferveur qu’elle drainait. À cette période-là, il y a eu un premier ordinateur chez moi. J’aimais déjà les jeux vidéo donc je me suis passionné pour le web. En parallèle de mes études en informatique, je jouais à FIFA, PES et Football Manager.

Benjamin Fouquet : Internet m’a toujours attiré mais, comme beaucoup d’étudiants, je n’avais aucune idée du métier que je voulais exercer. J’ai fait une école de commerce pour me spécialiser, au sein de laquelle je me suis naturellement dirigé vers les nouvelles technologies. Ensuite je suis monté à Paris pour travailler dans le marketing en ligne. Je lisais L’Équipe mais je n’étais pas non plus du genre à regarder les notes de chaque joueur après les matchs.

La rançon du succès

Martin Jaglin : Au départ, les notes des joueurs de MPG étaient celles de L’Équipe. Nous avions conçu un robot pour les récupérer sur le site du quotidien sportif. Quand elles ont été retirées d’Internet, nous avons dû les rentrer une par une à partir du journal papier, le dimanche soir et le lundi matin. Dès que le jeu a commencé à se faire un peu connaître, L’Équipe nous a envoyé une lettre en recommandé, menaçant de nous attaquer en justice car nous nous servions de leur propriété intellectuelle. Alors, nous avons dû développer notre propre algorithme.

Benjamin Fouquet : Ça a été un mal pour un bien car cela nous a permis de conserver notre indépendance. Avant ça, c’était vraiment archaïque, on entrait les dernières notes à 7 heures du matin le lundi. Nous nous sommes tournés vers une société qui fournissait des statistiques, Opta, et nous les avons entrées dans un algorithme. Grâce à lui, on avait le pied à l’étrier et on pouvait appliquer la technique à d’autres championnats.

Grégory Rota : À partir de 2015, le site a commencé à être pas mal fréquenté. Nous passions du temps à répondre à des e-mails et corriger les erreurs. En octobre, j’ai pris la décision de quitter mon poste pour m’occuper à plein temps de MPG. Je ne voulais pas regretter de passer à côté de cette aventure. Le site était encore assez laid donc nous avons lancé une campagne de crowdfunding en février 2016. Alors que nous espérions récolter 16 000 euros, les internautes nous en ont donné 40 000. Ça nous a permis de concevoir une application, et d’embaucher un graphiste et un technicien pour refondre le site. On l’a cassé pour tout refaire en trois mois.

Martin Jaglin : À mon tour, j’ai quitté 1000mercis pour consacrer tout mon temps à MPG en 2016. Les réunions se passaient d’abord dans la cuisine de l’un ou de l’autre, puis dans des espaces de co-working. Cela dit, je n’aime pas trop parler de start-up pour décrire MPG. Ça laisse l’impression qu’on émet des idées simplement pour récolter des fonds. Nous avons monté notre entreprise pas à pas, ce qui nous donnait l’impression de réaliser quelque chose de cool qui grandissait petit à petit. Il a bien fallu cinq ans pour qu’on lâche nos emplois.

Benjamin Fouquet : MPG a fonctionné parce qu’il avait un côté trublion par rapport aux jeux de fantasy football classiques. Alors que la plupart proposent de se mesurer à des milliers d’inconnus, nous avons voulu créer un environnement convivial dans lequel s’affrontent des amis. Ça permet de vibrer le week-end et de se chambrer le lundi. Et puis les participants se mettent à suivre les matchs de petites équipes pour savoir si leurs joueurs font de bonnes performances. Ça redore le blason de la Ligue 1.

« La LFP a compris que MPG était une bonne chose pour son image. »

Martin Jaglin : Pourtant, la Ligue de football professionnel (LFP), qui organise le championnat de France, a elle aussi voulu nous attaquer. En avril 2016, la discussion que nous avions avec elle par avocats a fuité dans la presse, ce qui a créé une sorte de mauvais buzz pour elle. Ses dirigeants ont donc fini par nous laisser faire. Le directeur général, Didier Quillot, croyait au projet. Lorsque son président Frédéric Thiriez a été remplacé, au mois de mai, cette position a été infléchie. Finalement, la LFP a compris que MPG était une bonne chose pour son image.

Rotaldo à domicile

Grégory Rota : D’ailleurs, des vrais joueurs sont inscrits sur notre site. Je crois que le premier a été le défenseur du Stade Malherbe de Caen Emmanuel Imorou. Il y a aussi Nicolas Benezet, Valère Germain ou Umut Bozok. Nos utilisateurs ont en général entre 18 et 35 ans et viennent d’un milieu urbain. La LFP estime le nombre de fans de foot en France à 20 millions et nous pensons que trois ou quatre millions sont convertibles à MPG.

Benjamin Fouquet : À la base, MPG était surtout joué en Île-de-France. À Paris, j’ai commencé à voir des gens consulter l’application sur leur portable en 2016. C’était la preuve que ça rentrait dans les conversation et dans le quotidien. Les gens commençaient à en parler à la radio et sur Twitter. On nous a ensuite raconté un tas d’anecdotes de gens qui jouaient en famille ou qui concevaient de gros trophées. Il y a même une mère de famille qui, venant d’accoucher, jouait avec son mari pour garder le lien. Nous avons pénétré le foyer de A à Z.

Grégory Rota : L’application était initialement payante mais nous sommes revenus sur cette décision. Pour payer nos serveurs, nous avons commencé par mettre un peu de publicité. Ce sont en fait les options proposées – comme le mercato permanent ou les maillots personnalisés – qui nous ont permis de gagner de l’argent.

Martin Jaglin : En janvier 2018, nous avons levé un million d’euros auprès d’investisseurs privés comme l’ancien président du PSG Sébastien Bazin, le DJ Martin Solveig et une personne de la famille Amaury, actionnaire de L’Équipe. Nous avons depuis lancé un partenariat avec le quotidien sportif, ainsi qu’avec la LFP.

Benjamin Fouquet : De la même manière que nos interlocuteurs ne sont plus les mêmes depuis le départ de Frédéric Thiriez à la LFP, ils ont changé à L’Équipe. Les personnes en charge du numérique au sein du média ont fait comprendre à leurs collègues que MPG ne pouvait qu’inciter les fans de football à lire les articles. Désormais, on peut choisir entre les notes décernées par leurs journalistes ou celles de l’algorithme. La deuxième option est plus objective, mais il ne faut pas oublier qu’une frappe de 30 mètres qui termine sur la barre comptera toujours, dans ce cas de figure, comme un tir non cadré. Les joueurs de MPG trouvent ainsi un plus grand intérêt à regarder les matchs. Des collaborations ponctuelles avec Red Bull, Puma et Intersport ont aussi été lancées. Les visites commencent à être régulières et nombreuses.

Martin Jaglin : Pour le moment, les championnats français, anglais et espagnols sont sélectionnables sur MPG. Chaque année, on nous demande d’en proposer de nouveaux, ou de créer des versions équivalentes pour d’autres sports comme le rugby ou le basket. On se pose toujours la question, mais nous ne voulons pas ajouter une option pour ajouter une option.

Benjamin Fouquet : Notre objectif est pour le moment de personnaliser davantage l’expérience et de développer notre version espagnole pour trouver des joueurs de l’autre côté des Pyrénées. Environ 90 % de notre audience se trouve en France, mais on essaye d’activer des plateformes d’influence ailleurs.


Couverture : MPG by Ulyces.