Les Clinton et Wall Street

Le 17 janvier dernier aux États-Unis s’est tenu le dernier débat opposant les candidats démocrates avant le lancement de la course aux primaires. Bernie Sanders a dénoncé les liens étroits qu’entretient Hillary Clinton avec la bourse de Wall Street, attaque qu’il s’était retenu de proférer jusqu’à ce stade de la campagne électorale. « Je ne perçois pas d’argent des grandes banques… En un an, vous avez perçu 600 000 dollars d’honoraires de Goldman Sachs pour des conférences », l’a-t-il accusée. Les critiques de Sanders surviennent au moment même où de récents rapports révèlent que le FBI a étendu son enquête sur les emails envoyés par Hillary Clinton alors qu’elle était secrétaire d’État à ses relations avec les grands donateurs. Ce qui soulève une autre question : comment Hillary et Bill Clinton ont-ils tissé un tel réseau de donateurs, et qu’est-ce que ce réseau présage de la conduite de l’ex-première dame si elle venait à être élue présidente des États-Unis ? L’enquête, qui s’appuie sur de nombreuses sources, vise à éclairer des faits concernant Hillary Clinton et ne prétend en aucun cas favoriser tel ou tel candidat à l’élection présidentielle.

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Hillary Clinton en campagne
Crédits : Gage Skidmore

Depuis l’arrêt Citizens United et l’arrivée des Super PAC (ou comités d’action politique), il est fréquent sur la scène politique américaine que des sociétés et de riches donateurs transmettent des sommes illimitées d’argent aux candidats à de hauts postes en vue d’obtenir des faveurs. D’après les données publiées sur le site Open Secrets, en octobre dernier, aux fins de la campagne présidentielle de 2016, Jeb Bush disposait, en plus des participations directes, de près de 103 millions de dollars de « contributions extérieures ». Il peut s’agir de montants provenant des PAC, ces comités d’action politique, ou des Super PAC, mais également d’ « argent occulte » versé par des organisations au profit d’un candidat. Cette somme s’élevait respectivement à 38 millions de dollars, 17 millions de dollars et 14 millions de dollars pour les candidats Ted Cruz, Marco Rubio et Chris Christie. Pourtant, peu ont su exploiter cette politique de gros sous autant que Bill et Hillary Clinton.

Au mois d’octobre, Hillary Clinton avait soulevé 20 millions de dollars « extérieurs » qui se sont ajoutés aux 77 millions de contributions directes, soit la somme la plus importante réunie alors par un candidat. Mais Hillary et son mari entretiennent d’autres relations avec les grands donateurs, qui remontent bien avant l’élection en cours. Le « Système Clinton » se démarque par l’ampleur et la complexité des connexions qu’il implique, mais également par une présence de longue date sur la scène politique, par le rôle de l’ancien président Bill Clinton à ses côtés en tant que partenaire dans cette entreprise et par les sommes faramineuses mises en jeu. Cette ampleur et cette complexité s’expliquent par les différentes formes de contributions qui unissent les Clinton à leurs donateurs. Tout d’abord, il y a ces honoraires à six chiffres perçus par Bill et Hillary Clinton, principalement de la part de sociétés et de banques et qui leur ont déjà rapporté 125 millions de dollars depuis le départ de Bill Clinton de la présidence en 2001. Il y a également les contributions directes aux campagnes d’Hillary Clinton, notamment pour un siège au Sénat en 2000, pour la présidence du pays en 2008, puis en 2016, soit un total de 712,4 millions de dollars au 30 septembre 2015, selon les données publiées récemment par Open Secrets. Sur cinq sources de financement majeures, quatre sont de grandes banques : Citigroup Inc., Goldman Sachs, JPMorgan Chase & Co., et Morgan Stanley. Objectif de cette campagne : soulever un milliard de dollars de fonds pour la super PAC en vue de l’élection présidentielle de 2016.

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Bill, Hillary et leur fille Chelsea Clinton
Crédits : Clinton Global Initiative

Enfin, les donateurs ont versé près de deux milliards de dollars à la Fondation Clinton, ainsi qu’à des organismes satellites depuis le départ de Bill Clinton de la Maison-Blanche. Cela peut sembler étrange d’inclure les dons à la fondation parmi les recours des sociétés et des milliardaires pour se rapprocher des Clinton, gagner leur bienveillance et espérer un retour de faveur. Les fonds de la fondation sont majoritairement reversés pour défendre des causes plus ou moins louables, allant de la reforestation en Afrique et le soutien aux petits exploitants agricoles dans les Caraïbes, à la collaboration entre les pouvoirs publics et les entreprises aux États-Unis dans l’objectif de promouvoir le bien-être et la bonne condition physique des employés. En outre, tous les donateurs de la Fondation Clinton et de ses institutions associées ne sont pas des sociétés. La Fondation Bill et Melinda Gates, par exemple, qui compte parmi les donateurs principaux, a versé plus de 25 millions de dollars de subventions depuis sa création. Citons notamment un communiqué de presse de la Fondation Clinton publié en 2014 qui évoque un partenariat « visant à collecter et à analyser des informations sur le statut des femmes et des petites filles à travers le monde ».

Cependant, la plupart des grands bienfaiteurs de l’association font partie des donateurs qui ont apporté leur soutien à Hillary Clinton à chaque campagne électorale et versé des honoraires à six chiffres. Pour ces donateurs, en majorité des sociétés, le lien qu’ils établissent avec les Clinton est aussi important que les causes défendues par l’association. D’après l’analyse des fonds de la Fondation Clinton publiée en février 2015 par le Washington Post, le secteur des services financiers représente la plus grande part des entreprises donatrices. La fondation compte également comme donateurs principaux des entreprises spécialisées dans les énergies et la défense nationale, ainsi que les gouvernements étrangers avec lesquels elles font commerce. Les présidents américains ont depuis longtemps recours à des associations caritatives pour étendre leur influence et percevoir des honoraires de conférences, qui constituent une source de revenus non négligeable. Mais les Clinton se distinguent du fait qu’ils bénéficient de l’influence internationale de l’ancien président Bill Clinton pour financer la carrière politique d’Hillary Clinton.

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Une famille modèle

Les donateurs s’attendent probablement à ce qu’une sénatrice, ancienne secrétaire d’État et première dame, soit à même de leur rendre la pareille. Le forum annuel « Clinton Global Initiative » offre un cadre idéal pour les transactions entre les Clinton et leurs bienfaiteurs. Parmi les sponsors de l’événement qui s’est tenu à New York en 2014 et 2015 se trouvaient notamment HSBC, Coca Cola, Monsanto, Proctor & Gamble, Cisco, PricewaterhouseCoopers, Blakstone Group, Goldman Sachs, Exxon Mobile, Microsoft et Hewlett Packard. Moyennant la somme minimum de 250 000 dollars, les chefs d’entreprise présents lors de ces forums jouissent d’un certain nombre de privilèges dont la possibilité de rencontrer les Clinton.

Dans un article d’investigation publié en 2013 dans The New Republic, le journaliste Alec MacGillis décrit ces forums annuels comme un échange complexe par lequel les PDG financent des projets pour pouvoir rencontrer les Clinton. Alec décrit notamment les allers et venues de Douglas Band, ancien assistant à la Maison-Blanche lors de la présidence de Bill Clinton. Son rôle consistait lors de ces événements à accorder des faveurs à certains PDG « en les conduisant sur l’estrade auprès des Clinton, en les faisant passer au travers des contrôles de sécurité ou en leur permettant d’apparaître sur les photos officielles ». En 2012, le PDG de Coca Cola, Muhtar Kent, « a remporté une place de choix sur l’estrade auprès de Bill Clinton », ainsi que l’a rapporté le New York Times.

Les armes et la fondation

Outre la Fondation Clinton, les honoraires de conférences constituent un autre moyen pour les parties intéressées, notamment Citicorp ou Goldman Sachs, d’apporter leur soutien au Clinton sans recourir aux donations directes de campagne. Des données provenant du rapport financier annuel des Clinton, de la Fondation Clinton et des banques même révèlent qu’entre 2001 et 2014, Bill Clinton a perçu 1,52 million de dollars d’honoraires de la part d’UBS, 1,35 millions de la part de Goldman Sachs, 900 000 dollars de la Bank of America, 770 000 dollars de la Deutsche Bank et 650 000 dollars de Barclays Capital. Depuis son départ du département d’État en 2014, Hillary Clinton a perçu des honoraires similaires de la part de ces mêmes entités. Sur près de 10 millions de dollars d’honoraires de conférences perçus en 2013, l’ex-première dame a reçu pas loin de 1,6 million de dollars des principales banques de Wall Street, dont 675 000 dollars de Goldman Sachs (somme qu’a évoquée Bernie Sanders pendant le débat du 17 janvier dernier) et 225 000 dollars versés par chacune des banques UBS, Bank of America, Morgan Stanley et la Deutsche Bank. Les donations colossales des sociétés et des gouvernements étrangers à la Fondation Clinton constituent l’un des aspects les plus étonnants et troublants du Système Clinton. Sans parler de la promptitude avec laquelle Bill Clinton accepte des honoraires à six chiffres de la plupart d’entre eux alors que les intérêts financiers de ces mêmes donateurs dépendent des décisions du département d’État alors présidé par Hillary Clinton.

Une enquête publiée en avril 2015 par Andrew Perez, David Sirota et Matthew Cunningham-Cook dans l’International Business Times révèle qu’entre octobre 2009 et décembre 2012, alors que son épouse était secrétaire d’État, Bill Clinton a reçu en treize occasions des honoraires à six chiffres (pour un total de 2,5 millions de dollars) de la part de sociétés et de groupes commerciaux qui, d’après les fichiers du gouvernement fédéral, étaient engagés dans des activités de lobbying auprès du département d’État. Ces versements comprenaient en 2010 : 175 000 dollars de VeriSign Corporation, exerçant des activités de lobbying auprès du département d’État dans les domaines de la cyber-sécurité et de la fiscalité Internet ; 175 000 dollars de Microsoft, faisant pression sur les pouvoirs publics pour l’émission de visas de travail à l’intention des migrants ; 200 000 dollars de Salesforce, une entreprise engagée dans des activités de lobbying notamment dans le domaine de la sécurité numérique. En 2011, ces versements comprenaient : 200 000 dollars de Goldman Sachs, qui soutenait alors le Budget Control Act, et 200 000 dollars de PhRMA, un groupement de professionnels représentant des compagnies pharmaceutiques, qui œuvrait alors pour obtenir des mesures spécifiques pour le commerce des médicaments élaborés aux États-Unis dans le cadre des négociations du partenariat transpacifique.

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Hillary Clinton est faite secrétaire d’État en janvier 2009
Crédits : Michael Gross

Et en 2012, les paiements incluaient : 200 000 dollars de la National Retail Federation, une association qui faisait du lobbying auprès du département d’État sur la législation pour combattre la manipulation du yuan exercée par les Chinois ; 175 000 dollars de BHP Billiton, qui voulait que le gouvernement protège ses intérêts miniers au Gabon ; 200 000 dollars de la part d’Oracle, qui, comme Microsoft, cherchait à ce que le gouvernement règle le problème des visas de travail et prenne des mesures pour combattre le cyber-espionnage ; ainsi que 300 000 dollars de Dell Corporation, qui faisait pression sur le département d’État pour qu’il se dresse contre les tarifs imposés par les pays européens sur ses ordinateurs. Durant le mandat d’Hillary Clinton en tant que secrétaire d’État, des sociétés du secteur de la défense et leurs clients à l’étrange ont également contribué entre 54 et 141 millions de dollars à la Fondation Clinton. (Du fait que la fondation divulgue une fourchette de valeurs dans lesquelles les contributions de donateurs particuliers pourraient se trouver, seules des estimations des montants minimum et du maximum peuvent être données.) Sur la même période, ces sociétés américaines du secteur de la défense et leurs gouvernements clients à l’étranger ont également versé un total de 625 000 dollars à Bill Clinton pour ses allocutions.

En mars 2011, par exemple, Bill Clinton a reçu 175 000 dollars de la Kuwait America Foundation pour être l’invité d’honneur et conférencier de son gala annuel à Washington. Parmi les sponsors, on trouvait Boeing et le gouvernement du Koweït, à travers son ambassade de Washington. Peu avant, le département d’État, sous la régence d’Hillary Clinton, avait autorisé un contrat de 693 millions de dollars pour doter le Koweït d’un appareil de transport militaire Globemaster, de chez Boeing. En tant que secrétaire d’État, Hillary Clinton avait l’obligation légale de décider si les propositions de contrats d’armements avec des gouvernements étrangers étaient dans l’intérêt des États-Unis.

Le soutien de Clinton à la nomination du Kazakhstan était pour le moins étrange.

Des recherches plus poussées de Sirota et Perez, de l’International Business Times, basées sur les données du gouvernement américain et de la Fondation Clinton révèlent que durant son mandat, le département d’État a autorisé 165 milliards de dollars ventes commerciales d’armes à vingt nations qui avaient donné de l’argent à la Fondation Clinton. Elles incluent les gouvernements d’Arabie saoudite, d’Oman, du Qatar, d’Algérie, du Koweït et des Émirats arabes unis, qui ont tous été vertement critiqué pour leur non-respect des droits de l’homme par le département d’État lui-même. Durant les années qu’Hillary Clinton a passé en tant que secrétaire d’État, les ventes d’armes accordées aux pays ayant fait des dons à la Fondation Clinton ont quasiment doublé de valeur, comparé à celles accordées aux même nations durant le second terme de George W. Bush. Il y a eu également 151 milliards de dollars d’armement vendu à 16 nations qui avaient donné des fonds à la Fondation Clinton ; ces contrats étaient organisés par le Pentagone, mais ils n’auraient pas pu arriver à leur terme sans l’autorisation de Clinton en tant que secrétaire d’État. La valeur de ces contrats représente près d’une fois et demie la valeur des ventes équivalentes effectuées durant le second mandat de Bush.

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Traduit de l’anglais par Audrey Previtali et Nicolas Prouillac d’après l’article « The Clinton System », paru dans la New York Review of Books. Couverture : Hillary et Bill Clinton. Création graphique par Ulyces.


DE LA COLOMBIE AU KAZAKHSTAN : LE BUSINESS LUCRATIF DE LA FONDATION CLINTON

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