La pépinière

Vous avez débuté l’aventure dans une pépinière d’entreprises. Quelle est l’ambiance dans ces lieux ? Avez-vous senti une émulation avec les autres boîtes ou pas du tout ?

Franchement, non. La pépinière, c’est très bien parce que nous avons effectivement une aide. Les locaux ne sont pas chers, on arrive sans avoir à s’occuper de tout un tas de merdes très chiantes quand on monte une boîte et que l’on veut lancer un produit : s’occuper de la sécurité incendie, être en accord avec toutes les réglementations… La pépinière, c’est carré. Il y a des toilettes, une cafétéria, des extincteurs. Cela a l’air de rien, mais c’est vachement pratique. Et puis c’est une assurance pour tout un aréopage d’interlocuteurs. Les assureurs pour les locaux, une pépinière, c’est carré pour eux. Après, l’émulation entre entrepreneurs dans une pépinière… Nous n’étions pas dans la bonne ambiance. C’était très web 2.0… quand on discutait deux minutes à la machine à café avec un type, la plupart du temps on se regardait et on faisait… (Il grimace.)

On s’aperçoit que c’était bien le boxon au commencement quand on lit votre frise. Est-ce que la stabilité financière est venue petit à petit, ou y a-t-il eu une décision précise qui vous a amené à celle-ci ?

Les deux mon général. En gros, nous sommes partis avec un capital qui nous a permis de durer trois ans. En vendant très peu. Au bout de deux ans nous nous sommes aperçus que nous allions manquer de cash pour pouvoir continuer alors que les clignotants étaient au vert. Simplement, nous avions un problème de trésorerie récurrent comme toutes les petits boîtes. On manquait de moyens. Au bout de deux ans, il nous manquait les 18 mois de perspective qui permettaient de dire « on a assez d’argent pour arriver à l’équilibre ». Donc on a commencé à chercher de l’argent, c’est ce qu’on raconte dans la frise de façon humoristique.

« Notre postulat de base pouvait s’énoncer ainsi : “Joystick a été racheté, neuf personnes sur dix sont parties, donc le Joystick qui va exister, ce n’est plus Joystick.” »

Tout le monde nous disait non, évidemment. Cela s’est quand même amélioré au fur et à mesure des trois ans, mais il y a deux éléments qui ont été critiques. D’une part un apport de capital. Nous avons convaincu deux actionnaires qu’on connaissait de venir nous rejoindre sur des parts minoritaires : Materiel.net et Gandi, simplement parce qu’ils aimaient bien le projet. L’intérêt, c’est qu’ils amenaient un peu d’argent et aussi un support. Parce que nous, on était journalistes, on n’est pas des entrepreneurs, donc on a un peu appris sur le tas. C’était cela : avoir des mecs qui étaient sur le net dans deux domaines complètement différents, mais avec des logiques bien spécifiques, capables de nous dire « là c’est bien, là vous allez faire une connerie ». Ils nous conseillaient, mais surtout ils nous remontaient le moral. Cela c’était très important. Cela nous a permis de passer un cap. Et la grosse décision, celle qui a fait basculer Canard PC, c’était d’abandonner le rythme hebdomadaire et de passer bimensuel, comme on l’est aujourd’hui, parce que cela fait des économies énormes au niveau de l’impression, des coûts de distribution. Et puis cela a augmenté les ventes, de fait : on avait plein de gens qui nous achetaient une fois ou deux fois par mois, donc il y avait énormément de pertes sur le lectorat, alors que le fait d’être en vente 15 jours, cela augmentait mathématiquement les ventes de chaque numéro. Plus nous sommes en vente longtemps, plus nous vendons. Il y a une équation. Cela a dramatiquement amélioré les choses d’un point de vue financier. La société a commencé à faire des bénéfices, ou à être à l’équilibre, je dirais, en 2008 ou 2009. Elle n’avait pas de dettes pour autant. Nous n’avons jamais eu de dettes, à part vis-à-vis des actionnaires. Bon, six ans après hein ! (Rires.)

Vous mentionnez 99 % d’invendus pour le premier numéro de Canard PC, est-ce un vrai chiffre ?

C’est à peine exagéré. C’était supérieur à 90 %.

En principe, un premier numéro, cela profite de ce qu’on appelle une bulle de curiosité et là, vous ne l’avez pas eue du tout. Comment l’expliquez-vous ?

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WarGames, de John Badham, 1983
Crédits : United Artists

Nous sommes en 2003 quand nous nous lançons. Facebook, c’est 2004. Twitter, c’est 2006. Donc le seul moyen de se faire connaître à cette époque-là, c’est soit de faire de la pub – nous avions décidé dès le début que nous n’en ferions pas : nous avons gardé tout l’argent que nous avions pour tenir le plus longtemps possible sans faire de promo. Soit c’est Internet, mais Internet, c’est relativement balbutiant sur le jeu vidéo. Jeuxvideo.com c’est 2000, Gamekult deux ans avant. Nous les connaissions bien, nous avons profité de leur forum pour faire un peu de retape. Mais il n’y avait aucun moyen de se faire connaître gratos comme aujourd’hui. Aujourd’hui, si je devais monter un magazine papier, je ferais les choses très, très, très différemment. Et puis on vivait dans une espèce d’inconscience crasse qui disait à peu près : « Nous sommes l’ancienne équipe de Joystick, Joystick cela vendait encore à l’époque 80 000 exemplaires, c’est bien le diable si on n’arrive pas à convaincre un mec sur dix de venir nous voir ! » Donc nous avons vécu là-dessus, et la chute a été rude.

Quand on monte un magazine, on postule que ce qu’on va écrire n’existe pas ou plus, pour ne pas faire de doublon. Quel était au départ votre postulat de plus-value à la création de Canard PC par rapport à ce qui existait en 2003 ?

Du point de vue éditorial, notre postulat de base pouvait s’énoncer ainsi : « Joystick a été racheté, neuf personnes sur dix sont parties, donc le Joystick qui va exister, ce n’est plus Joystick. Joystick c’est nous. » Donc oui, nous cherchions à faire quelque chose qui n’existait pas, puisqu’il n’y avait plus personne pour faire ce qu’on faisait avant. Et c’était quand même très particulier Joystick à l’époque ! Donc il y a cela, et il y a le « on va le faire encore plus libre et encore plus con » puisqu’on n’a plus au-dessus de nous Hachette qui, quand même, tempérait un peu les choses. Voire Disney Hachette Presse. Et dans Disney Hachette Presse, il y a Disney. Voilà la promesse : nous allons être complètement libres de faire ce que nous voulons, sur le ton qu’on veut, etc. Et puis cela part aussi d’un constat : en 2003, c’est déjà un peu la guerre entre le papier et Internet, notamment sur le jeu vidéo et la presse informatique qui a été le premier secteur vraiment attaqué par le numérique. C’est déjà la baston, et on ne sait pas encore qui va gagner : Gamekult, surtout eux, font beaucoup bouger les choses, ils secouent dans tous les sens, notamment les relations avec les éditeurs, le fait qu’ils ne reçoivent pas les jeux, qu’ils n’ont pas le droit de publier leurs articles dans les temps, etc. Cela commence un peu à tirailler dans tous les sens, et on se dit : entre le mensuel et le web, il y a un écart qui est énorme. On va donc se mettre entre les deux, et on va avoir le temps de proposer de l’éditorial comme on sait le faire, mais sur une parution suffisamment fréquente pour que cela intéresse les mecs qui sont déjà sur le web. En 2003, c’est cela qu’on imagine. En 2004, ça y est, le web a gagné. (Rires.)

Et c’est toujours la même chose aujourd’hui ? Ressentez-vous qu’il y a eu une évolution dans la ligne éditoriale, le contrat de base ?

Sur le contrat de base, je ne crois pas. C’est cela le postulat de base : la périodicité, et l’équipe éditoriale. Ils sont indépendants, ils sont marrants et ils sont cons. Voilà. Après, le magazine a évolué. Nous n’écrivons plus comme nous écrivions il y a dix ans, et heureusement. Le secret de la longévité d’un magazine, c’est d’arriver à renouveler les équipes sans tout changer. On en connaît plein, des journaux qui ont eu une espèce d’heure de gloire de trois, quatre ans où il y avait des équipes formidables, qui faisaient un truc extraordinaire. Et puis au bout d’un moment, on ne sait pas pourquoi, quelquefois, c’est juste une personne qui se casse, et tout se défait. C’est cela le gros défi quand on est une équipe rédactionnelle.

« Nous avons fait pas mal de conneries. La principale je pense, c’était de croire que parce qu’on savait faire un magazine, on pouvait lancer un magazine. »

Et là, l’équipe, nous en sommes quasiment à la troisième. Il y a eu celle des fondateurs, il y a eu une deuxième équipe dont presque tous les gens sont partis et je pense que le magazine a bien sûr évolué. Ce n’est pas uniquement une question éditoriale, c’est aussi une question de format et de produit. Il est passé d’un truc en papier journal de 32 pages, à un magazine un petit peu plus qualitatif en 80 pages. Mais sur le fond, sur le contrat de base, non, il n’a pas changé, dans un milieu où il y a quand même beaucoup de problèmes…

En parlant de problèmes, vous avez qualifié la première partie de l’histoire de Canard PC d’ « héroïque ». Ces ennuis ont duré quatre ans, a posteriori, pensez-vous que c’est normal pour une rédaction d’avoir ennui sur ennui pendant une si longue période ? Avez-vous fait des mauvais choix ?

Nous avons fait beaucoup d’erreurs. Mais je ne sais pas si c’était des erreurs évitables. J’ai l’impression que les gens qui se sont lancés récemment, VideoGamer ou JV Le Mag sont bien meilleurs que nous dans la gestion d’un truc clé, qui est la distribution. J’ai l’impression qu’ils ont beaucoup moins de mal à être trouvés en kiosque que nous. Nous, nous avons mis presque trois ans à comprendre comment cela fonctionnait, à se retrouver avec des résultats aberrants, à ne pas savoir du tout d’où cela venait, etc. Donc on a fait pas mal de conneries. La principale je pense, c’était de croire que parce qu’on savait faire un magazine, on pouvait lancer un magazine. On ignorait quasiment tout de la façon dont la distribution se passait. On ignorait beaucoup de choses de la fabrication. Nous n’étions pas du tout entrepreneurs. Nous ne savions pas nous vendre. Les difficultés sont dues au fait, qu’aussi, on lançait un magazine qui a été vu assez rapidement avec antipathie par le milieu.

Pourquoi ?

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Ally Sheedy et Matthew Broderick dans WarGames
Crédits : United Artists

Parce que nous ne mâchions pas nos mots. Nous ne le faisions pas tellement à Joystick non plus, mais le problème à Joystick c’est que nous étions leaders, donc tout le monde était un peu obligé de passer sous nos Fourches Caudines. Là, d’un coup, nous devenions le petit challenger dans son coin, et personne ne s’est gêné pour nous marcher dessus. Et puis nous avons fait un truc qui avait, l’air de rien, foutu pas mal de boxon : nous étions hebdo, donc nous avions cinquante couvertures à remplir par an. Le système qui était installé avant cela – et ce dont on voulait se sortir –, c’était le système de négociation permanente sur les couvertures de magazines avec les éditeurs. C’est-à-dire que dans l’ère pré-Internet, ce qui faisait vendre les magazines, c’était le CD qui était vendu avec, avec les démos des jeux qu’il n’y avait aucun moyen d’avoir autrement. Et souvent, le deal habituel, à Joystick en tout cas, cela disait : « Ce jeu est prometteur, il nous plaît bien, nous passons un accord avec l’éditeur, nous faisons la couv’ sur ce jeu moyennant quoi l’éditeur s’engage à nous filer la démo exclusive. » C’était le deal de base des années 1990. Sauf que, quand on est Joystick et qu’on fait un peu ce qu’on veut, cela va. Mais quand il y a trois ou quatre magazines qui se battent pour avoir le même deal, fatalement cela devient un sac de nœuds. Il y a des traîtrises, il y a des gens qui font de la surenchère, qui vendent leur édito pour avoir le truc, cela devient compliqué. Et nous, nous avions bien vu à l’époque qu’Internet allait fracasser tout cela. Que cela résistait, parce que les magazines papier étaient encore assez puissants. Donc les éditeurs hésitaient à s’attirer les animosités, notamment vis-à-vis de Gamekult qui bougeait beaucoup, et qui râlait beaucoup sur le fait que la presse papier lui mettait des bâtons dans les roues – ce qui était tout à fait exact. Et donc nous, nous voulions sortir de ce système, faire comme la presse traditionnelle. Un truc nous plaît ? C’est l’actualité de la semaine ? Eh bien nous faisons la couv’ dessus. On ne demande ni oui ni merde à personne, et on ne demande rien en échange non plus. Il n’y a pas un seul deal sur Canard PC, puisque nous n’avons rien à proposer. Qu’est-ce qui pourrait nous intéresser chez l’éditeur ? Certes, un reportage que les autres n’ont pas. Mais sur une semaine de parution ? Nous nous en fichions. Nous prévenions : « Ah au fait je te le dis, dans trois jours la couv’ de Canard PC c’est ton jeu. » Et cela foutait le bordel !

Parce que cela sortait du plan com des éditeurs.

Voilà, nous sortions de leur plan com, ce n’était pas dans leurs habitudes. Théoriquement c’est tout bénef. Sauf quand on faisait des couv’ négatives. (Rires.) Et puis, sauf quand ils avaient déjà dealé une exclu avec un autre magazine, ce qu’on ignorait parce qu’on ne posait pas la question, on ne voulait surtout pas le savoir ! Et l’autre magazine se retrouvait à sortir, avec Canard PC qui était sorti parfois une semaine ou deux semaines avant, avec sa couverture sur le même jeu. Et cela aussi cela allait contre les habitudes, cela faisait râler. Donc nous ne nous sommes pas fait que des amis. Heureusement nous étions des vieux de la vieille, nous connaissions bien le milieu, donc il y avait toujours moyen de rattraper les choses. Et puis les gens nous faisaient confiance par rapport à des gens qui auraient débarqué de nulle part.

« C’est pour cela que Canard PC a été monté sur un business model qui comprenait une part de pub négligeable. C’est juste parce que nous n’avions pas la compétence. »

Par contre nous étions un peu des trublions, et donc en matière commerciale, c’était extrêmement difficile, et cela l’est toujours. C’est d’ailleurs l’un des éléments critiques de ce milieu en ce moment : la question de la pub. Nous n’étions partis avec personne qui savait vendre, ou qui était commercial dans l’équipe. De ce fait on s’était dit : « Nous ne pouvons pas faire reposer un élément important du business plan de la boîte sur une compétence que nous n’avons pas. » C’est pour cela que Canard PC a été monté sur un business model qui comprenait une part de pub négligeable. C’est juste parce que nous n’avions pas la compétence. Si parmi nous, il y avait eu un commercial de formation, peut-être qu’on aurait fait autrement. C’était une évaluation des atouts que nous avions, et construire un magazine et un business autour qui tiennent compte de ce que nous savions faire.

Et allez-vous mieux depuis six ans ?

Oui on va beaucoup mieux. Cela fait quatre ou cinq ans qu’on est à l’équilibre, qu’on dégage de petits bénéfices. Dès qu’on a un peu de marge, on augmente les salaires, parce qu’on partait vraiment de très, très bas ! Ou on embauche des gens. On était cinq au départ, aujourd’hui il y a une quinzaine de personnes qui vit du magazine. Nous avons les moyens de travailler ailleurs que dans une cave, on n’en est plus à se demander comment payer les salaires dans six mois si tel ou tel numéro ne marche pas. Alors cela reste une toute petite boîte avec un chiffre d’affaires qui est modeste – de mémoire c’est 1,5 millions annuel. Mais c’est des bases assez saines, on n’a pas de dettes et puis on a une liberté quasi totale. Les seules contraintes qu’on a, ce sont des contraintes économiques. Je ne les sous-estime pas, mais au jour le jour, nous faisons ce que nous voulons faire.

Vous avez donc préféré augmenter les salaires plutôt que distribuer des dividendes ?

Il y a jamais eu de dividendes à Presse Non-Stop et je ne suis pas sûr qu’il y en ait un jour parce que ce n’est pas dans notre philosophie de l’actionnariat.

Les actionnaires sont d’accord avec cela ?

Les actionnaires, ce sont les cinq fondateurs, qui étaient tous journalistes, dont trois sont encore dans la société. Et puis nos deux autres actionnaires sont tout à fait d’accord avec cela. Cela faisait partie du contrat initial et de l’état d’esprit dans lequel ils sont venus dans la société.

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John Wood dans WarGames
Crédits : United Artists

Grand Maître B. et la justice

Vous avez un avocat à la rédaction, qui écrit. C’est devenu nécessaire rapidement pour assurer vos arrières ou vous l’avez engagé pour un fait précis ?

Non. Cela s’est fait de façon plus idiote. Un des gros avantages de Canard PC, c’est que nous avons suscité des sympathies quasi désintéressées. C’est le cas de nos deux actionnaires. C’est le cas aussi de notre avocat qui aimait bien le journal et s’est proposé un jour de faire des chroniques juridiques sur le jeu vidéo. Il a commencé comme cela, en faisant des chroniques à l’œil, juste parce que cela l’amusait. Et comme il se trouve que ses compétences correspondent à un certain nombre de besoins que l’on peut avoir de temps en temps, à savoir l’économie numérique, le droit de la presse : il nous a représenté en une occurrence extrêmement importante qui est le procès que nous avons eu à la suite de l’affaire Heden/PCA. Pour mémoire c’est un constructeur-importateur d’alimentation de PC qui était très, très fâché : on avait montré que ses alims ne respectaient pas un certain nombre de normes et se mettaient même à flamber.

« Il nous demandait des sommes faramineuses, et il était très, très déterminé. Et comme souvent dans l’histoire de Canard PC, il a totalement sous-estimé notre idiotie. »

Il nous a donc attaqué avec la certitude qu’on plierait puisqu’il avait, à la suite de la parution de notre papier, envoyé des lettres comminatoires à tout ce qui se faisait dans le web pour empêcher la reprise de nos résultats. La plupart se sont exécutés. Il était persuadé qu’on allait retirer notre affaire, vu que, s’il gagnait, il coulait la boîte. Il nous demandait des sommes faramineuses, et il était très, très déterminé. Et comme souvent dans l’histoire de Canard PC, il a totalement sous-estimé notre idiotie. Et donc on a décidé que non, si on devait couler là-dessus, eh bien ce serait bien en accord avec ce qu’on faisait. Nous étions par ailleurs certains que le test était sérieux. Nous étions certains que ce qu’on avait dit valait la peine d’être dit. Donc nous avons été jusqu’au bout. Et là-dessus, Grand Maîre B. nous a représenté.

Vous avez gagné récemment d’ailleurs.

Nous avons gagné une première fois. Le constructeur a fait appel. Le jugement a été un petit peu plus modéré : c’est-à-dire que le juge nous reprochait un ou deux termes, donc il a un petit peu partagé les responsabilités. Mais oui, il n’a obtenu ni le retrait de l’article, ni les sommes qu’il demandait. Le jugement confirme que l’article est sérieux, journalistique, pas attaquable. C’est ce qu’on souhaitait.

Qu’en est-il de votre relation avec les éditeurs ? Êtes-vous fâchés avec certains d’entre eux ?

C’est une question compliquée. Nous ne sommes jamais fâchés très longtemps. C’est rare. Il y a des éditeurs qui se fâchent parce qu’ils considèrent qu’on traite mal leur jeu. Et puis le jeu suivant est bien, on le traite bien et ils sont un petit peu moins fâchés. Et puis le jeu d’après est très mauvais, on le traite très mal, et donc ils sont à nouveau fâchés. Tout cela fait partie du cycle normal des relations. Fâché, fâché, cela dépend ce que cela veut dire ! On parle de blacklistage : c’est arrivé, cela arrivera encore. Et cela dure le temps que cela dure. Il y a des éditeurs qui ont cessé de nous inviter à tous leurs événements, parfois pendant longtemps. Il y a des éditeurs qui ont cessé, ou qui n’ont jamais investi en pub dans le magazine. Cela dure encore.

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Matthew Broderick dans WarGames
Crédits : United Artists

Après, nous sommes obligés d’avoir une relation avec les éditeurs pour une raison très simple : on pourrait imaginer un monde parfait où les journalistes attendraient la sortie du jeu, l’achèteraient, feraient leur test, publieraient leur article, et n’auraient absolument aucun besoin d’être en contact avec les éditeurs du jeu. Sauf que cela veut dire concrètement que lorsque le jeu sort, on l’achète. Si c’est un gros jeu, il faut une petite semaine pour tester. Si cela ne tombe pas bien, il faut deux semaines pour que le magazine sorte. Donc cela veut dire que le test sort trois semaines après la sortie du jeu. En gros, nous avons laissé totalement libre cours à la communication de l’éditeur, et le gars qui était intéressé par le jeu, si dans les trois premières semaines, il ne l’a pas acheté, c’est qu’il n’était pas vraiment intéressé. Quand le test sort, il ne sert plus à rien. C’est le même principe que pour la critique cinéma. Il y a des projections presse, pour que les articles puissent sortir – ou pas d’ailleurs – au moment où les films sortent. Parce que c’est à ce moment-là que le client, le lecteur, l’auditeur a besoin de son information. Pas une semaine après. Parce que c’est le mercredi soir qu’il veut regarder son film. Ou le samedi. Dans le jeu vidéo on a le même problème, un peu accentué à cause de la timeline qui est très étirée, parce que ce n’est pas deux heures de film, c’est parfois vingt heures de jeu. Cela, c’est le cadre obligatoire. Alors après, il arrive que les éditeurs n’envoient pas les jeux, nous les achetons en magasin, et nous sommes en retard. Et alors ? Une fois de temps en temps c’est pas grave. Les relations sont là. Il y a des éditeurs avec qui cela se passe bien, d’autres avec qui cela se passe moins bien. Il y a des gens qui sont très sympas avec qui on ne travaille jamais parce que ce n’est pas possible. Et puis il y a des gens qui ne sont pas sympas et avec qui on travaille tout le temps parce que c’est comme cela. C’est d’autant moins grave, maintenant que le grand n’importe quoi se passe sur le web, et que Canard PC a une aura, une réputation et un cercle de lecteurs fidèles qui savent que si le test n’est pas sorti au moment où le jeu est sorti… c’est qu’il y a un petit problème. (Il sourit.) Et donc ils attendent un peu. Et puis nous arrivons derrière avec quelque chose d’un peu plus analytique.

Quel est ce grand n’importe quoi que vous évoquez ?

C’est compliqué, parce que les raisons sont structurelles. Mais aujourd’hui, pour un site web, il n’y a pas d’autre solution qu’être à l’heure T, à la minute M et à la seconde S sur la sortie d’un article ou d’un test. Parce que les premiers arrivés sur le net sont les premiers servis, à cause de Google, à cause du référencement et à cause des lecteurs qui sont très volatiles. Donc celui qui sort son test en premier, c’est celui qui rafle le maximum d’audience… et il a besoin de cette audience et de son nombre de pages vues pour vendre ses bannières. Donc les sites se livrent une espèce de concurrence effrénée pour sortir leur test le premier, exactement à l’heure dite. Et faire 15 000 news par jour, parce que c’est celui qui fait le premier la news en question qui va ramasser l’audience sur cette news, et qu’après, cela ne vaut plus rien.

« Les sites internet ont l’œil rivé sur l’audimètre de leur site et il faut absolument que cela monte, et que cela monte… et on juge les articles en fonction du nombre de clics. »

Donc ils ont une pression énorme qui est la pression de l’audimat de la télé des années 1990.  Ils ont l’œil rivé sur l’audimètre de leur site et il faut absolument que cela monte, et que cela monte… et on juge les articles en fonction du nombre de clics et du nombre de pages vues, etc. Donc cela annihile toute tentative de prendre son temps, de sortir des articles un peu réfléchis. Ils sont très contraints.

Que faudrait-il ? Avoir beaucoup plus de sites qui publient le test d’un jeu avant l’heure dite ?

Ils sont morts s’ils font cela. Ils vont gagner à être le premier sur un coup, et tout le reste de l’année, ils sont morts. C’est vraiment pas possible. De toutes façons, par principe, si vous signez un NDA, vous le respectez. C’est un contrat, un accord.

Même si sa valeur juridique reste contestable en France ?

Oui. Peu importe la valeur juridique. Un NDA, pour moi, cela a autant de valeur par écrit sur un texte anglais, que par oral au téléphone. Si je dis à quelqu’un : « Okay, je vois ton truc, mais je le publie pas avant le lundi 2 décembre », je le respecte. Ou alors je lui dis : « Non, je ne suis pas d’accord. » Après, avec les NDA, il y a des choses vraiment très, très rigolotes – plus dans le matos, mais il n’y a pas de raison que cela ne vienne pas au jeu vidéo un jour ou l’autre : les constructeurs font signer des NDA qui dépassent la date de sortie du produit. Donc le gars qui signe le NDA est coincé, et ceux qui n’ont pas signé voient le produit sortir, l’achètent, et en parlent avant lui. Cela devient absurde.

Le nouveau magazine JV a pris le parti de ne pas noter les jeux qu’ils testaient. Les notes, est-ce que cela reste toujours un système de mesure pertinent ?

Nous avons eu une philosophie variable. L’équipe des fondateurs est issue de Joystick qui, à une époque, notait sur 100. Et donc, au point près, c’était des discussions à n’en plus finir pour savoir si tel jeu devait avoir 94 ou 95, sachant que nous faisions toutes les archives du journal depuis trois ans pour dire : « Tel autre a eu 95 est-ce que c’est mieux ou pas ? Oui mais non il faudrait mettre 1 point de plus, 1 point de moins que celui-là. » Bref c’était n’importe quoi. Donc nous sommes passés à une note sur 10 dès le début pour simplifier. Au bout d’un moment on aurait bien voulu se séparer de la note, et puis les lecteurs y étaient quand même vachement attachés. Nous avons envisagé plusieurs hypothèses délirantes, et puis nous sommes revenus là-dessus, puisque finalement, la note, c’est quand même la sanction. Et même si cela a un côté scolaire, nous, de notre point de vue, c’est faire le jeu des éditeurs de ne pas mettre de note. JV Le Mag, je trouve qu’ils font beaucoup de choses intéressantes, je comprends le point de vue, mais ne pas mettre de notes, c’est la garantie de ne pas avoir de problèmes.

Parce que l’éditeur ne lit que la note.

Exactement. Enfin, l’éditeur… Ce n’est même pas l’éditeur, c’est la boîte de com, ou le distributeur qui fait ses rapports à l’éditeur. Il fait des condensés, il veut des notes, il veut du Metacritic. Un article où il n’y a pas de note, il peut très bien l’ignorer, ne pas en faire état si cela ne l’arrange pas. C’est la garantie de ne pas avoir de soucis. Nous, on ne pense pas que le jeu vidéo soit un art, donc on ne voit pas pourquoi ce ne serait pas noté. Et puis… JV Le Mag fait des notes, il y a des petits bonhommes… Mais pour nous, autant à une époque nous avons hésité, autant aujourd’hui, avec ce fonctionnement du marché, ces relations que nous avons avec les éditeurs, nous tenons beaucoup à la note. Quitte à s’en moquer régulièrement, pour montrer que c’est quand même le texte qui est important ! Finalement, il faut quand même un truc synthétique qui dise « c’est bien, c’est pas bien » pour telle ou telle raison.

Steam et le dématérialisé

Est-ce que vous croyez que la plateforme de téléchargement Steam a bouleversé la portée du test ? Ils ont lancé une mécanique d’achat qui fait que les gens n’attendent plus le jour de la sortie, mais un an pour que le jeu soit à quatre ou cinq euros. Est-ce que le test perd en pertinence avec ce système-là ?

« On ne peut pas noter de la même façon un produit qui vaut 70 euros et un jeu qui en vaut cinq ou dix. Cela n’a pas de sens. »

Je n’en ai pas l’impression. Au contraire. Au moment où l’on se dit « ah, tel jeu est en soldes à quatre euros, cela vaut quoi déjà ? », on n’a qu’à regarder le test paru plusieurs mois avant. En plus nous, dès le début, nous avions brisé une autre façon de faire des mensuels de l’époque, qui ne testaient pas en fonction du prix. Nous avons vu arriver le changement quand Steam s’est lancé quasiment en même temps que Canard PC. Nous nous sommes dits qu’il se passait un truc, avec les jeux indépendants notamment. Or, on ne peut pas noter de la même façon un produit qui vaut 70 euros et un jeu qui en vaut cinq ou dix. Cela n’a pas de sens. Donc on s’est mis très vite à noter en fonction du prix, aussi, et à l’indiquer clairement. Du coup, par rapport à ce que vous dites sur Steam, on est raccords.

Aujourd’hui vous vous appelez toujours Canard PC et vous sous-titrez désormais « le magazine du jeu vidéo PC et Consoles ». Est-ce un paradoxe ou une obligation ? Est-ce que la position d’un militantisme pro telle ou telle plateforme a encore du sens aujourd’hui ?

Oui et non. Cela en a beaucoup moins qu’avant. Parce que la génération précédente de consoles a quand même pas mal bouleversé le système, et fait que les grands hits aujourd’hui, les blockbusters, sortent sur toutes les plateformes. Du coup le fait d’être arc-bouté sur le PC, pour tout un pan de l’industrie et des jeux les plus populaires, cela n’a plus tellement de sens. Ensuite, il y a eu une montée des indés aussi sur console, du coup il y avait aussi plus de jeux qui nous intéressaient, bizarres, ambitieux du point de vue du gameplay, mais que les magazines classiques ne traitaient pas bien. On se disait que c’était dommage de ne pas le faire. Après, il y a toujours eu de la console dans Canard PC. Dès le premier numéro. Mais on s’est dit qu’il fallait sauter le pas, vraiment essayer de trouver une manière de faire qui soit la nôtre. Qui ne soit pas, comme on faisait avant, « le joueur PC qui regarde la console », mais une façon de traiter la console qui soit en accord avec les lignes directrices que nous avons sur PC. C’était d’abord trouver les bonnes personnes. Et puis c’était une question d’opportunité, d’avoir les moyens financiers de rajouter des pages pour que cela ne prenne pas des pages à nos lecteurs qui auraient hurlé. Que cela en rajoute sans augmenter le prix. Il fallait être assez costaud, c’est pour cela aussi qu’on ne l’a pas fait avant. Il ne faut jamais oublier que c’était 64 pages. Nous avons rajouté 16 pages pour faire la console, cela n’a rien coûté à personne, le prix n’a pas changé.

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Le NORAD (North American Aerospace Defense Command) dans WarGames
United Artists

Mais il y a toujours aujourd’hui une pertinence à s’occuper du jeu PC stricto sensu. Il ne faut pas oublier que Steam a sauvé le jeu PC. Il y a des jeux qui sont des jeux PC, qui demandent un clavier et une souris. Mais les deux peuvent très bien cohabiter. Moi, je pense, et la plupart de nos lecteurs aussi visiblement parce qu’on a des bons retours, que le fait d’intégrer la console, cela a un peu redynamisé le journal, cela nous a permis de sortir du trip PC œillères qui menace tout le temps. Parce qu’à force de rester concentré sur un seul sujet assez pointu, il y a le risque de ne pas voir ce qui se passe ailleurs. Et cela correspond tout à fait à l’état du marché du jeu vidéo.

Il y a aussi le fait que les consoles deviennent de plus en plus des PC.

Sur cette génération-là, c’est flagrant, au point qu’il est plus facile de jouer sur PC que sur ces nouvelles merdes. (Rires.) Je suis scandalisé par ce qu’ils font. On va voir comment cela va tourner, mais aujourd’hui il est plus simple d’installer un jeu sur ton PC que de l’installer sur console. Parce que, déjà, aujourd’hui, on achète la console, on la branche chez soi, elle ne marche pas. Il faut 1,3 Go de patch pour la Xbox One, 500 Mo pour la PlayStation 4, c’est juste hallucinant ! Et les jeux sont sur CD, mais il faut les installer, ils font 60 Go chacun, alors que le disque dur fait 500 Go… Ils marchent sur la tête.

Sur votre frise vous évoquez aussi les dessous de « l’affaire Söldner » : la grande époque du jeu offert en bundle avec l’abonnement est-elle donc révolue ?

Non, ce n’est pas révolu en soi. Quand on a une opportunité, qu’un jeu est vraiment bien, et qu’on peut trouver un accord avec l’éditeur sur le prix du jeu qui permettrait à nos lecteurs de bénéficier d’un truc intéressant, je ne vois pas pourquoi on se priverait.

« Les accords d’abonnement, cela ne rapporte rien d’autre que des abonnements si cela marche. »

Est-ce que cela rapporte vraiment aux magazines ?

Les accords d’abonnement, cela ne rapporte rien d’autre que des abonnements si cela marche. Le principe, c’est qu’on achète prix de gros à l’éditeur un certain nombre de jeux qui font partie de l’offre d’abonnement, et le prix de l’offre est calculé de façon à ce qu’elle accorde une grosse réduc pour le lecteur par rapport au prix normal de l’abonnement. Pour l’éditeur, d’une certaine manière, c’est de la promo pour son jeu. C’est cela le deal : un échange de bons procédés. Ce ne sont pas sur les deals de jeux avec abonnement que se font les magouilles. Ce n’est pas cela le problème.

Quel est le problème ?

C’est tout le reste. C’est tout ce qui n’est pas visible. Ce sont tous les papiers de quatre pages avec zéro infos dedans. Là, pour les lancements des consoles, c’était quatre pages sur l’arrivée de la PlayStation 4, photographiée sous toutes les coutures, alors que la console, c’était un truc vide, parce qu’il n’y avait pas de console en France. Pareil pour la Xbox One. Dix minutes de vidéo à comparer, à mesurer, alors que c’est un truc vide, qu’il n’y a rien dedans. Donc on ne les pèse pas évidemment, sinon cela se voit. Donc voilà, même si ce n’est pas dealé, c’est un problème journalistique énorme. C’est de l’info qui n’a pas d’intérêt, c’est de la communication. C’est faire le relais de la com de l’éditeur en pensant que cela a un intérêt pour les lecteurs.

Numérisation de la presse

Suivez-vous la presse JV internationale à Canard PC ? Avez-vous remarqué de grandes différences dans la qualité de la presse d’un pays à l’autre ?

On la suit assez peu pour être tout à fait honnête. En Europe, les deux presses papier qui sont encore vigoureuses, c’est l’anglaise et l’allemande. Les Allemands, nous ne suivons pas du tout. Les Anglais, on sait très bien comment cela marche…

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Ally Sheedy, Matthew Broderick et John Wood dans WarGames
Crédits : United Artists

Quels sont les sites que vous suivez ?

Je trouve qu’il y a une énorme dégradation de la qualité rédactionnelle des sites. Il y a une époque – au siècle dernier malheureusement – où il y avait deux, trois sites américains qui se lançaient et qui faisaient des trucs formidables. Je pense à la première version de Gamespot. Aujourd’hui ils se sont entrebouffés. Je fondais un peu d’espoir sur Polygon mais ils font n’importe quoi. Ils se sont un peu ridiculisés sur au moins deux affaires, dont Sim City.

L’affaire du changement de note ?

Oh la la… la honte, la honte ! Donc bon, nous les suivons, nous faisons une espèce de veille d’actu parce que évidemment ils sont mieux placés que nous pour avoir des entrées chez les éditeurs, ils ont souvent des trucs un peu en avance, donc cela permet de savoir où est-ce qu’il faut téléphoner. (Rires.)

C’est juste une base de données. Et les sites français ?

Netsabes, un membre de la rédaction, est un des fondateurs de NoFrag, donc oui. On se compare, on regarde quand même ce que font les confrères… (Il fait une pause.) Je trouve que la façon dont a évolué Jeuxvideo.com depuis un ou deux ans est intéressante. Ils ont un peu durci leur jeu, donc c’est pas mal, et puis il y a le fait d’avoir recruté des gens qui font de la vidéo et qui font des choses intéressantes. Gamekult, ce sont des gens avec qui nous avons quand même pas mal en commun sur la façon de travailler. Donc nous allons voir aussi ce qu’ils font, quitte à ne pas être d’accord sur telle ou telle note. Le truc c’est que l’on reste assez PC, et que notre approche de la console est quand même assez différente de celle des autres sites. Et puis nous n’avons pas d’impératif d’audience à court terme. C’est vrai que nous, ce qui nous intéresse plus, ce sont des articles un peu plus analytiques, plus longs, ce qu’on fait par exemple dans le cadre d’Arrêt sur Images. C’est quelque chose qu’on développe beaucoup depuis un an. Et je pense que, pour nous, en tant que magazine papier, c’est ce qu’il y a de plus intéressant à faire en ce moment.

La numérisation de votre publication, cela a bien marché du coup ?

Nous avons beaucoup expérimenté. À l’origine, on s’est posé la question de savoir si les tablettes, c’était un nouveau média, ou si c’était juste un nouveau mode de distribution : « Allez c’est un nouveau média, nous allons va faire des trucs nouveaux dessus. » (Silence.) En fait non. (Rires.) Non, non, cela marche pas ! Cela ne provoque pas d’enthousiasme chez les lecteurs, et cela prend beaucoup trop de ressources pour que ce soit intéressant, ou même viable économiquement. Nous avons fait pas mal de tests et aujourd’hui nous sommes revenus à des versions PDF légèrement enrichies. On essaie de décaler, c’est-à-dire que la version numérique est mensuelle. Elle regroupe deux numéros, parce qu’une version numérique tous les quinze jours, cela ne nous semblait pas super intéressant. Cela permet de décaler un peu par rapport au magazine papier. Et cela permet aussi de rajouter du contenu : il y a des rubriques qui sont exclusives au numérique.

« La version tablette, cela ne provoque pas d’enthousiasme chez les lecteurs, et cela prend beaucoup trop de ressources pour que ce soit intéressant, ou même viable économiquement. »

Et le fait d’être passé en PDF, de ne plus avoir dix jours de production graphique dessus, cela permet surtout de baisser le prix. C’est-à-dire qu’aujourd’hui un Canard PC papier c’est 4€30. On en regroupe deux, et on le fait à 2€69. Parce que notre idée, c’est que ceux qui s’intéressent au numérique n’ont pas envie de payer le même prix que le papier. C’est aussi l’idée de mettre à portée d’une partie du public qui ne va pas dans les kiosques, soit parce que c’est chiant et qu’ils sont loin d’un kiosque, soit parce que c’est trop cher. Et effectivement, Canard PC est trop cher. Nous sommes d’accord. On ne peut simplement pas faire autrement. Là, nous faisons une offre qui leur dit en gros « t’as le choix entre 2€69 euros sur ton téléphone, ton iPad ou ta tablette Windows 8, ou bien gratuit mais il faut te taper des scans pourris sur BitTorrent ».

On se souvient d’une presse JV avec la grande époque des délires vidéo de Joystick, des trombinos à Consoles +, à Joypad, etc., est-ce que vous diriez que la plupart de ces titres ont coulé, en partie aussi parce qu’ils étaient moins marrants ?

Je pense que le seul titre qui incluait vraiment le côté humour et farce dans sa ligne éditoriale, c’était Joystick. Même Joypad n’était pas poussé aussi loin. Donc je n’ai pas l’impression que les autres se soient cassé la gueule parce qu’ils ne faisaient pas cela. Ils se sont cassé la gueule pour plein d’autres raisons. Est-ce que la presse est trop sérieuse ? Sûrement. Cela demande de pouvoir se planter. Et cela c’est rare, aujourd’hui, d’être dans des configurations où nous avons le droit de nous planter un nombre de fois raisonnable pour arriver à faire quelque chose. Il ne faut pas avoir peur d’aller un coup trop loin, parce que c’est arrivé aussi chez nous sans que cela ait des conséquences catastrophiques. Et puis il faut du temps. Beaucoup de liberté. Une rédaction, il ne faut pas que ce soit que des pigistes qui travaillent chez eux, il faut être ensemble, pouvoir confronter les idées avec les copains, que tout le monde te dise : « Houla, elle est pourrie ta blague. » C’est une alchimie. Et en même temps, c’est con à dire, mais c’est difficile d’être drôle.


Couverture : HAL, 2001 : l’Odyssée de l’Espace, de Stanley Kubrick, 1968.