Ange en métal

Par la fenêtre grande ouverte, entre des amas d’immeubles et des montagnes d’ordures, la Lune envoie un faisceau bleuté dans la chambre d’Alita. Assise sur son lit, la jeune fille serre contre elle une peluche en forme de champignon. Les questions se bousculent dans ses larges yeux rivés à l’astre. Elle songe aux mots échangés quelques temps plus tôt avec le docteur Dyson Ido. « La femme de mon souvenir m’appelait 99 », lui a-t-elle confié. « Ce que tu as vu est un flash de ta vie antérieure », a répondu celui qui l’a trouvée parmi des détritus. Alita est perdue, comme si tout lui échappait : son corps a été remplacé par une cuirasse robotique et son cerveau, bien humain, est occupé par l’oubli.

Que fait-elle à Iron City, cette déchetterie à ciel ouvert, quand une partie de l’humanité se délecte des fastes de la ville céleste de Zalem ? Après l’avoir soigné, Dyson Ido lui a raconté « l’histoire de la guerre, quand la Terre tremblait et que le ciel brûlait ». Nous sommes maintenant en 2563 et Alita se lève du lit, puis déploie ses bras mécaniques devant une glace, à la lumière de la Lune. D’un geste naturel, elle les balance en avant, esquisse des attaques et enchaîne les gardes. À sa propre surprise, presque à son corps défendant, la cyborg est particulièrement douée pour le combat.

Crédits : Twentieth Century Fox

En quatre jours d’exploitation, Alita: Battle Angel a généré 33,5 millions de dollars de recettes. Réalisé par Robert Rodriguez, ce film aux 170 millions de budget s’inspire du manga cyberpunk japonais Gunnm, dessiné par Yukito Kishiro dans les années 1990. Présent sur le tournage d’Avatar, Jon Landau a encore été choisi par le producteur, James Cameron, pour tenir la caméra. Devenus pères, les deux hommes ont une nouvelle fois voulu envoyer un message teinté d’écologie à leurs enfants. Iron City est une dystopie, mais elle est plausible. « Avatar était un monde imaginaire », compare Landau. « Au contraire, Alita se déroule sur Terre dans un futur réaliste. »

L’homme augmenté est déjà là. Jadis cantonné à la science-fiction, il peuple les discours plus ou moins alarmistes sur le progrès technologique. En laboratoire, les scientifiques ont commencé à lancer des ponts entre les organes vivants et robotiques. Tout un champ de la recherche est dédié aux interfaces cerveau-machine. Des paraplégiques équipés d’exosquelettes ont retrouvé la faculté de se mouvoir et l’on peut désormais contrôler une prothèse par les neurones. La suite est à prévoir : donnez à l’homme un doigt mécanique à maîtriser, il voudra toute la main. Puis le reste.

Alors, l’avenir est-il aux androïdes comme Alita ? En mars 2018, la société Nectome dévoilait son plan pour « préserver le cerveau dans une solution chimique pendant des centaines et peut-être des milliers d’années », dans la MIT Technology Review. Le magazine du célèbre Massachusetts Institute of Technology citait même une liste d’attente de 25 personnes prêtes à payer 10 000 dollars afin de participer à cette expérience fatale. Parmi elles, le président de l’incubateur de start-up Y Combinator, Sam Altman, se disait assez confiant dans l’optique de voir son esprit « uploadé sur le cloud ».

Crédits : Ulyces.co

À Scottsdale, dans l’Arizona, l’entreprise Alcor dit pour sa part conserver 147 cerveaux et corps dans de l’azote liquide. « Un siècle plus tôt, si le cœur de quelqu’un s’arrêtait, on le déclarait mort », rappelle le PDG Max More. En Russie, KrioRus a cryogénisé les dépouilles de 61 personnes, 31 animaux de compagnie, et 487 autres personnes devraient suivre. « Nous trouvons le pronostic de mort un peu arbitraire », ajoute Max More. « La personne qui est déclarée comme telle cherche selon nous à être sauvée. » Mais, une fois préservé, le cerveau peut-il fonctionner en bonne intelligence avec un corps robotique ?

Page blanche

En se penchant au-dessus d’une table d’opération, Alita jette un regard profondément humain vers Dyson Ido. « Ce corps a le pouvoir dont j’ai besoin », lance-t-elle à son père spirituel en prenant dans sa main robotique les doigts du corps métallique étendu devant elle. « Je me sens connecté à lui sans pouvoir l’expliquer. Ça pourrait correspondre à celle que je suis. » Le professeur n’est pas convaincu. « Tu as eu l’opportunité de recommencer, à partir d’une page blanche, combien on cette chance ? » répond-il. Excédée par son refus, l’androïde enfonce ses poings en métal dans un chariot en hurlant. « Je suis une guerrière n’est-ce pas ? » sanglote-t-elle. Quand il s’agit de se battre, ses membres bougent même avec une vitesse et une dextérité impressionnante.

Pour l’heure, les prototypes de Boston Dynamics sont bien moins habiles. On peut certes les voir sauter, danser ou ouvrir les portes dans des vidéos promotionnelles, mais « leurs aptitudes ne sont pas aussi grandes que ce qu’il paraît », juge le journaliste du New Scientist Daniel Cossins. Autant ces animaux mécaniques exécutent bien les tâches qu’on leur assigne, autant ne sont-ils pas capables de sortir de leur zone de de compétence en cas d’imprévu. Le simple fait de marcher est « une des choses les plus difficiles à faire pour un robot », explique Aaron Ames, un ingénieur du California Institute of Technology spécialisé dans la robotique. À chaque pas, un bipède évite la chute en trouvant un point d’équilibre, qu’une pierre, de la pelouse ou de la glace se présente sous ses pieds.

Un androïde comme Alita aurait donc d’une moelle épinière synthétique.

Pour adapter leur conduite, les automates sont désormais dotés d’intelligence artificielle, autrement dit d’une batterie d’algorithmes qui les aident à apprendre de leurs erreurs. Mais ils demeurent assez maladroits. Si Alita est si souple, c’est que l’ossature d’acier dont elle est dotée répond à son cerveau. Or, on parvient dès aujourd’hui à concevoir des prothèses qui suivent les ordres donnés par un système nerveux. Un collègue d’Aron Ames au California Institute of Technology, Richard Anderson, a été parmi les premiers a expérimenter ce type d’appareils. Leur stabilité laisse encore à désirer. Car, comme des avions reproduisent le vol des oiseaux par d’autres moyens, ils ne peuvent qu’interpréter les signaux grossièrement pour parvenir à un résultat similaire.

Un autre scientifique de leur unité de recherche, Joel Burdick, a démontré qu’infliger des décharges électriques à la moelle épinière de paraplégiques pouvait provoquer des mouvements. Autrement dit, « notre cerveau n’est pas le seul moteur de la marche », explique Ames. « Beaucoup de choses passent par la colonne vertébrale. Le réseau n’est donc pas que cérébral. » Un androïde comme Alita aurait donc besoin d’une moelle épinière synthétique et probablement d’autres organes singeant ceux de l’homme. On peut imaginer qu’elle serait dotée d’un de ces cœurs artificiels qui sont déjà greffés de nos jours. Dans le film, il est fait d’antimatière, un groupe de particules que nous peinons encore à comprendre et davantage à maîtriser.

« Beaucoup d’appareils que vous voyez sur les androïdes sont inspirés de la réalité », constate Matt Gould, ingénieur pour l’entreprise de capteurs TE Connectivity. Alors que l’entreprise britannique D3O a conçu une pâte orange aussi flexible que résistante aux chocs, les chercheurs du MIT viennent eux d’annoncer qu’ils s’étaient inspirés de la carapace du homard pour produire un exosquelette aussi souple que robuste. De là à le connecter à un cerveau, il n’y a donc qu’un pas, qu’importe s’il est légèrement malhabile au départ. Seulement, ledit cerveau, lui aussi, est mortel. Et le patron de Nectome, Robert McIntyre, admet que le conserver en vie ne sera pas si simple. Au lieu de ça, son entreprise promet seulement « de préserver la mémoire sur le long terme », rectifie-t-il. Sam Altman et les riches anonymes de la liste ne sont pas des candidats mais des soutiens.

Crédits : Twentieth Century Fox

Le neurologue Richard Brown, dont McIntyre dit s’inspirer, n’en fait pas partie : « Quand vous mourez, les cellules du cerveau meurent et il n’y a pas de mémoire après la mort », observe-t-il. Au MIT, Alain Jasanoff pense en revanche que le projet a une chance d’aboutir à condition de trouver un moyen pour que les synapses communiquent. Mais savoir ce que contient le cortex ne suffit pas à en extraire le contenu, pondère-t-il. On est loin du cerveau immortel.


Couverture : Twentieth Century Fox.