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New York → Miami

À New York, nous séjournions avec les membres du cartel dans un grand hôtel relié aux Twin Towers, l’un des meilleurs de la ville. Il fallait qu’on soit en plein centre-ville pour pouvoir nous rendre à pieds au bureau. J’avais également un jet privé. Parfois, nous prenions l’avion jusqu’à l’aéroport de Teterboro, dans le New Jersey, situé juste derrière le pont George Washington. Ensuite, nous prenions une limousine et on allait jusqu’à Manhattan, on s’arrêtait juste devant la société et on montait au bureau. Il y avait environ 40 personnes qui y travaillaient. Le propriétaire et le type jouant le rôle de mon cousin étaient les seuls à savoir que j’étais un agent infiltré, et ils s’arrangeaient pour que je sois traité comme un VIP à chaque fois que j’arrivais. Ils avaient bien sûr leur espace réservé à la bourse de New York. C’était avant le 11 septembre, donc on pouvait y accéder. Et c’est ce qu’on faisait, on allait directement au milieu de la bourse et je leur parlais des mécaniques du trading. Je les emmenais à des dîners privés dans un club social italo-américain, à des rendez-vous professionnels, et nous sortions beaucoup. J’avais une carte de membre dans des clubs privés de l’époque à New York, Paris, Miami et Londres. À Paris, Chez Régine était une boîte de nuit très à la mode à l’époque. Nous allions donc chez Régine ainsi que dans de nombreux restaurants.

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Une Rolls-Royce que Mazur conduisait pendant l’opération
Crédits : Robert Mazur

Miami, c’était la vie XXL. Il y avait des Rolls-Royce et des Bentley partout. Sur Brickell Avenue, pourtant bordée de palmiers, il y avait plus de banques internationales que d’arbres. Les gens qui en sortaient étaient les mêmes que ceux qu’on pouvait voir à deux heures du matin dans les cabines téléphoniques. Je vivais à Key Biscane. Un des plus gros trafiquants de drogue auquel j’avais affaire organisait des combats de boxe. Pour faire croire que son argent était prêté, il me l’a confié. Je l’ai investi dans mon fonds d’investissement, dans ma compagnie d’assurance, et j’ai émis des chèques qui lui ont permis de financer un combat du championnat international professionnel de boxe. Un des champions était mexicain, l’autre colombien. Le combat s’est déroulé au Jackie Gleason center, une très grosse salle. En me rendant au restaurant, j’ai réussi à me rapprocher de ses amis. J’ai également organisé une fête à mon hôtel après le combat. Mais le moment que je retiens le plus est notre entrée dans la salle. Nous étions tous vêtus de costumes italiens extrêmement chers, vraiment sapés. Le public tout entier se retournait sur nous à notre passage. Nous avons pris place. Sur le ring, la lutte était incroyablement vicieuse, un vrai massacre.

Au début, le Colombien menait, mais le Mexicain est revenu sur la fin. Ils étaient couverts de sang. Étant donné que nous étions dans le coin du ring, à chaque coup, le sang nous retombait dessus en spray. C’était une sacrée expérience pour moi de me retrouver à un championnat du monde de boxe, doublée d’une opportunité de me rapprocher de puissants trafiquants de drogues. Ils vivent ça tous les jours, mais pour moi c’était génial. À cette époque, comme je le disais, il y avait des cabines téléphoniques partout aux États-Unis. En se rendant dans certains quartiers de Miami, vers deux heures du matin, on pouvait voir des voitures de luxe garées près de ces cabines. Leurs propriétaires étaient des trafiquants de drogues qui tentaient de faire leur deal au téléphone sans être écoutés. J’étais également dans les parages, peut-être pas à deux heures du matin, mais de minuit à une heure. J’y allais toutes les deux ou trois nuits pour appeler la maison, parler avec ma femme. En général, je lui confiais tout ce qui se passait. Je ne pouvais parler ouvertement ni sur mon téléphone cellulaire, ni sur mon téléphone fixe, ni même sur ma ligne de travail car ma crainte était à l’opposé de celle des trafiquants : j’avais peur d’être sous leur surveillance !

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Une vue aérienne de Miami dans les années 1980
Crédits : DR

Je me rendais donc moi aussi dans une cabine téléphonique pour discuter avec les miens. Il m’arrivait parfois de rentrer à la maison. Au troisième tiers de l’opération, il n’était pas rare de m’y voir un jour ou deux par mois. Mais ces jours de transition à la maison étaient douloureux, bien qu’il était difficile de l’admettre sur le coup. Quand on est loin de chez soi pendant tant de temps, la famille s’adapte, une routine s’installe pour les enfants. Il ne faut pas espérer endosser le rôle du père qu’on avait en étant là tous les jours, car le regard de vos proches a changé. C’est quelque chose de crucial à comprendre pour qui veut opérer en tant qu’agent infiltré de longue durée. Si on est marié, il n’est pas seulement important d’entretenir des liens très forts avec son conjoint, il faut également que des membres de la famille et des proches amis vivent près de lui. C’était le cas de ma mère, de mon père, de mon frère, de sa femme et de ses enfants, ainsi que d’un ou deux amis très proches de la famille. De sorte que ma femme était soutenue. Si elle s’était retrouvée seule dans une ville sans connaître personne, cette expérience aurait détruit notre mariage ; quand bien même elle avait 16 ans et moi 18 lorsque nous nous sommes rencontrés. Nous étions mariés depuis quatorze ans quand l’opération a démarré, mais cela n’aurait pas suffi non plus. Si nous n’avions pas eu cette base, et si ma femme n’avait pas été si forte, nous ne serions probablement plus mariés aujourd’hui et je ne connaîtrais sans doute pas mes petits-enfants. Nous étions meilleurs amis avant de sortir ensemble.

En somme, si je n’avais pas eu tout cela et si elle n’était pas la femme qu’elle est, j’aurais tout foutu en l’air. Je lui dois tout. Être infiltré a été pour moi comme de suivre une chimiothérapie. La personne à qui sont prodigués les soins peut mourir, même lorsque c’est bien fait. Si je n’avais pas été entraîné à la couverture, si je n’avais pas passé les tests psychologiques, si je n’avais pas eu le soutien de mes collègues, une femme forte et de la chance, j’aurais explosé en vol. De nombreuses personnes ont enduré bien des épreuves à mes côtés, je leur en suis redevable. Je n’oublie pas mes partenaires avec qui j’ai été ravi de travailler. Certains d’entre eux sont des héros. J’ai joué quarterback dans l’équipe, mais si je n’avais pas eu mes coéquipiers derrière moi, je me serais fait dézinguer. Mon partenaire, Emir Abreu – un agent lui aussi –, jouait le rôle de l’homme de la rue, et moi j’étais le bourgeois avec une formation dans la banque. J’avais vraiment travaillé dans une banque avant de devenir agent. Ce que j’avais à dire ou à faire était donc très souvent naturel pour moi. Mon partenaire, qui se chargeait de collecter l’argent dans la rue venait vraiment de la rue. Dans ce rôle, c’est sûrement le meilleur agent infiltré qui soit. C’était parfait, car je n’aurais jamais pu me mettre à sa place, ma couverture aurait volé en éclat dès la première semaine. Je pense que cela aurait aussi été son cas s’il avait dû jouer le blanchisseur d’argent plein aux as. Mais une partie de notre entraînement consiste à créer une fausse identité aussi proche de notre vrai personnalité que possible. C’est la meilleure façon de mener une double vie.

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Deux millions de dollars en provenance de Detroit
Crédits : Robert Mazur

On avait clairement des fuites de sécurité, comme n’importe quelle agence dans ce domaine j’imagine. C’est une chose sur laquelle on a beaucoup insisté durant ma formation. Mes instructeurs disaient toujours que je serais beaucoup plus à l’aise si je faisais le travail moi-même. Et c’était vrai, je ne savais pas comment les choses seraient gérées par d’autres. Cette crainte s’est d’ailleurs avérée justifiée quand le gouvernement m’a donné mon passeport d’infiltration. J’ai dû renvoyer le mien et j’ai ensuite obtenu l’autorisation de faire ça à ma façon, car on voyait bien que les tampons étaient bidons. Heureusement, cela n’a pas fait sauter ma couverture, mais c’est le genre de choses qu’on ne peut pas se permettre de laisser faire par d’autres car ils ont tendance à ne pas se concentrer sur les détails comme je le fait. C’est ma vie qui est en jeu.

Alcaino

J’ai eu l’occasion de parler à la plupart des hommes du cartel après leur arrestation – des mois, parfois des années après l’opération –, car je suis resté impliqué dans le processus d’enquête même après avoir laissé tomber ma couverture. J’aidais à préparer le procès, je témoignais à la barre, puis je participais aux enquêtes qui tentaient de gagner la coopération des types arrêtés. Certains d’entre eux plaidaient coupable pour être condamnés plus vite. C’est le cas de Roberto Alcaino, le plus grand trafiquant avec lequel j’ai été en rapport. Lorsque j’ai entendu ça, je l’ai fait venir depuis la prison jusqu’à un hôtel tout proche pour qu’on parle. Ils l’ont amené. Roberto était l’un des plus gros convoyeurs du cartel de Medellín. Il connaissait Escobar, il connaissait tout le monde. Il m’a non seulement introduit dans le milieu mais aussi enseigné le business. Fabriquer un kilo d’héroïne coûte 500 dollars, et 2 000 à 2 500 pour le transporter. Il faut donc investir environ 3 000 dollars. À l’époque, le kilo se vendait 14 000 ou 15 000 dollars aux États-Unis. En Europe, le prix grimpait jusqu’à trois fois plus. Un laboratoire, en Bolivie, produisait 6 000 kilos par semaine. Des avions étaient utilisés pour la sortir de la jungle. Roberto m’a donné l’argent pour acheter ces avions, de petits appareils qui volaient jusqu’au nord de l’Argentine. Après quoi la dope était chargée dans des camions qui roulaient jusqu’à Buenos Aires.

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Pablo Escobar descend d’avion
Crédits : DR

Une tonne de drogue était ensuite mise dans des boîtes, lesquelles se retrouvaient noyées au sein d’une cargaison de 20 tonnes d’autres produits. Tout était méticuleusement emballé et introduit dans des boîtes parfaitement identiques aux autres. En général, il y avait trois conteneurs, un pour l’Espagne, un pour l’Italie, et un pour le nord-est des États-Unis. Une fois arrivé, le produit était envoyé dans des entrepôts où les distributeurs l’attendaient. Ce que je viens de décrire s’appelle le pipeline. Quand vous contrôlez le pipeline, vous contrôlez tout le cycle de transport. C’était le cas de Roberto, qui percevait 20 % des bénéfices. Sur 2 000 kilos, le fruit de 400 lui revenaient, juste parce qu’il mettait le pipeline à disposition. Comme lui, les gens avec qui il travaillait avaient leurs propres barils, qu’ils se faisaient livrer à domicile. Comment ai-je pu savoir tout cela ? Il faut bien comprendre qu’un cartel n’utilise pas son propre argent, il a besoin d’un investisseur. En le devenant, on peut gagner deux ou trois fois sa mise en 45 ou 60 jours. Mais un investisseur classique veut revoir l’argent de son prêt dans les dix jours. Donc si vous avez un blanchisseur d’argent, comme je prétendais l’être, vous devez lui dire quand l’argent va arriver pour qu’il ne se lance pas dans une autre affaire entre-temps. Il peut ainsi mettre toutes ses ressources à votre service.

En agissant de la sorte, j’ai gagné le droit d’apprendre ce qu’il se passait dans le milieu des vendeurs de drogue. Roberto a été arrêté un mois avant mon faux mariage. Nous ne l’avions pas prévu, mais il me donnait tellement d’informations que c’était un jeu d’enfant pour mes collègues. Enfin, façon de parler, mais ils l’ont arrêté. Peu de gens savaient quand le chargement arriverait, j’étais donc persuadé que je serais suspecté d’avoir balancé Roberto. Tout le monde dans le cartel s’est mis au vert car ils craignaient que l’un d’entre eux soit derrière tout ça, et que leurs téléphones soient sur écoute. Comme dans Les Affranchis. Personne n’a parlé à personne pendant des jours. Et puis j’ai reçu un appel de la femme de Roberto. Nous avions mis en place un système : nous passions par les cabines téléphoniques. Elle m’a dit : « Je viens d’aller rendre visite à Roberto en prison, il a un message pour toi. Il pense que tu es la seule personne en qui il peut avoir confiance, il veut donc que tu prennes les rênes de l’opération. J’ai besoin de ton aide pour collecter de l’argent auprès des distributeurs, pour payer l’avocat et quelques fournisseurs. » Ce qui fait que pendant les trente derniers jours de ma couverture, je me trouvais dans une position idéale.

J’étais tellement accro à l’information qu’elle était devenue mon héroïne.

Un gars, Joe, savait que je collectais. Il m’a dit : « Ils t’écouteront, toi. Roberto va être à l’hôpital (c’est comme ça qu’il parlait de la prison) pendant longtemps donc j’ai besoin d’un nouveau job. Qu’est-ce que tu penserais de m’engager ? » J’ai répondu : « Tu sais Joe, je ne te connais pas bien. Tu dois me dire tout ce que tu as fait, comment tu l’as vécu et avec qui tu as travaillé, parce que je ne veux pas prendre quelqu’un qui a des problèmes. » C’était l’entretien d’embauche le plus marrant que j’aie jamais fait ! Il m’a tout dit. Plus tard, quand il a été arrêté lors de l’enterrement de vie de garçon, il n’a pas réalisé que c’était à cause de moi. Il a demandé au mec qui lui mettait les menottes : « Pouvez-vous me faire une faveur en disant à Bob que je ne pourrai pas aller au mariage et que j’en suis vraiment désolé ? » Un autre type a commencé à rire alors qu’il se faisait arrêter. L’agent lui a demandé pourquoi. Il a répondu : « J’ai déjà fait une fête comme ça avec des femmes déguisées en policières. » L’agent, qui était une femme, lui a alors dit : « Mais vous êtes vraiment en état d’arrestation ! »

Deux cerveaux

Alors que j’infiltrais le cartel de plus en plus en profondeur, je suis devenu convaincu qu’aucun agent n’infiltrerait aussi profondément la pègre que moi. J’étais tellement accro à l’information qu’elle était devenue mon héroïne. Je cherchais des infos tous les jours et à toutes heures. Parfois, j’en obtenais de belles. Une tonne de cocaïne a un jour été interceptée simplement sur la base d’informations que j’avais obtenues en écoutant des conversations. Des millions de dollars ont été saisis sur place. Je suis devenu convaincu que chaque seconde que je passais en compagnie des membres du cartel étaient si précieuses que j’ai décidé de mon plein gré de donner tout mon temps à cette mission si cruciale à mes yeux. J’étais tellement convaincu de son importance que j’étais prêt, si je le devais, à sacrifier ma carrière, ma famille ou même ma vie en l’échange de son succès. J’ai été contraint d’arrêter l’opération en octobre. Je l’ai appris cinq ou six mois avant, je savais donc qu’il me restait peu de temps et je m’investissais corps et âme à chaque seconde.

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Une soirée de détente pour le cartel colombien
Crédits : DR

Je ne dormais probablement pas beaucoup car les gens des cartels ont un style de vie pour le moins inhabituel. Être dehors à quatre heures du matin n’est pas exceptionnel. Mais quand on rentrait, il fallait encore que j’écrive mes rapports. Je le faisais dans la baraque que j’utilisais pour ma couverture. Toute la maison était bouclée et les alarmes enclenchées. Je planquais ensuite les rapports écrits ou les enregistrements dans des compartiments secrets dissimulés dans les murs. Je les envoyais plus tard à mon agent de contact. J’étais complètement absorbé par l’importance de ma mission, je m’y noyais littéralement. Je comparerais cela au fait d’être sur un champ de bataille – même si je n’ai jamais fait la guerre bien que j’aie fait mon service militaire. Car on ne peut pas se permettre de penser à sa femme ou à ses enfants. Il faut tourner son attention toute entière sur son ennemi et la façon dont vous allez survivre dans l’épreuve.

La puissance avec laquelle je me suis immergé dans ce rôle a joué pour beaucoup dans la réussite de l’opération. Je n’étais pas donc pas tellement inquiet. Il est très important de se comporter avec naturel lorsqu’on est un agent infiltré. Lorsque j’ai dit à Bryan Cranston [qui interprète son rôle dans The Infiltrator, nda] que je n’étais pas un bon acteur, il a ri en disant : « Mais non, tu es un acteur incroyable ! » Mais je n’ai pas ce sentiment, je n’ai rien calculé, j’ai juste été moi-même et je crois que c’est ce qui rend une personne crédible. Car si vous jouez la comédie, il est impossible de le faire durant des années. Il faut que ce soit naturel. J’ai aimé être infiltré, même s’il n’était pas toujours facile d’avoir deux cerveaux, car on n’oublie jamais vraiment qui on est. Les membres du cartel voyaient mon apparence relaxée, engageante, mais mon deuxième cerveau turbinait à 100 km/h, essayant de trouver une façon d’orienter la conversation vers ce dont je voulais parler, pour avoir plus d’informations. Car ne l’oublions pas, l’information était ma drogue, c’était ce que je pourchassais sans relâche. Tout le reste n’était qu’un moyen de mettre les gens en confiance pour qu’ils me confient leurs plus grands secrets.

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Robert Mazur vit désormais dans l’ombre
Crédits : DR

Vers la fin de l’opération, en y repensant, je me suis dit que j’aurais pu vivre la même chose dans la vie réelle, si je n’avais pas eu les parents formidables que j’ai eu pour m’orienter dans une toute autre direction. À une petite échelle, j’ai vécu deux vie. J’ai pu voir ce que c’était d’être le bon et le truand. Croyez-moi, quand mon travail touchait à sa fin, il m’arrivait de penser : j’ai la chance de faire ça et je suis même payé pour ! Je l’aurais probablement fait bénévolement. Mais j’avais une famille à nourrir… En tout cas, c’était une opportunité de voir l’autre côté.


Traduit de l’anglais par Caroline Bourgeret, Antoine Coste-Dombre et Servan Le Janne d’après l’entretien réalisé par Arthur Scheuer. Couverture : Robert Mazur en compagnie d’un pilote devant un Cessna Citation qu’il utilisait durant l’opération. (Crédits : Robert Mazur)


LA VIE D’AGENTS INFILTRÉS DANS LE TRAFIC DE METH AU NOUVEAU-MEXIQUE

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Agents infiltrés, informateurs et cartels mexicains : enquête sur la lutte contre le trafic de meth à Albuquerque et dans tout l’État du Nouveau-Mexique.

Albuquerque, Nouveau-Mexique. Par un après-midi suffoquant du mois d’août, un 4×4 banalisé fait halte dans une station essence, à l’angle d’une intersection très fréquentée. L’inspecteur Brian Sallee s’empare d’une paire de jumelles pour scruter le parking situé à 40 mètres de là. « Regarde », dit-il en me tendant les jumelles. Il pointe du doigt une clôture métallique, deux tables de pique-nique et un food truck garé en face d’un magasin de réparation de pneus. Dans une dizaine de minutes, deux hommes mexicains vont procéder à deal de 28 000 dollars avec un agent infiltré. ulyces-albuquerquemeth-01-1 Cette opération d’infiltration a été montée conjointement par la brigade des stupéfiants du service de police d’Albuquerque – que dirige Sallee – et une unité similaire d’une ville du sud du Nouveau-Mexique qu’on m’a demandé de ne pas citer. Près d’une douzaine de voitures banalisées ont été dispatchées sur les parkings et les rues avoisinantes, dans un rayon de cinquante mètres autour du magasin de pneus. Lors de transactions plus importantes, les dealers mettent souvent en place une contre-surveillance afin de détecter la présence de la police. Si les équipes de renfort manquent de discrétion durant la surveillance, elles risquent de faire capoter l’opération et de mettre en danger l’agent sous couverture. Mais en même temps, ils doivent être suffisamment proches de la scène pour pouvoir procéder à une arrestation ou intervenir rapidement si les choses tournent mal. Les agents bénéficiant d’une vision dégagée de la scène informent régulièrement leurs collègues de la situation, via une fréquence radio partagée par tous les policiers présents sur les lieux. « Cibles en vue », grésille une voix à la radio. « L’un porte un t-shirt rouge et des jeans, l’autre un chapeau marron. Ils traînent dehors, près de la table. » Nous sommes en périphérie de la zone d’opération, trop éloignés pour pouvoir observer clairement la scène sans jumelles. « J’aperçois le 4×4 gris, vitres teintées, jantes chromées. L’un des suspects est à l’intérieur. »

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