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Le fantôme d’Espiritu

Pour tenter de comprendre l’histoire de Calabasas, Santana et moi faisons route vers le Leonis Adobe – le plus vieil édifice de la ville. Construit en 1844, il jouit d’une belle situation sur Calabasas Road, où, un peu plus tôt, notre course-poursuite avec Kylie Jenner s’est achevée pitoyablement. Il y a un demi-siècle, le plus célèbre bâtiment de la ville a failli être rasé pour installer un mall. A présent, son architecture de style Monterey colonial est le dernier bastion de l’histoire civique de la ville – l’endroit où les écoliers de Calabasas viennent comprendre les origines de la Californie, son passé espagnol et amérindien. Ils viennent également observer les chèvres, les moutons et les pintades africaines qui s’ébattent au-dehors. Un jour, Stevie Wonder est venu visiter l’endroit avec son enfant : à ce jour il est la seule personne à avoir été autorisée à jouer du vieux piano de la bâtisse.

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Le Leonis Adobe

La première Kim Kardashian de la West Valley était une femme amérindienne du nom d’Espiritu, qui épousa un riche brigand basque à l’équilibre fragile, du nom de Miguel Leonis. En tentant de traverser le col de Cahuenga pour entrer à Hollywood, Leonis tomba de son chariot couvert et s’écrasa en bas. Les sources principales attribuent sa mort à « son indulgence extrême à l’égard du mauvais vin ». C’était comme ça en 1889. En dépit du fait que le couple vivait ensemble depuis près de 30 ans, Leonis prétendait qu’Espiritu était sa gouvernante. Leur seul enfant étant mort quelques années plus tôt, Leonis ne laissa à sa femme que 10 000 dollars. Ce qu’il restait de sa fortune alla à ses frères et sœurs. Espiritu saisit la justice pour réclamer sa part de l’héritage, déclenchant le premier grand scandale médiatique de la région. Le Los Angeles Times fit à l’époque une « déclaration sensationnelle » en affirmant qu’Espiritu avait été mariée à deux hommes avant Leonis. Malgré cette mauvaise presse, elle triompha après que la tombe de son enfant permît de prouver que Leonis était le père. Mais la propriété resta bloquée par les procédures judiciaires presque jusqu’à sa mort en 1906. Elle finit par être la cible d’escrocs et de fraudeurs. Peu avant sa disparition, Espiritu, qui était alors âgée de 65 ans, se remaria à un garçon de 18 ans. Le Los Angeles Times écrivit à l’époque qu’il venait « à peine de quitter sa blouse d’écolier » et que « les affections fougueuses d’Espiritu semblaient être en pleine effervescence, en dépit de ses habits de veuve, qu’elle portait si bien ».

Nous roulons ensuite jusqu’aux Oaks, la résidence surveillée de Justin Bieber.

Aujourd’hui, on raconte que la demeure est hantée, ce qui fait se demander si la malédiction des Kardashian ne serait pas bien réelle. Comme leurs maisons sont presque voisines, se pourrait-il qu’un peu d’énergie paranormale se soit trompée d’adresse. Le fantôme d’Espiritu a peut-être inspiré Kris Kardashian, lui soufflant l’idée de créer un reality show, des parfums et un empire d’applis mobiles. Peut-être que Kanye West est possédé par l’esprit d’un Français épris de mauvais vin. Je pose toutes ces questions à l’aimable guide qui me fait visiter l’endroit, elle hausse les épaules me répondant que les célébrités ne l’intéressent pas. « Certaines d’entre elles en font des tonnes, mais bon », dit-elle. « Pour être honnête, ils ressemblent tous au chanteur d’Aero Smith pour moi. »

Pandémonium

Je ne m’étais pas autant ennuyé depuis le lycée. C’est peut-être le but de l’endroit. En passant suffisamment de temps à Calabasas et on commence à avoir l’impression d’être constamment surveillé. Il y a des caméras à tous les coins de rues, les agents de sécurités ne quittent pas leurs postes de contrôle, et une Desperate Housewife aux lèvres gonflés sera toujours là pour lever les yeux au ciel devant votre voiture de pauvre. Je comprends mieux la punchline des rappeurs de Goodie Mob : « Est-ce qu’on a mis une barrière pour empêcher le crime d’entrer ou pour m’empêcher de me tirer ? » Ces célébrités s’emmurent elles-mêmes dans des fiefs privés, car il faut bien que votre propriété soit parfaitement autonome… Drake disposerait ainsi d’une salle de cinéma pouvant accueillir 28 personnes, d’un spa, d’une cave à vin, d’écuries et d’un centre équestre, de courts de volley-ball, d’une salle de jeu, et d’un simili-Manoir Playboy entouré de grottes artificielles. Le seul truc marrant à faire ici est d’organiser des fêtes. Mais n’invitez pas trop de monde, sans quoi vous risqueriez de revenir à la réalité.

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La propriété de Kanye West et Kim Kardashian à Hidden Hills

Comme Molly Lambert l’a écrit dans Grantland : « Calabasas attire un certain type de stars américaines, pour qui l’excès lui-même constitue une performance. Drake, Bieber, les Kardashian – et, il faut bien l’avouer, Kanye – adorent donner leur richesse en spectacle. Et quelle meilleure façon d’afficher ses dépenses que de vivre dans l’équivalent moderne d’un château, protégé par des douves remplies d’agents de sécurité ? (…) Pour eux, le luxe ne se résume pas à une maison à l’architecture minimaliste sur les collines de L.A., ils construisent un étalage ostentatoire de richesses. » Pour habiter réellement à Calabasas, il faut être capable du détachement si particulier que procure le Xanax. Santana et moi passons la plus grande partie de l’après-midi et de la soirée à visiter les commerces et les restaurants locaux. Beaucoup de centre commerciaux, de fast foods et de concessionnaires automobiles. Pas de librairie indépendante ou de salle de cinéma. Si vous voulez acheter un vinyle, il faut aller chez Barnes & Noble. Ils ont Never Mind the Bollocks et Here’s the Sex Pistols en stock. Hors d’Hidden Hills, nous engageons la conversation dans une pépinière locale. Aucun des employés ne sait quoi faire du fait que des célébrités se terrent un peu plus loin, mais l’un d’eux me confie que Katt Williams vient régulièrement chez eux pour acheter des plantes pour sa maison. Il ajoute : « Caitlyn Jenner est venue une fois acheter un arbre de Noël, lorsqu’elle était encore Bruce Jenner. »

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La résidence surveillée de Justin Bieber

Nous faisons ensuite un tour au centre-commercial pour visiter le Dash original, la boutique dont les Kardashian sont propriétaires. Aujourd’hui, la devanture est vide, et affiche encore les pubs de l’ancien locataire, Tempt. Son slogan ? « Pour toutes les choses auxquelles vous ne pouvez pas résister. » Les gens attablés pour manger des sushis à 100 dollars nous jettent des regards méfiants. Nous conduisons ensuite jusqu’aux Oaks, la résidence surveillée où Justin Bieber s’est attiré des ennuis pour le plus grand bonheur des tabloïds. Naturellement, entrer est impossible. L’extérieur est si éloquent à ce sujet qu’il semble absurde de le préciser : une fontaine avec des jets d’eau et une statue d’un cerf aux ridicules ramures surdimensionnées. Toutes les résidences protégées sont gaies de la même manière, mais toutes les résidences protégées sont malheureuses à leur façon. Ici, c’est lorsque Justin Bieber se dispute avec Lil Za, son meilleur ami.

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Comme Calabasas s’échine à reproduire les tourments existentiels de l’adolescence, il ne reste qu’à aller au mall. Et il n’y a qu’un mall à Calabasas, le Commons – qui a servi de prototype au Grove de Los Angeles. Construit par Rick Caruso, le même promoteur immobilier, le Commons de Calabasas est un mélange de Disneyland et de Las Vegas. Son principal défaut est qu’on n’y trouve pas de Cheesecake Factory. Mais l’enseigne est présente en esprit (et à cinq kilomètres dans les Woodland Hills voisines). Calabasas a ordonné sa ville comme un Cheesecake Factory : des sols en marbre, un design rococo à souhait, des portions énormes, la gloutonnerie comme qualité suprême, et le glamour dégoulinant des fausses antiquités. Une Renaissance au bord du déclin. Au Commons, je trouve quelques personnes à qui parler, mais personne ne semble avoir envie de laisser la conversation s’éterniser. Tout le monde a fait l’expérience des fâcheuses rencontres avec les paparazzis assoiffés de ragots. Dans un restaurant, un homme me raconte que « Kelsey Kardashian » a déclenché un flash mob en allant faire un tour chez Barnes & Noble. Un barman me raconte que Jessica Simpson avait l’habitude de venir ici tout le temps.

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Les fontaines du Commons

« En général, la plupart des gens qui viennent ici sont OK », dit-il. « Mais les plus riches sont toujours les pires. Ils veulent tout gratuitement. » Il est 20 h en ce dimanche soir, et Calabasas ressemble à n’importe quelle banlieue friquée des États-Unis. Les boutiques Starbucks, Edwards Cinema et Johnny Rockets sont prises d’assaut. L’emporium du yaourt glacé est un pandémonium. On ne vient pas dans ces endroits pour boire, on s’y laisse dériver. Nous rentrons à la maison.

ÉPILOGUE

Quelques jours plus tard, j’appelle Jensen Karp, le podcasteur, galeriste et auteur d’un essai intitulé Kanye West Owes Me $300 (« Kanye West me doit 300 dollars »). Sous le nom de Hot Karl, Karp est l’unique rappeur à représenter pour Calabasas (même si techniquement, il a grandi dans une famille de la classe moyenne à Woodland Hills, et n’a étudié qu’au lycée de Calabasas). Il me fait part d’une conversation qu’il a eue avec Drake lors des ESPY Awards, dont Karp était l’un des auteurs.

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Calabasas vue du ciel

« Je lui ai dit : “Tu vis là d’où je viens !” et c’était comme si je lui avais dit que j’avais grandi dans la jungle ou à South Central », ajoute Karp. « Il n’arrivait pas à comprendre qu’il y a des gens qui ont vraiment grandi là-bas. C’est juste devenu le faubourg dans lequel atterrissent les gens lorsqu’ils deviennent riches. » Si Beverly Hills était le précédent mètre-étalon, Calabasas l’a remplacé au rang de mythe national pour les Américains. L’endroit est plus jeune et débarrassé du poids de tout le décorum conventionnel et des contraintes de classe. C’est là qu’Hollywood peut prétendre être Main Street, où la réalité se plie aux caprices de la fiction, où les caméras ne s’éteignent jamais et où les gardes du corps travaillent 24 heures sur 24. C’est ce que l’Amérique a produit de plus anesthésié, révélant en creux ses craintes et ses excès, où seuls sont bienvenus ceux qui sont invités et qui peuvent se l’offrir. « Calabasas a une façade très cool, mais si on gratte un peu, il y a une vibe surréaliste et pétrie de potins qui rappelle un peu Les Femmes de Stepford. C’est vraiment bizarre », dit Karp. « C’est comme une toile de Norman Rockwell planquée derrière une prison de haute sécurité, et dès que vous commencez à l’examiner de plus près, vous réalisez que c’est de la peinture à numéros, une contrefaçon. »


Traduit de l’anglais par Arthur Scheuer et Nicolas Prouillac d’après l’article « Welcome To The Safe House: Unlocking The Mysteries Of Calabasas And Hidden Hills », paru dans Complex. Couverture : La propriété de Kanye West à Hidden Hills.


DRAKE DANS LA VRAIE VIE

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Une semaine dans la vie du rappeur canadien, entre son concert au Coachella Festival et la préparation de son nouvel abum attendu.

I. Too Late

Je reçois un message de Drake à 00:34. « Tu fous quoi ? Viens chez moi. » « The Boy » – comme l’appellent la plupart de ceux qui l’entourent – organise une fête ce soir. Le garde à l’entrée du quartier de Hidden Hills où il réside m’informe que Drake a atteint sa limite d’invités pour la soirée. Même avec une invitation, l’accès à sa demeure demande des efforts. « Meeerde. Mec, je viens te chercher. » Quelques secondes plus tard, une Escalade noire aux vitres teintées arrive au portail. Le chauffeur baisse la vitre et scande mon nom.

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YOLO Estate, la propriété de Drake
Crédits

Le 4×4 me conduit jusqu’à l’entrée de la propriété de Drake et s’arrête dans la cour. J’aperçois un terrain de basketball, des voitures étrangères parquées dans un garage et une foule de jeunes femmes qui font la queue devant une porte latérale. Elles attendent de faire contrôler leurs téléphones par la sécurité. Je sors du véhicule et m’apprête à faire de même quand un agent m’appelle et m’escorte jusque dans la maison, dépassant la file. Je grimpe une volée de marches qui mènent à la cuisine. L’intérieur affiche des teintes de terre chaude et fait la part belle aux boiseries. Sous l’éclairage au néon, le rouge ressemble à de l’orange et le bleu à du violet. Drake est juste là, posté dans le coin de la cuisine. Il porte un survêtement OVO rouge, avec un hibou couleur d’or brodé sur le cœur. 40, Chubbs, OB O’Brien, Ryan… toutes les célébrités associées de près ou de loin à la marque sont dans les parages. Drake me salue comme si on se connaissait depuis dix ans. Ici, c’est un soir de semaine comme les autres, mais les victuailles étalées sur le comptoir font plutôt penser au buffet de fête de fin d’année d’une entreprise du Fortune 500. Raekwon est posé près de la table où est entreposée la nourriture, occupé à rouler un joint. Alors que Drake est entouré de ses amis, l’ambiance m’évoque la scène desAffranchis dans laquelle Joe Pesci fait marcher Ray Liotta. Les rires fusent par intermittence. Drake a beau rapper : « Je n’ai pas passé de bon moment depuis bien longtemps » (“I haven’t had a good time in a long time”), ce n’est pas l’impression qu’on a en le voyant ce soir.

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