La communauté de Dearborn

Dearborn, dans le Michigan, est une banlieue de Detroit qu’on surnomme parfois la « capitale arabe de l’Amérique du Nord ». On y trouve la plus grande mosquée du pays, ainsi que le Musée national arabo-américain, des cafés à l’esthétique d’inspiration moyen-orientale et de la viande halal chez McDonald’s. La ville est aussi la cible des propos alarmistes de l’extrême-droite américaine, ainsi que de commentaires et de railleries islamophobes. Au rang de celles-ci, le « correspondant » satyrique de Fox News Jesse Watters, qui apparaît dans l’émission de Bill O’Reilly, s’est rendu à Dearborn l’automne dernier pour demander à ses habitants : « Est-ce que le désert vous manque ? »

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Ronald Haddad
Crédits : cityofdearborn.com

Ron Haddad est le chef de la police locale de Dearborn, et il explique qu’on lui pose systématiquement la même question désobligeante lorsqu’il voyage à travers le pays. « À tous les coups, on vient me voir en me pointant du doigt pour m’accuser. Je n’ai encore rien dit qu’ils sont déjà en colère », raconte-t-il. « Ils me demandent : “Est-ce que les gens de ta ville te feraient part d’actes de terrorisme ?” » Ceux qui viennent tourmenter Haddad soupçonnent les musulmans de sa communauté de taire les dérives extrémistes de certains d’entre eux. Mais Haddad coupe court au débat. « Bien sûr qu’ils le font, s’il y a le moindre problème. » Car dans cette ville où près d’un tiers des 95 000 habitants sont arabo-américains, le département de police de proximité de Haddad a un réseau bien ancré de contacts au sein de la communauté, et il rend régulièrement visite aux 38 écoles de Dearborn ainsi qu’à ses nombreuses mosquées. Il est le parrain d’un programme citoyen baptisé Stepping Up (« prendre part »), qui comprend une cérémonie annuelle de remise des prix (la prochaine aura lieu le 12 avril) au cours de laquelle les habitants sont remerciés de leur investissement pour préserver la tranquillité de la communauté.

Haddad raconte qu’à au moins deux occasions au cours des récentes années, craignant l’influence sur leurs enfants de l’État islamique ou de la propagande qui circule sur Internet, des parents musulmans inquiets lui ont signalé que quelque chose n’allait pas avec leur fils. Dans un autre cas, ce sont des élèves du lycée, dont beaucoup sont musulmans, qui l’ont appelé pour lui faire part de la dérive d’un de leurs camarades. Si les choses se passent de cette façon, c’est en partie parce qu’ils ont quelqu’un à qui se confier, et parce qu’ils vivent sans distinction parmi les autres habitants de Dearborn, dit Haddad. Le programme d’aide sociale et de renseignement de Haddad est considéré comme un modèle à suivre par les autorités et les agences du contre-terrorisme américains. Et il ne s’agit là que d’une seule pièce d’un puzzle à l’échelle nationale mis en place pour tisser des liens solides au sein des différentes communautés musulmanes du pays. Peu d’Américains sont au fait de son existence. Et il y a fort à parier que le présentateur de Fox News, Bill O’Reilly, n’en a jamais entendu parler.

Les comités

Dans le sillage des attentats-suicides de Bruxelles, qui ont fait 28 morts et blessé 350 personnes, les communautés musulmanes sont revenues au centre de toutes les discussions. En Europe, des journalistes ont enquêté sur la colère qui couve au sein de certains quartiers tels que Molenbeek. Et dans la course à la présidence américaine, les sentiments anti-musulmans reviennent souvent sur le tapis – et pas seulement à cause de Donald Trump. Si le candidat à la proue du navire Républicain passe son temps à claironner : « Je vous l’avais dit » en rappelant son projet de bannir tous les musulmans du territoire américain, son plus proche rival, Ted Cruz, s’est également exprimé sur le sujet : « Nous avons besoin de renforcer le pouvoir des forces de l’ordre, pour qu’elles patrouillent et sécurisent les quartiers musulmans avant qu’ils ne se radicalisent. »

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La ville exprime sa gratitude à l’un de ses citoyens
Crédits : cityofdearborn.com

Cet étalage de haine et de suspicion a affligé les fonctionnaires de police locale, qui sont très impliqués dans l’effort contre-terroriste. En réalité, disent-ils, les communautés musulmanes sont déjà en lien avec les services sociaux, les services de police locaux et de ceux du renseignement. Loin d’être « radicalisées », elles se montrent pour la plupart incroyablement coopératives. Certaines sources au sein des autorités et des agences de sécurité intérieure interviewées pour la rédaction de cet article m’ont parlé d’un effort silencieux mais généralisé dans la lutte américaine contre le terrorisme : à Dearborn par exemple, l’approche est moins centrée sur les patrouilles et la surveillance que sur la mise en place de programmes d’aide sociale, d’échange et de renseignement bien plus sophistiqués. Résultat, les quartiers où vivent de nombreux habitants musulmans y prennent part volontiers. Cette semaine, il est prévu que le plus important de ces programmes soit effectif pour de bon : il s’agit de la constitution d’une équipe de travail interinstitutionnelle à l’initiative du département de la Sécurité intérieure des États-Unis (DHS), qui pour la première fois va injecter dans un endroit précis de l’argent et des hommes qui ont été alloués par différentes agences comme le FBI et le DHS. Dans ce cadre, le FBI va mettre en place des cellules baptisées « Comités de responsabilité partagée », qui rassembleront au sein de la même équipe des fonctionnaires de police locaux, des membres du FBI, des cellules psychologiques et éducatives, des travailleurs sociaux, ainsi que des imams et d’autres autorités religieuses pour travailler tous ensemble à l’élaboration de stratégies d’intervention. « On teste », dit un haut responsable des services de police. « Une fois que vous avez mérité la confiance d’une communauté, il faut passer à l’étape suivante. Tout l’enjeu de cette équipe est de professionnaliser ce processus, auquel nous faisons appel de façon naturelle depuis longtemps. »

Les autorités affirment que l’idée n’est pas de mettre la main sur des suspects. Bien au contraire, elles visent à se rapprocher de la source de l’aliénation, et font tout leur possible pour rattraper les jeunes embrigadés par l’EI ou d’autres propagandes radicales, et les aider à renouer avec la société grâce à la thérapie et au conseil avant qu’il ne soit trop tard. Les travailleurs sociaux et les thérapeutes pourront dans ce cadre accéder à des informations classifiées, et les Comités de responsabilité partagée discuteront, entre autres, de savoir s’il y avait une véritable intention criminelle chez le jeune ou si des mesures alternatives ne seraient pas préférables à des sanctions plus sévères. Naturellement, cette dynamique nouvelle permettra au FBI d’établir un réseau de sources fiables au sein des villes qui l’appliquent.

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Le Musée national arabo-américain
Crédits : cityofdearborn.com

Par le passé, certains projets fédéraux ont été sujets à controverse – et les responsables du FBI refusent de révéler quelles villes ont été choisies pour accueillir les comités test. Le maire de New York Bill de Blasio a annulé un programme d’établissement de profils du département de la police de la ville dont l’ACLU, l’organisme de protection des libertés américain, a dénoncé qu’il aurait fait planer des soupçons sur tous les hommes de confession musulmane (l’affaire a provoqué un échange musclé entre Cruz et le maire de New York la semaine dernière). Le représentant démocrate du Missouri Bennie Thompson, un membre haut placé du Comité sur la sécurité intérieure, a envoyé une lettre au procureur général des États-Unis Loretta Lynch, à l’automne dernier, pour l’interroger sur certains de ces dispositifs intrusifs, incluant un site du FBI appelé Don’t Be a Puppet (« Ne sois pas une marionnette ») à destination des écoles, et il a demandé plus d’informations sur les Comités de responsabilité partagée (ce à quoi le département de la Justice a répondu qu’il s’agissait d’un programme « pilote »). Car pour beaucoup de gens, l’outil principal du FBI pour démasquer de potentiels terroristes – les opérations d’infiltration musclées – appartient à un autre temps.

Une étude de 2014 réalisée par Human Rights Watch et l’Institut des droits de l’homme de l’école de droit de Columbia a démontré que « dans certains cas, le FBI a vraisemblablement créé de toutes pièces des terroristes à partir d’honnêtes citoyens en montant des opérations qui ont facilité ou inventé la volonté d’agir de la cible. (…) Dans le cas des “Newburg Four” [quatre hommes musulmans du nord de l’État de New York qui ont été attirés dans un complot et arrêtés par le FBI en 2014], un juge a déclaré que le gouvernement avait “eu l’idée du crime, fourni les moyens et levé tous les obstacles à sa réalisation”. Au cours du processus, ils ont transformé en terroriste un homme dont les intentions réelles s’apparentaient d’après le juge à “de la bouffonnerie”. » Certains fonctionnaires de police défendent ces programmes en attestant de leur efficacité, malgré la rareté des attaques de loups solitaires comme celles de San Bernardino et du marathon de Boston en 2013. Certains experts sont d’avis que des liens plus étroits avec les communautés auxquelles ils appartenaient auraient pu conduire à la détection de Syed Rizwan Farook, le tireur de San Bernardino qui cachait des armes dans son appartement ; et de Tamerlan Tsarnaev, qui a commencé, trois ans avant les attentats de Boston, à faire étalage de sa radicalité devant les membres de sa mosquée.

« Il est plus efficace de devenir ami avec les gens plutôt que de les torturer. »

Peut-être est-elle trop ambitieuse, mais l’approche de l’Amérique vis-à-vis de ses concitoyens musulmans tend à être plus nuancée que celle de certains pays européens, où la police surveille des milliers de personnes qui n’ont pour la grande majorité rien à voir avec le terrorisme. Et de nombreux observateurs sont d’avis que cette façon de faire remonte à loin, ce qui apporte une réponse à la question qu’il est légitime de se poser : étant donné que les États-Unis sont depuis longtemps l’une des cibles principales de la colère des djihadistes, pourquoi n’y a-t-il pas sur leur territoire de problèmes de terrorisme plus systématiques ?

La communauté

Il y a à cela certaines raisons évidentes. D’une part, l’Europe est physiquement rattachée à la Syrie et à d’autres foyers du terrorisme, tandis que ce n’est pas le cas des États-Unis. Depuis les premières heures d’Al-Qaïda, les terroristes ont davantage pris pour cible des bases de l’armée américaine ou ses ambassades à l’étranger plutôt que sur son sol. Mais la plupart des experts sont d’accord pour dire que l’explication vient aussi de la nature des communautés musulmanes américaines. « Je peux vous assurer sans aucun doute qu’en plus de dix ans de carrière au sein du gouvernement fédéral, les communautés arabo-musulmane et sud-asiatique américaines à travers tout le pays sont devenues parmi les ressources les plus précieuses pour la préservation de la sécurité intérieure et la promotion de nos valeurs nationales », affirme George Selim, le responsable du département de la Sécurité intérieure qui a la charge du programme interinstitutionnel. Jessica Stern, une spécialiste de Harvard qui a passé des années à étudier la radicalisation, explique que l’un des problèmes que rencontrent les recruteurs de l’État islamique aux États-Unis – où les jeunes musulmans conquis par Daech représentent moins d’un dixième des combattants étrangers à avoir rejoint les rangs de l’EI – est que « les musulmans américains sont trop heureux. Les sondages révèlent aussi qu’ils sont très patriotes. Ils sont significativement plus satisfaits de la marche du pays que les non-musulmans. Quand leurs enfants sont séduits par l’idée de rejoindre des groupes djihadistes, leurs parents n’ont souvent pas le pouvoir de les en dissuader seuls. Heureusement, dans certaines villes américaines, le personnel de police de proximité a tissé des liens de confiance avec eux. C’est un moyen de prévention efficace. »

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Le plafond du musée
Crédits : cityofdearborn.com

Stern ajoute que la relative prospérité des musulmans américains produit un contraste évident avec leurs pairs européens. La jeunesse musulmane européenne est souvent victime de préjudices au travail et plus largement au sein de la société. Ils ont plus de chance de se voir refuser un emploi ou d’être moins payés pour le même travail que les autres. Un certain nombre d’affaires qui se sont déroulées dans les récentes années aux États-Unis auraient pu prendre un tour aussi dramatique que les événements survenus dans le métro de Bruxelles, mais cela n’a pas été le cas. Certaines sources parmi la police racontent qu’en 2010, un Pakistanais naturalisé américain venu de Loudoun County, en Virginie du Nord, qui était accusé de conspirer en vue de faire exploser des bombes dans des stations de métro, a été signalé par un autre membre de sa mosquée auprès de l’association communautaire All Dulles Area Muslim Society.

Et en 2014, le FBI a été alerté par un informateur local que trois adolescents musulmans planifiaient de rejoindre les rangs de l’État islamique en Syrie. L’ancien directeur du FBI William Webster m’a confié que la réussite des initiatives du Bureau en matière d’aide sociale provenait de décennies d’entraînement au sauvetage d’otages – cette idée que le miel produit toujours de meilleurs effets que le vinaigre. « Il est plus efficace de devenir ami avec les gens plutôt que de les torturer », dit-il. Mais comme toujours, la menace évolue. John D. Cohen, qui était responsable d’un programme du DHS pour contrecarrer l’extrémisme violent, et qui enseigne à présent à l’université Rutgers, explique que la menace de l’État islamique est devenue si diffuse et ancrée sur le web qu’il n’y a plus de raison de se focaliser sur les communautés musulmanes en particulier. « Nous observons que les terroristes potentiels ne sont pas seulement issus des communautés islamiques, et qu’il n’ont pas toujours d’ascendance musulmane », explique Cohen. « Ces gens sont pour la plupart perturbés, et ce qui les attire est de voir leur vie associée à une cause. Ils ne connaissent rien à l’islam. »

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L’imam du Centre éducatif islamique Kerbalaa
Il tient dans ses mains les pages de Corans brûlés devant sa mosquée
Crédits : Aysha Jamali

C’est aussi une question d’efficacité en matière de partage d’informations. Le partage fait partie intégrante des programmes du département de la Sécurité intérieure, ce qui est beaucoup moins le cas en Europe. « Déjà, le désenchantement est plus grand chez certaines communautés issues de l’immigration en Europe, et il y existe moins de relation de confiance entre les autorités et les citoyens. Mais il y a une autre raison : depuis le 11 septembre aux États-Unis, l’information circule beaucoup mieux entre les polices nationale et locale. (…) Je suspecte que lorsque la Turquie a fait part d’informations aux autorités belges concernant les suspects, elle s’est tournée vers les services de renseignement, mais pas vers les fonctionnaires de police. Ils n’étaient peut-être pas au courant. »

Les responsables de ces programmes s’inquiètent aujourd’hui de ce que la rhétorique anti-musulmans qui plombe la campagne présidentielle pourrait saboter le travail qu’ils ont méticuleusement accompli jusqu’ici. Quand les électeurs américains jettent un œil anxieux vers ce qui se passe à l’étranger, ils voient des explosions, des djihadistes qui en réclament la paternité, des échos du 11 septembre… Et dans un pays qui compte moins d’1 % de citoyens musulmans, s’apercevoir du fait que les communautés musulmanes sont horrifiées et inquiètes au même titre que les autres Américains n’est peut-être pas aisé. Mais elles font en réalité beaucoup plus pour le renseignement que d’autres communautés. Haddad et ses collègues ont avant tout peur que cette nouvelle vague de politiciens ouvertement islamophobes puissent raviver la radicalisation qu’ils ont travaillé si durement à neutraliser. Jusqu’ici, leurs efforts semblent pourtant porter leurs fruits : Charles Kurzman, sociologue à l’université de Caroline du Nord, explique que même le nombre relativement faible de musulmans américains à avoir été attirés par l’idéologie de l’État islamique a baissé récemment. « Le nombre de ceux qui cherchent à partir à l’étranger [vraisemblablement pour grossir les rangs de l’organisation] a fait un léger bon entre la moitié de l’année 2014 et la moitié de l’année 2015, avant de chuter fortement dans la seconde moitié de 2015 », dit-il. L’une des possibles raisons à cela est que « l’attrait de l’État islamique a diminué en raison des images de violence et de brutalité qu’ils propagent ». ulyces-dearborn-06 La rhétorique de certains hommes politiques, dit Haddad, « est bien plus blessante pour la communauté que pour moi ». « Je me sens mal pour eux. Il est difficile d’ignorer ce genre de choses quand on les rabâche 24 heures sur 24 sur les chaînes câblées. Les gens sont très mal informés. »


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac d’après l’article « Inside the FBI’s Secret Muslim Network », paru dans POLITICO Magazine. Couverture : L’Islamic Center of America.


CES TROIS ADOS DU MICHIGAN VOULAIENT FUGUER EN SYRIE

ulyces-teenagejihad-couv01 reit   Comment trois adolescents sans histoire ont lentement dérivé avant de tenter de rejoindre les rangs de l’État islamique en Syrie. I. Un matin d’octobre Le jour où il décida d’accomplir son voyage sacré, sa hijra vers l’État islamique, Mohammed Hamzah Khan, 19 ans, se réveilla avant l’aube dans sa maison de Bolingbrook, une banlieue de Chicago (Illinois). Il marcha jusqu’à la mosquée voisine pour prier. C’était le samedi 4 octobre 2014, par une matinée inhabituellement fraîche. Hamzah, jeune homme mince à la barbe noire bien taillée, était habillé pour un temps plus clément avec ses jeans, ses bottes et son sweat-shirt gris. Car, à la fin du jour, il serait parti pour de bon : il aurait quitté ses parents, ses amis, son pays et tout ce qui lui était familier pour un avenir incertain dans « le territoire sacré du Shâm », comme il appelait la Syrie. Il entraînerait avec lui son frère adolescent et sa sœur. « Allahou akbar », invoquait-il en compagnie des hommes de sa famille en tentant de chasser ses doutes : « Dieu est grand. » Enfermée dans sa chambre, en haut de la petite maison à deux étages des Khan, Mariyam*, la sœur de Hamzah, âgée de 17 ans, achevait elle aussi sa prière : « Amen. » Puis, habillée d’une longue tunique et d’un pantalon de tissu léger, elle noua un foulard sombre autour de ses cheveux noirs et ondulés, puis elle attendit que son frère revînt à la maison. Mariyam était une jeune fille délicate, aux yeux sombres étincelants, dotée d’une peau parfaite et d’un sourire radieux, ce que presque personne d’autre que sa famille ne voyait jamais en raison du niqab, le voile qui couvrait son visage. Bientôt, si tout se passait comme prévu, Mariyam serait probablement mariée à un djihadiste. Elle avait inspecté sa peau, à la recherche du moindre bouton. À quoi ressemblerait son mari ? Elle espérait qu’il serait beau et barbu comme Hamzah.

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Le centre commercial de Bolingbrook

Quand les hommes revinrent de la mosquée, juste avant six heures, Mariyam patienta jusqu’à ce qu’elle entende son père retourner au lit. Alors, pendant le court instant qui précédait le réveil de ses parents, elle plaça quelques oreillers sous ses couvertures pour faire croire qu’elle dormait encore et elle repassa mentalement la liste de ce qu’elle devait emporter : des vêtements (pour cinq jours), des bottes, des chaussettes chaudes, une brosse à dents, une brosse à cheveux, son niqab, son hijab, le Coran et deux tubes de mascara Maybelline Great Lash (juste au cas où elle s’enfuirait). Elle enfila une abaya noire et sa veste à capuche préférée, celle aux motifs léopard, et jeta un dernier regard à sa chambre. Puis elle attrapa sa valise, descendit les escaliers à pas de loups, se glissa par la porte avec ses frères et fila vers l’aéroport dans un taxi. Les trois enfants Khan (*le prénom des deux plus jeunes a été changé car ils sont mineurs) avaient préparé leur voyage depuis le printemps, en communiquant par Internet avec des gens qu’ils croyaient être des sympathisants de l’État islamique en Syrie. Pendant ce temps, ils obtinrent secrètement des passeports, des visas et, la semaine précédant leur départ, trois billets d’avion pour Istanbul, pour un coût total de 2 600 dollars payés avec l’argent que Hamzah avait économisé grâce à son travail dans un magasin d’articles ménagers. Une fois en Turquie, leur plan prévoyait de voyager en bus depuis Istanbul jusqu’à la ville d’Adana, à douze heures de route. Là-bas, ils appelleraient un numéro de téléphone que leur avait donné l’un des sympathisants de l’État islamique rencontré sur la toile. « Et après… eh bien… j’en sais rien », admit Hamzah plus tard, devant le FBI.

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