Août 2014. Le combat pour la ville de Jalula dans le nord de l’Irak a donné lieu à l’un des plus féroces affrontements dans la guerre expansionniste de l’État islamique. Depuis juin, les combattants kurdes peshmergas et les miliciens de l’EI ont tour à tour pris le contrôle de la cité historique, située à 170 kilomètres au nord de Bagdad et à peine 5 kilomètres de la frontière iranienne. L’histoire de l’endroit est terrible. Et pour les Kurdes, tout particulièrement, Jalula revêt une importance symbolique. La politique d’arabisation du régime baassiste de Saddam Hussein a conduit de nombreuses familles kurdes à quitter la ville. Aujourd’hui, les supporteurs irakiens de l’État islamique comptent en leur sein beaucoup d’anciens Baassistes. C’est notamment pour cette raison que les soldats pesh se sont montrés inflexibles dans leur lutte pour conserver la ville.

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Crédits : Google

Ce rude combat a également mis en lumière les divisions internes des Kurdes. Au début de l’été, les Peshmergas incluaient des troupes loyales au Parti démocratique du Kurdistan (PDK) ainsi que des combattants liés au parti rival de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK). Mais désormais, les Pesh du PDK se sont retirés, laissant les forces de l’UPK se battre seules. Après des mois de combats de rues, l’État islamique a bouté les Peshmergas hors de Jalula. Mais les forces kurdes tiennent bon aux portes de la cité et de là, échangent des tirs d’artillerie et de mitrailleuses avec les miliciens postés dans la ville. Dans les deux camps, les snipers rôdent, laissant planer sur leurs ennemis la menace d’une mort soudaine. En tant que photographe en Irak envoyé par War Is Boring, j’ai arpenté la zone entourant Jalula pendant plusieurs semaines. Ce reportage devrait clarifier une chose : la bataille pour cette ville symbolique est emblématique. Et la guerre contre l’État islamique pourrait durer encore longtemps.

Notre terre

16 août. Le bureau du général Hussein Mansoor, l’homme à la tête des Peshmergas de l’UPK à Khânaqîn – la base principale des Kurdes aux abords de Jalula –, est plus agité qu’à l’accoutumée. Mon interprète passe un coup de téléphone et nous traversons la ville pour rejoindre une autre base, qui appartenait auparavant aux Peshmergas du PDK. Lors de notre précédente visite, il n’y avait ici qu’un garde armé d’une Kalachnikov. Aujourd’hui, l’endroit est rempli de soldats pesh.

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Des soldats pesh, par Matt Cetti-Roberts

L’un d’eux nous conduit dans un palace, qui semble avoir été autrefois la demeure de quelqu’un de très riche. La vaste salle de réception est peuplée de hauts fonctionnaires de l’UPK, dont certains portent l’uniforme et d’autres des habits civils. Nous nous asseyons pour converser brièvement avant qu’un homme d’apparence modeste ne fasse son entrée, vêtu d’une robe traditionnelle. Alors que nous échangeons une poignée de main, on nous le présente comme étant le général Mahmood Sangari, le commandant du secteur, en charge des 150 kilomètres de la ligne de front, comprenant Jalula. Sangari nous informe que pour l’heure, les Peshmergas prêtent main forte à l’armée irakienne, afin de protéger le territoire des Kurdes. « L’armée irakienne nous attaquerait, si l’État islamique n’était pas à Mossoul », dit-il. En terme de ravitaillement, le général nous confie que ses soldats n’ont reçu en tout et pour tout que deux mitrailleuses lourdes et quelques roquettes Katioucha. Et il n’est même pas certain de l’identité de ses bienfaiteurs. « Nous avons besoin de tout ce que nous pouvons trouver. Nous attendons constamment l’arrivée de plus d’armes. »

Beertwata nous raconte que la nuit dernière, les Peshmergas ont livré bataille durant trois heures contre les miliciens.

Il affirme que ses soldats n’ont pas reçu d’aide de la part des Américains… du moins pas encore. « On voit les Ricains dire à la télé qu’ils vont agir, peste-t-il. Nous sommes en pleine guerre contre le terrorisme, ils devraient nous aider, mais on ne voit toujours rien venir. » Sangari ajoute que l’État islamique a la ferme intention d’infiltrer la Turquie, le Yémen et d’autres pays musulmans. « Ils veulent contrôler toutes les zones musulmanes, dit-il. Leur plan est ensuite de déclencher le djihad contre l’Europe. Si les Peshmergas n’étaient pas là, l’EI aurait toute latitude pour agir. » Mais à ses yeux, ce combat est une affaire profondément personnelle. « Nous devons attaquer et reprendre nos terres, proclame le général. Nous voulons un Kurdistan historique. Notre terre. »

Un aller-retour

Nous demandons à voir la ligne de front. Les généraux s’entretiennent entre eux. À cette heure du jour, c’est un endroit dangereux, disent-ils. L’activité milicienne s’accroît dans la soirée. Sangari suggère d’y retourner au matin, nous serons plus en sécurité. Mais l’un de ses officiers, le brigadier Salmad Beertwata, propose de nous conduire jusqu’à une autre section du front. Les combattants pesh nous accompagnent à bord d’un pick-up Toyota. Six soldats s’entassent à l’arrière du véhicule et nous prenons la route. « Les gens pensent que nous entretenons de bonnes relations avec Israël, mais ce ne sont que des mots », me confie Beertwata alors qu’il conduit. « Nous avons entendu parler de la présence de soldats américains [au Kurdistan], mais nous ne les avons pas vus. C’est ici, la ligne de front. Et où sont-ils ? » Nous dépassons une école. Dans la cour, un camp est installé pour accueillir les réfugiés de Jalula. Plus loin sur la route, un autre campement a été dressé. Un cerf-volant virevolte dans le ciel, signe que des enfants tentent de se divertir.

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Un camp de réfugiés, par Matt Cetti-Roberts

Nous traversons des villages à la sortie de Khânaqîn. Beertwata nous explique qu’ils abritent pour la plupart des communautés chiites, ainsi que des Kurdes. Et finalement, nous arrivons à un avant-poste peshmerga, adossé à une crête. Nous pouvons apercevoir d’autres postes, de part et d’autre de notre position, munis de mitrailleuses lourdes ainsi que d’un canon sans recul, monté sur un pick-up. Les armes sont braquées sur Jalula, qui se dessine dans le lointain. Alors que nous descendons du véhicule, un soldat peshmerga bedonnant s’approche de moi et me sert la main, avant de demander : « Chonee beshee kaka ? » Il m’embrasse sur la joue, à la manière dont les Kurdes saluent leurs frères. Je réalise que j’ai déjà rencontré cet homme avant. C’est un vétéran de 37 ans du nom d’Alwat, avec qui j’ai échangé des histoires militaires alors que nous nous trouvions tous deux à Khânaqîn, lors de ma précédente venue. Il m’adresse un large sourire et me serre chaleureusement la main. Même s’il ne doit pas connaître plus d’une dizaine de mots anglais et que mon vocabulaire kurde n’est guère plus étoffé, nous parvenons à nous dire que tout va bien pour nous. Autant que faire se peut.

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Le poste de combat, par Matt Cetti-Roberts

Ici, les postes de combat sont loin de ressembler à ceux que contrôlaient les Peshmergas entre les murs de Jalula. Lorsqu’ils se battaient dans la ville, ils vivaient dans des maisons civiles et des bâtiments officiels. Sur la crête, un peloton kurde vit en plein air, sous les feux du soleil. Cette partie de l’Irak, la région de Garmian, tire littéralement son nom du mot kurde signifiant « chaud ». Des volutes de fumée s’élèvent à l’horizon. Beertwata nous raconte que la nuit dernière, les Peshmergas ont livré bataille durant trois heures contre les miliciens. Quelque chose brûle encore. Alors que nous retournons à Khânaqîn, Beertwata fait halte sur le bord de la route, pour s’adresser à un groupe d’hommes armés vêtus de costumes traditionnels kurdes. La plupart d’entre eux portent des fusils de précision russes Dragunov.

« Trois combattants pesh sont morts aujourd’hui. » — Aras Talabani

« Les gars qui se rendent sur le front sont des volontaires, dit Beertwata. Ils veulent aider les Peshmergas. » « Ils aiment se battre », ajoute-t-il un instant plus tard. Beertwata nous explique que les volontaires attendront que vienne l’obscurité pour tenter de prendre par surprise les miliciens dans Jalula. Alors que nous reprenons la route, il nous fait part de sa perplexité quant aux volontaires partis rejoindre les rangs l’autre camp. « J’ai du mal à comprendre pourquoi certains musulmans d’Europe rejoignent l’EI, dit-il. Ils ont une vie si confortable là-bas… mais ils viennent malgré tout. »

Le contrôle

Six jours plus tard, le 22 août, les Peshmergas nous informent qu’il est trop dangereux d’aller sur le front. À la place, ils nous emmènent à la rencontre d’Aras Talabani, un neveu de Jalal Talabani, fondateur du parti de l’Union patriotique du Kurdistan et ancien vice-président irakien. « L’opération d’aujourd’hui s’est bien passée, dit Talabani. Toutes les zones autour de Sadia et Jalula sont sous contrôle peshmerga. » Il nous explique que les Peshmergas de l’UPK ont mené l’opération aux côtés d’agents du renseignement de l’Asayesh et d’un détachement du Groupe d’élite antiterroriste kurde. « Nous n’avons aucun contact avec les Iraniens », dit Talabani, niant catégoriquement l’implication des Iraniens dans la bataille. Pourtant, Jasseem Al Salami, de War Is Boring et Al Jazeera ont tous deux fait état de troupes iraniennes traversant la zone aux abords de Jalula.

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Un combattant kurde aux abords de Jalula, par Matt Cetti-Roberts

Sans compter que les Peshmergas en poste près de Jalula n’ont pas bénéficié des frappes aériennes américaines, au contraire des troupes pesh combattant plus à l’ouest. « Les États-Unis ne nous sont d’aucune aide dans le coin, affirme Talabani. Peut-être est-ce parce qu’il n’y a aucun chrétien par ici… » Il ajoute qu’en revanche, l’armée irakienne leur fournit un soutien aérien. Les Peshmergas ont mis sur pieds une salle d’opérations depuis laquelle ils sont directement en contact avec Bagdad. « Nous entretenons pour le moment de bonnes relations avec l’armée irakienne, dit Talabani. Elle nous a apporté son soutien avec de l’artillerie et des frappes aériennes. » Il fait aussi mention du fait que les Irakiens ont envoyé des chasseurs Sukhoï à la rescousse. « Même si les Sukhoï sont arrivés trop tard pour le combat aujourd’hui… » Il me raconte qu’il se rend souvent en avion à Bagdad, pour rencontrer des responsables irakiens. « J’ai des amis sunnites. Ils ne portent pas l’EI dans leurs cœurs. Et ils disent que le nouveau Premier ministre irakien est meilleur que Maliki. » Mais il est conscient que les sunnites attendent que le gouvernement leur prouve sa volonté de les soutenir, avant de se lancer dans la lutte contre l’État islamique. Talabani explique que les Peshmergas du Parti démocratique du Kurdistan qui étaient à Khânaqîn et Jalula ont vidé les lieux il y a deux semaines. Désormais, l’UPK est seul en scène.

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Pause cigarette, par Matt Cetti-Roberts

« Trois combattants pesh sont morts aujourd’hui, dit-il. L’un d’eux a été tué par un sniper et un autre par un EEI (Engin explosif improvisé, ndt) abandonné par les miliciens de l’État islamique. Les rues sont pavées de bombes. » Talabani insiste sur le fait que l’UPK à Khânaqîn n’a reçu aucun des ravitaillements promis par les Occidentaux. « Peut-être que les armes envoyées par d’autres pays sont destinées aux Peshmergas du PDK, je ne sais pas », avance-t-il. Mais malgré cette aide minime, il dit être satisfait des progrès réalisés par les Peshmergas: ils contrôlent les routes entre Jalula et Sadia. « La plus grande partie de Jalula et Sadia étant encerclée, cela ne laisse qu’un étroit corridor pour que les miliciens prennent la fuite », explique-t-il. « Nous ne sommes pas pressés de prendre Jalula, poursuit Talabani. Nous voulons juste contrôler et ouvrir les routes : l’EI n’a nulle part où aller. »

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23 août. « Les Peshmergas n’ont toujours pas repris Jalula, mais nous y sommes presque », nous dit un officier des renseignements kurdes. Nous nous trouvons au point de contrôle de Zarow, non loin de Khânaqîn, qui surplombe une route qui serpente le long d’un corridor, près de la frontière iranienne. Un soldat détaché de l’armée irakienne se joint aux Peshmergas qui assurent habituellement le contrôle.

Dans Jalula, il ne reste que les miliciens de l’EI, ses 82 000 habitants ayant fui la ville.

La circulation fait route vers Bagdad et le reste de l’Irak. Certains des camions vont parfois loin dans le sud, jusqu’à Bassora. C’est l’un des rares itinéraires directs qui subsistent entre le nord et le sud. Les gardes nous informent que des combats ont récemment eu lieu à proximité du point de contrôle, mais ils ont cessé à présent. D’après leurs dires, ils peuvent désormais appeler pour demander un soutien aérien des Irakiens. « Nous n’avons pas repris Jalula, mais nous contrôlons l’accès à ces zones, dit Sherko Merwis, le chef du parti de l’Union patriotique du Kurdistan à Khânaqîn. Nos informateurs ont rapporté que la situation pour l’EI à l’intérieur de la ville est désastreuse. » Il explique que les miliciens cherchent à attirer les Peshmergas dans des affrontements de rues sanglants – un hameçon auquel les soldats pesh n’ont pas mordu. Il affirme que seules des bombes placées au bord des routes ont tué des combattants peshmergas au cours des récentes opérations. « À présent, l’objectif est de chasser peu à peu l’EI du district, dit-il. Nous voulons perdre le moins possible de nos combattants, et nous voulons contrôler les routes. » Il a été rapporté que des miliciens du PKK kurde – que de nombreux pays considèrent comme un groupe terroriste – se sont joints au combat, mais Merwis le réfute. « Le PKK souhaite se joindre à nous, mais nous ne le permettons pas. Nous leur avons dit que nous étions suffisamment forts ici, et que nous n’avions pas besoin d’eux. »

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Le contrôle des routes, par Matt Cetti-Roberts

Dans Jalula, il ne reste que les miliciens de l’EI, ses 82 000 habitants ayant fui la ville, d’après lui. « Cela nous permet d’utiliser des armes lourdes sans appréhension. » Merwis dit que l’UPK considère les Arabes de la région – ceux d’entre eux qui vivaient ici avant les programmes d’Arabisation de la région – comme ses amis. « Nous défendons tout le monde. Nous ne faisons aucune différence entre les gens. » Mais cela ne signifie pas pour autant que tout le monde vit en bons voisins, ici à Khânaqîn. « Les autres Arabes, Saddam les a faits venir, explique Merwis. Ils se sont emparés des maisons kurdes. Et nous nous débarrasserons d’eux. » Il cite en particulier la tribu Karway. D’après lui, une centaine de ses membres se battent pour le compte de l’État islamique. Mais la loyauté des 10 000 individus que compte la tribu est tiraillée entre les deux camps. Certains d’entre eux aident les Pesh à traquer les combattants, peut-être dans un souci de gagner leur faveur. La situation est compliquée, et Merwish sait bien que les rangs des miliciens comptent même des djihadistes kurdes.

Une bataille de longue haleine

Tout près de là, Mullah Bakhtiar reçoit des invités. Bakhtiar est un membre du politburo de l’UPK, et vit aux portes de Khânaqîn. « La bataille est cruciale car elle se déroule tout près de Khânaqîn, dit-il. Si l’EI venait par ici, ce serait comme à Sinjar. » Au début du mois d’août, l’État islamique a encerclé des dizaines de milliers de réfugiés de la minorité yézidi dans les montagnes, contraignant les États-Unis et d’autres pays à procéder à des frappes aériennes. « Il y a de nombreuses minorités ici, dit le politicien de Khânaqîn. L’EI voudrait les tuer toutes. »

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L’attente, par Matt Cetti-Roberts

Il ajoute que les membres réguliers de l’UPK seraient eux aussi pris pour cible, car les miliciens considèrent que tous les membres de l’UPK socialiste sont athées – en réalité, de nombreux membres de l’UPK sont des musulmans pratiquants. « Ce genre de terroristes ont des idées radicalement différentes des nôtres, nous explique Bakhtiar. Certains d’entre eux croient qu’ils iront au paradis s’ils meurent au combat. Combattre ce genre d’individus est difficile dans les premiers temps, mais nous apprenons peu à peu. » À l’instar de nombreux dirigeants kurdes, il déplore les ravitaillements au compte-gouttes. « Certaines des armes finissent entre les mains de l’UPK, mais pas une seule n’est arrivée à temps pour notre bataille », dit-il.

En dépit de la coopération des Kurdes avec les forces irakiennes, Bakhtiar affirme que rien n’a changé entre le Kurdistan et Bagdad.

Le conflit actuel a réuni de nombreuses factions kurdes divisées jusqu’ici. Il est reconnaissant envers le PKK d’avoir grossi les rangs de l’UPK à Kirkuk, d’avoir aidé les Yédizis à Sinjar et d’avoir pris part aux opérations à Makhmour. Mais il est moins tendre lorsqu’il parle du PDK décisionnaire. « Le PDK et l’UPK combattent l’EI de différentes façons. Dès le début, l’UPK s’attendait à des problèmes. Mais pas le PDK. Nous savions que l’État islamique donnerait l’assaut avant les événements de Mossoul, mais personne ne nous a écoutés. » Il pense également que la chute de Sinjar et de Hamdaniya, qui étaient sous la protection du PDK, a affaibli leur soutien. « Tout spécialement parmi les Yézidis, mais aussi parmi le reste de la population du Kurdistan. L’influence du PKK est plus forte à Sinjar depuis ce qui s’y est passé. » En dépit de la coopération des Kurdes avec les forces irakiennes, Bakhtiar affirme que rien n’a changé entre le Kurdistan et Bagdad. « La question de l’autonomie du Kurdistan n’a rien à voir avec notre combat contre l’EI. Nous nous battons pour les gens. Si le désir d’abandonner la lutte se fait sentir, nous le ferons sans hésiter. » « Mais nous devons convenir d’un référendum pour les zones disputées [sur le fait de rejoindre le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) ou de rester en Irak], ajoute Bakhtiar. S’ils acceptent, c’est une bonne chose. S’ils refusent, ce sera grave, car c’est notre droit. » Une délégation médicale du ministère de la Santé du GRK accompagne Bakhtiar. Un membre de longue date de la délégation m’informe que trente-cinq Peshmergas ont été blessés durant les combats. « Les blessés sont transportés dans des hôpitaux tels que ceux de Khânaqîn et de Kalar pour recevoir des soins, explique le délégué. Et si davantage de soins sont requis, ils sont acheminés à l’hôpital de Sulaymaniyah. »

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Une sentinelle peshmerga près de Khânaqîn, par Matt Cetti-Roberts

De nombreuses communautés autour de Khânaqîn, comme Bahari Taza, ont accueilli des réfugiés fuyant les combats qui ont éclaté à l’ouest. La chute de Jalula n’a fait qu’ajouter à la tension dans la région. « Il y a également beaucoup de gens déplacés des villes, ainsi que des réfugiés syriens, dit un agent médical. Nous devrions recevoir des ravitaillements en provenance de Bagdad, mais ils sont réduits à cause des conflits et des routes. » « Parfois, l’armée irakienne et la milice chiite retiennent les ravitaillements, et pas toujours pour des raisons claires, poursuit-il. Lorsqu’ils sont arrêtés, les Peshmergas doivent passer des coups de fil pour qu’ils les relâchent. » Le délégué me confie que le GRK n’est pas en capacité de s’occuper seul des réfugiés. Jusqu’ici, ils n’ont rencontré aucun cas préoccupant de maladie, mais il explique que Mossoul est une zone à forte occurrence de rougeole. Un grand nombre d’habitants de Mossoul ont trouvé refuge au Kurdistan, ce qui les fait craindre une épidémie. Le ministre de la Santé tente de prévenir toute situation incontrôlable.

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24 août. Polad Talabani dirige le Groupe d’élite antiterroriste kurde. Le groupe est techniquement sous contrôle de l’UPK, mais il représente un atout pour le GRK, car ils compte parmi ses membres des gens de toute la région. Des commandos britanniques et américains ont aidé à la fondation du groupe. Reprendre une ville comme Jalula devrait être simple, pense Talabani. Il dit que le Groupe d’élite antiterroriste et les soldats du PKK ont nettoyé Makhmour en à peine une heure et demie, en s’associant. Tenir une ville, voilà qui est plus difficile. Il dit trouver étrange l’échec des forces peshmergas du PDK à Khânaqîn. D’après Talabani, l’État islamique inclut d’anciens membres des forces spéciales irakiennes – dont certains ont été entraînés par les Américains. Il m’informe aussi que certains des combattants de la tribu Karway qui combattent aux côtés des miliciens sont des vétérans de l’armée de Saddam Hussein. Nombre d’entre eux sont formés au tir de précision et au maniement des explosifs.

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Des gardes peshmerga au point de contrôle de Zarow, par Matt Cetti-Roberts

D’après lui, les miliciens utilisent des fusils de précision de calibre .50 et sont réputés pour savoir s’en servir. Il affirme avoir vu une fois un milicien tirer dans le moteur d’un véhicule avant de faire feu immédiatement après sur le chauffeur. Il ajoute que les islamistes repèrent souvent leurs cibles au moyen de GPS, leur permettant d’effectuer des tirs d’une précision effroyable. Le directeur du Groupe d’élite antiterroriste kurde met en garde contre le fait que même si les Peshmergas, l’armée irakienne et les forces aériennes occidentales écrasent les miliciens sur le champ de bataille, ils pourraient bien revenir sous la forme d’une insurrection. La bataille pour Jalula a été longue, mais la guerre ne fait peut-être que commencer. Le dimanche 23 novembre 2014, les forces peshmergas ont finalement repris Jalula, forçant les troupes de l’État islamique à fuir en direction de la rivière Diyala et du mont Jabal Qaraj.


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « The Battle for Jalawla Never Ends », paru dans War Is Boring. Couverture : Des soldats kurdes et leur mitrailleuse lourde à bord d’un pick-up, par Matt Cetti-Roberts. Création graphique par Ulyces.