L’année ne pourrait pas plus mal commencer à Hong Kong. Ce mercredi 6 janvier 2021, des dizaines de militants et politiciens pro-démocratie (53 au total) ont été placés en état d’arrestation en vertu de la « loi sur la sécurité nationale » instaurée par Pékin sur l’île le 1er juillet. Plus d’un millier de policiers ont été déployés pour mener cette vaste opération destinée à mater les opposants les plus vigoureux au régime chinois.

« Pékin n’a pas toujours pas appris de ses erreurs à Hong Kong : la répression ne génère que plus de résistance », a déclaré Maya Wang, spécialiste de la Chine au sein de l’organisation Human Rights Watch. « Des millions de Hongkongais vont continuer leur combat pour le droit de voter et de se présenter aux élections, afin de former un gouvernement élu démocratiquement. » La route est semée d’obstacles dramatiques pour les partisans de la démocratie à Hong Kong.

Angles morts

Dans les rues de Hong Kong, la tension est palpable. Joshua Wong, figure iconique du combat pour la liberté de la péninsule – arrêté ce mercredi 6 janvier 2021 –, ne cesse de surveiller ses arrières. Entre deux réponses pour les journalistes anglais, il s’agite et tourne sa tête en vérifiant tous les angles morts du véhicule où il se trouve en ce mois de juillet 2020. « On est suivis ? Qui est derrière nous ? » répète le militant pro-démocratie. Il sent que l’étau se resserre et que les mailles du Parti communiste chinois vont bientôt se refermer sur lui.

Le 30 juin dernier, le gouvernement chinois a imposé la loi de sécurité nationale à Hong Kong. « Cela marque la fin de Hong Kong tel que le monde la connaissait », réagissait alors Joshua Wang sur son compte Twitter. Désormais, les Hongkongais ont deux possibilités : partir ou se soumettre aux restrictions du gouvernement chinois. Dans cette ancienne colonie britannique qui a le statut de « territoire indépendant » chinois, exprimer une opinion dissidente est devenu risqué.

« Hong Kong est autonome d’après sa constitution, mais vient de se faire imposer une loi sans même être consultée », insiste Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Pour faire appliquer ce texte, l’article 48 établit une agence de sécurité nationale dont le personnel est intégralement issu de l’administration et du Parti communiste chinois.

« Ces gens sont au-dessus de tout, même de la police », insiste le chercheur. « C’est l’œil de Pékin, dirigé par le parti communiste, mis en place à Hong Kong pour y mener ses propres enquêtes de la façon dont il l’entend. » Or personne ne connaît exactement les actes répréhensibles en vertu de la loi de sécurité nationale. D’après l’éditorialistePeter Kammemer, « la loi a été conçue de manière à ce qu’on ne sache pas exactement ce qui constitue une violation et ce qui pourra être réprimé comme tel. »

Les sanctions encourues par les habitants de Hong Kong vont de la simple amende aux dix ans de prison en passant par la « détention en école de rééducation ». Il suffit d’agiter un drapeau pro-indépendance ou de chanter un slogan pro-démocratie pour craindre une sanction. Une entreprise peut aussi voir son activité suspendue si elle transgresse la loi.

Joshua Wong (à gauche)
Crédits : Iris Tong

Les gens ont donc tendance à se censurer. Par exemple, les librairies ont retiré des livres d’écrivains associés au mouvement pro-démocratie puisque la loi de sécurité nationale criminalise tout ce qui pourrait se rapporter à de la sédition voire à du terrorisme. Dans les bibliothèques, les éditeurs eux-mêmes ont décidé de condamner tous les ouvrages dont les titres comportaient certains mots comme liberté ou révolution. 

« Un journaliste qui demande l’indépendance, ça peut être considéré comme un crime », précise Marc Julienne. Joshua Wong craint par exemple d’être arrêté et extradé dans une geôle de Pékin. Lundi 27 juillet, à un mois et demi des élections législatives prévues le 6 septembre, le militant a répondu à une lettre des autorités organisant le scrutin qui questionnait son positionnement politique. « Je n’ai pas l’intention d’utiliser le pouvoir de pays étrangers pour faire pression sur la Chine ou Hong Kong », a-t-il écrit pour s’éviter des problèmes. « Je n’ai jamais demandé le soutien de puissances étrangères pour m’engager dans des activités politiques. »

Malgré la pression de Pékin, 600 000 Hongkongais ont participé dimanche 12 juillet aux primaires du camp démocrate pour les prochaines législatives. Un signal fort envoyé par la population du territoire pour croire en la possibilité d’élections libres et ouvertes. Mais la cheffe de l’exécutif de Hong Kong Carrie Lam s’est montrée très claire : « La simple volonté de l’opposition pro-démocratie de remporter la majorité au futur parlement pour y contester les choix faits par Pékin pourrait être considérée comme illégale selon la nouvelle loi sécuritaire ». Mardi 28 juillet, elle a annoncé le report probable du scrutin pour des raisons sanitaires. Pour Joshua Wong, c’est « une excuse » et « un mensonge ».

Baroud d’honneur

Joshua Wong est né en 1997, l’année de la rétrocession de Hong Kong à la Chine par Londres. Selon l’accord conclu entre les deux grandes puissances, le territoire doit préserver son propre mode de vie et son propre système économique et législatif pour les 50 prochaines années, c’est-à-dire jusqu’en 2047. « La Chine s’engageait à appliquer un mode d’administration politique, sociale, culturelle… qui devait être différent de celle en vigueur en République populaire de Chine », rembobine Marc Julienne.

Hong Kong et le Parti communiste chinois n’avaient alors rien en commun. « Il s’agissait de deux systèmes complètement différents pour un même pays, même l’accès à l’internet mondial n’était pas le même », précise le chercheur de l’IFRI. La constitution dispose que Hong Kong doit voter ses propres lois. Celle de la sécurité nationale, imposée par le Parti communiste chinois le 30 juin dernier, représente en ce sens une véritable rupture : Pékin n’a absolument pas consulté le gouvernement de Hong Kong, ni même son organe législatif.

Cela fait des années qu’il cherche à étendre son influence sur Hong Kong. En 2011, alors qu’il n’avait que 14 ans, Joshua Wong a fondé un groupe d’étudiants militants nommé Scholarism avec des camarades du lycée. Le groupe organisait des manifestations contre l’introduction de cours d’éducation morale et nationale, prévus pour la rentrée de septembre 2012. Pour Joshua Wong, c’était du « lavage de cerveau ». Après avoir obtenu l’abandon du projet, le jeune homme a fondé le parti politique Demosisto avec ses amis. 

Ce dernier a proposé un référendum pour déterminer la souveraineté de Hong Kong après 2047. L’année dernière, le parti a organisé la première manifestation contre le projet de loi du gouvernement, visant à faciliter les procédures d’extradition vers Pékin. Après un mois derrière les barreaux, Joshua Wong a été libéré le 17 juin 2019 et a relancé les manifestations jusqu’à ce que Carrie Lam n’annonce enfin, le 4 septembre 2019, le retrait définitif du projet de loi d’extradition.

Carrie Lam
Crédits : Iris Tong

Mais Wong n’a rien pu faire contre loi sur la sécurité nationale. « Cette loi est 100 fois pire que la loi de l’extradition », s’alarme Marc Julienne. « Avant, Pékin n’avait que très peu de marge de manœuvre. Le parti communiste pesait sur Hong Kong en termes d’influence, de désinformation, de renseignement, mais c’était très limité. Maintenant, cette agence créée est le bras armé de Pékin avec une large capacité de manœuvre, presque sans limite. »

Pour ne pas risquer l’emprisonnement à perpétuité, Joshua Wong a démissionné de Demosisto le 30 juin dernier et a dissous le parti. Certains de ses membres comme Nathan Law ont fui à Londres, mais Joshua Wong a décidé de rester. Mercredi 1er juillet, Boris Johnson a annoncé que le Royaume-Uni allait procéder à l’extension des droits à l’immigration, facilitant l’accès à la citoyenneté britannique pour les habitants de Hong Kong titulaires d’un passeport spécial. Trois millions de résidents de l’ex-colonie britannique y sont éligibles.

De leur côté, les États-Unis se servaient de Hong Kong comme d’une plateforme commerciale avec la Chine, tout en lui garantissant le rôle de grand centre financier. Mais ce statut préférentiel à été abandonné par Washington après la mise en place de la loi sur la sécurité nationale. Josep Borrell, le haut-représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, a déclaré que les agissements de la Chine mettaient en péril la confiance entre l’UE et la Chine.

Pour les Hongkongais, la situation incline au pessimisme. « Le Hong Kong que l’on connaissait est déjà révolu. À moins d’un virage historique, comme la chute du parti communiste, je doute que l’on voie une amélioration de ce qui se passe », conclut Marc Julienne. Le 21 juillet dernier, la police a empêché la commémoration d’une manifestation pro-démocratie qui a eu lieu il y a un an. « Ces libertés sont perdues », déclare Kammemer, « et elles ne reviendront pas sous le régime actuel ». Joshua Wong veut encore croire le contraire.


Couverture : Studio Incendo