Macao, 8 septembre 2015. Dans le luxueux Venetian Resort, le géant des jeux Hasbro organise la 14e édition de ses Championnats du Monde de Monopoly. Véritable « Las Vegas asiatique », Macao est le plus grand centre mondial de l’industrie de jeu. Cette ville chinoise, parmi les plus riches du monde, a fait construire un nombre incalculable de palaces et de casinos à l’embouchure de la rivière des Perles. The Venetian Resort, le gratte-ciel qui accueille les délégations de joueurs du monde entier, est célèbre pour sa pompeuse reconstitution de la ville de Venise.

28 champions de différentes nationalités s’affrontent ce jour-là sur la péninsule chinoise. Parmi eux, le français Philippe Pinoli, 46 ans. Fonctionnaire territorial, Philippe vit dans la région de Menton, où il dirige le service de transport de l’agglomération de la Riviera française. En se qualifiant lors des championnats de France quelques mois plus tôt, à Cannes, il a décroché son précieux billet pour Macao. Et si l’on avait dit à ce joueur invétéré qu’il irait un jour en Chine disputer les championnats du monde de Monopoly, dans l’un des plus grands casinos du monde, il ne l’aurait jamais cru.

Propos recueillis par Clara Lalanne. Entretien édité pour des raisons de clarté. 

Par amour du jeu

J’ai commencé par la belote, le tarot, le Scrabble avec ma famille. Je joue depuis que je suis tout petit, et je ne me suis jamais arrêté. Ado, je me suis intéressé aux wargames, les jeux de stratégie. Aujourd’hui, mes préférés sont le Magic et le poker. J’ai une trentaine de jeux chez moi, comme le Terra Mystica ou les Colons de Catane. Nous sommes en plein âge d’or des jeux de société, il y en a de très bons. Et il y a de plus en plus de salons, de cafés, qui ouvrent pour jouer.

Je n’étais pas vraiment fan de Monopoly, au départ. J’ai commencé à jouer vers cinq ou six ans, comme tout le monde, parce qu’il y en avait un à la maison. Après tout, qui n’a jamais joué au Monopoly ? Mais j’ai arrêté, comme tout le monde aussi, pour de mauvaises raisons. On en a marre de ne jamais finir les parties, on fait des concessions, on évite d’être trop méchant. On se prête de l’argent, on se dit qu’on se le rendra – alors que le principe du jeu, c’est de ruiner les autres le plus vite possible. Ça finit en pleurs, et à l’adolescence, on en a marre des engueulades, des parties interminables.

En 2015 je me suis retrouvé célibataire, avec un peu de temps libre. J’ai décidé de participer au Festival International des Jeux à Cannes, le plus grand festival français de jeux. Je voulais faire des compétitions, et je suis tombé sur un tournoi de Monopoly gratuit. À ce stade, tout ce que je savais, c’est qu’il y avait des règles un peu spéciales. Je les ai potassées sur internet et je me suis présenté sans inscription, un peu par hasard. Pour moi, ça été le début de l’aventure. J’ai gagné ce tournoi, après avoir découvert qu’il s’agissait des qualifications pour les championnats du monde. J’ai remporté le voyage en Chine, et le package complet avec la semaine dans un hôtel de luxe.

Qualification pour les championnats du Monde
Crédits : Philippe Pinoli

Champion en série

Pour les 80 ans d’Hasbro, il y avait 28 participants, venus de 28 pays différents. Les organisateurs alternent les grandes villes du jeu, Macao, Monaco, Las Vegas, pour organiser leurs championnats. J’ai rencontré de nombreux joueurs, et je me suis bien défendu, en allant jusqu’en demi-finale. Malheureusement, la candidate anglaise a fait une énorme erreur. Le joueur japonais lui a tendu un piège à un moment critique, et elle tombée dedans. Il lui a proposé un terrain, elle l’a acheté, et grâce à ça, il a récupéré un monopole. Il a tout verrouillé. Après ça, plus personne ne pouvait gagner. Elle lui a offert la victoire, elle l’a reconnu plus tard, lui-même n’en croyait pas ses yeux. Et j’ai raté la finale pour ça.

Championnats du Monde de Monopoly 2015, Macao.
Crédits : Philippe Pinoli

Ce n’est pas grave, c’est le jeu. Dans ce championnat, j’ai surtout découvert une grande communauté de joueurs internationaux, je me suis énormément amusé. Il y avait une super ambiance, chacun apportait sa touche, avec un mélange des caricatures du monde entier. Le japonais avait un cérémonial du lancer de dé, les sud-américains mettaient une ambiance de feu avec leurs hymnes, les scandinaves étaient plus réservés… On a passé un très bon moment. J’ai gardé contacts avec certains d’entre eux, comme le champion du monde, Nicoló Falcone, chez qui je suis allé jouer à Venise.

Quand je suis rentré de Chine, j’ai réalisé que j’aimais vraiment bien le principe des tournois. J’ai découvert qu’Hasbro n’en organisait qu’à l’occasion des championnats du monde, de manière très aléatoire. Apart ça, il y a très peu de tournois dans le monde, apart aux États-Unis et au Japon. Les japonais ont des clubs de jeu, et les américains organisent des tournois à l’échelle d’un continent chaque année.

J’ai demandé à Hasbro s’ils m’autorisaient à organiser les championnats en France, et ils m’ont fait confiance. Ils m’ont confié l’organisation des championnats en 2016, en 2017, et celle d’un Open à Toulon. En 2018, j’organiserai aussi les championnats de France dans cette ville. Hasbro a financé ces tournois, et les ont doté de lots. J’avais aussi fait fabriquer un trophée par un copain forgeron, Iron PAD. Comme je suis un bon promoteur du Monopoly, ils continuent de me faire confiance. On verra quand je ne gagnerais plus !

Trophée Monopoly créé par Iron PAD
Crédits : Philippe Pinoli

J’ai encore été champion de France en 2016 et en 2017. J’ai organisé les compétitions, mais je me suis aussi autorisé à participer : c’était la condition ! Et ce que j’aimerais, maintenant, c’est que les gens viennent me défier. Il y a beaucoup de personnes qui m’appellent et qui prennent contact avec moi. Ces tournois ont un peu changé ma vie. De facto, je suis devenu le promoteur de ce type de jeu. Dès que j’arrive dans une soirée, on me présente comme le champion, sur les salons, on me demande des dédicaces. Je n’aurais jamais pensé que ça m’arriverait.

Secrets d’un champion

Les tournois sont joués avec les vraies règles, qu’il vaut mieux connaitre par coeur.  On est obligé d’acheter une propriété quand on tombe dessus au premier tour. Si personne ne veut l’acheter, elle est automatiquement vendue aux enchères. Pas d’argent au milieu, pas de sortie de prison. Ça permet de vendre plus vite, et de ne pas jouer indéfiniment. Et puis, surtout, il y a le speed dice, un dé à trois faces qui permet d’accélérer le début et la fin du jeu. Il offre de nouvelles possibilités, et grâce à lui, on peut faire des parties en une heure seulement.

Il y a des techniques, des paris, surtout au moment critique des échanges, quand tous les terrains ont été achetés. Après, il y a toujours des coups de chance, des circonstances incroyables. Par exemple, aux championnats de France 2017, un enfant de 11 ans s’est retrouvé en finale ! Mais sinon il n’y a pas de stratégie, ça dépend du déroulement de la partie. Il faut essayer de faire les meilleurs échanges, et de bien connaître les territoires, les situations que l’on peut rencontrer. Pour ça, il faut jouer un maximum. Quand personne n’a de monopole, il faut tout faire pour ne pas en offrir un à quelqu’un. Et cela peut servir d’apprendre les cartes par cœur, pour savoir celles qui restent à piocher et celles qui sont passées.

Le triple champion
Crédits : Philippe Pinoli

Encore une fois, il y a une grande part de chance et de choses qu’on ne peut pas maîtriser. Il faut jauger la situation, provoquer sa chance, et essayer de convaincre les autres. C’est là où je suis le meilleur : bien comprendre le jeu, pour être convaincant auprès des autres. La partie n’est jamais finie si on arrive à sentir les choses et à s’adapter.

Je défends plutôt le Monopoly, qui a mauvaise réputation. Dans le monde des joueurs, on trouve que c’est un jeu pour enfants, qu’il y a trop de hasard, ou que c’est un jeu où l’on apprend à tricher – ils vont même sortir un Monopoly pour les tricheurs ! Mais moi, je le trouve très formateur. Alors certes, on ruine son adversaire, mais c’est le principe de la plupart des jeux : on est là pour anéantir les autres, le plus vite possible. On n’est pas là pour leur faire plaisir. Et puis ça reste un jeu, avec des pièces en plastique et de faux billets : difficile de se prendre pour un capitaliste.

Je joue plus régulièrement qu’avant au Monopoly, surtout parce que tout le monde veut se payer le champion de France. Apart le joueur japonais, je crois que personne n’a jamais gagné plus d’une fois un championnat. J’aimerai bien refaire les championnats du monde, je ne suis pas passé loin la dernière fois. La date n’a pas encore été fixée, mais Hasbro attendra sûrement ses 85 ans, en 2020. D’ici là, il faut encore que je tienne mon trône pendant deux ans.

Prochains championnats de France : 26, 27 et 28 octobre 2018 au Palais des Jeux et du Jouet, au Palais Nepture à Toulon (83).