Au milieu des caméras, derrière une rangée de militaires, un sourire rayonne dans l’aéroport Silvio Pettirossi d’Asunción. Quand il voyage, Ronaldinho Gaúcho amène toujours sa bonne humeur et son frère, Roberto de Assis Moreira. Mais les deux ne s’accordent pas forcément. Ce mercredi 4 mars 2020, l’ancien footballeur brésilien est en visite au Paraguay pour présenter un programme d’aide médicales aux enfants défavorisés et promouvoir son autobiographie. L’accueil est chaleureux, jusqu’à son arrivée à l’hôtel Resort Yacht & Golf Club Paraguayo de Lambare, en lisière de la capitale.

Cueillis dans leur chambre par la police nationale, les deux hommes sont emmenés au département du crime organisé, où ils passent la nuit. On leur reproche de voyager avec de faux passeports. Comment une star de son envergure, riche à millions, peut-elle en arriver à de vulgaires combines de contrebandier ? Selon son avocat, Adolfo Marín, ces documents lui ont été remis il y a un mois par un certain Wilmondes Sousa à Río de Janeiro. Ronaldinho y voyait une marque de « gentillesse », qui pourrait faciliter son arrivée à Asunción. D’ailleurs, ajoute le juriste, il aurait très bien pu se servir de ses papiers brésiliens, comme il l’a fait au départ de l’aéroport de Sao Paulo.

Certes l’ancien joueur du FC Barcelone et son frère se sont fait confisquer leurs passeports, mais ils les ont apparemment récupérés à l’automne dernier, après avoir accepté de payer une amende de six millions de reals (1,36 millions d’euros). Car Ronaldinho a des dettes, beaucoup de dettes. Depuis la fin de sa carrière, il a trempé dans une enfilade d’affaires hasardeuses avec son frère, Roberto de Assis Moreira.

Que des numéros 10

Au bord d’une lagune de Rio, dans le Parque Olímpico de la Barra de Tijuca, deux joueurs de football échangent des sourires. Alors qu’un ballon fluo circule entre leurs coéquipiers aux tenues dorées, sur un sable blanchi par le soleil, Ronaldinho Gaúcho s’étire avec indolence. À côté de lui, Jorginho paraît aussi tranquille. Pour son jubilé contre le pays du Soleil levant, ce 27 janvier 2019, l’étoile du beach soccer sait la formation brésilienne largement favorite. Elle n’a pas que des numéros 10, mais en compte au moins deux : Jorge Augusto da Cunha Gabriel et Ronaldo de Assis Moreira, comme ils s’appellent au civil, portent l’un comme l’autre leurs maillots fétiches.

Journée plage
Crédits : FIFA

Triple champion du monde à la plage, le premier a décidé de laisser le brassard à son invité d’honneur. « Avoir Ronaldinho pour mes adieux compte autant pour moi que d’être élu meilleur joueur de la planète ou de remporter un titre international », se réjouit-il. Il suffit au Ballon d’or 2006 d’inscrire deux buts pour être porté en triomphe par le reste de l’équipe. Jorginho s’agenouille même pour mimer un cirage de pompe. Il s’éclipse derrière le solaire meneur de jeu, dont ce retour sur un terrain de football, fût-il en sable, est rapporté par les médias du monde entier. C’est à peine si la victoire 11 à 4 est citée. Ronaldinho a beau avoir remisé les crampons en 2015, il rayonne encore.

À Porto Alegre, son nom provoque pourtant quelques regards ombrageux. En plus de lui accoler le substantif de traître, pour avoir préféré rejoindre des clubs ennemis en fin de carrière, on l’associe désormais à un chapelet d’affaires peu reluisantes. Elles sont si nombreuses que Jorginho, qui voulait initialement devenir avocat, aurait pu croiser sa route dans un tribunal. L’homme qui le conseille aujourd’hui, Sergio Felicio Queiroz, a laissé nos messages sans réponse. « Je n’ai rien à déclarer », a pour sa part répondu l’ancien joueur lors d’une conférence de presse organisée le 12 décembre 2018.

Cet embarras vient d’une décision de la cour de justice du Rio Grande do Sul rendue le 31 octobre dernier. Ce jour-là, le juge Newton Fabrício a ordonné la saisie de biens de Ronaldinho et de son frère, Roberto de Assis Moreira. Condamnés à une amende de 8,5 millions de réals (2 millions d’euros) en 2015 pour avoir construit un bâtiment, une plateforme de pêche et une structure portuaire sur une zone protégée de leur Instituto Ronaldinho Gaúcho, les deux frères ne s’en sont jamais acquittés. Pire, quand la justice a voulu saisir l’argent sur leur compte, elle n’a trouvé que 24,6 réals (soit six euros). Étaient-ils ruinés, comme l’ont alors supposé un peu vite certains sites internet ?

Une voiture saisie à la résidence de Ronaldinho
Crédits : Ministério Público/Divulgação

Pour le juge, tout porte à croire qu’ils ont organisé leur insolvabilité. Les Assis Moreira « échappent à leurs obligations légales depuis longtemps, bien qu’ils aient les moyens de les remplir », pointe Newton Fabrício. « Ces personnes publiques au pouvoir d’achat élevé sont capables de compenser les dommages environnementaux qu’elles ont engendrés. » Alors que des photos d’eux aux quatre coins du monde apparaissent constamment sur les réseaux sociaux, ils demeurent insaisissables au Brésil. La justice a donc confisqué deux BMW, une Mercedes-Benz, un tableau du peintre André Berardo et réclamé les passeports des contrevenants. Pendant ce temps, Ronnie faisait la promotion de Nike à Tokyo, au Japon. Après un passage par le club Haussmann de Paris, le 3 novembre, il s’envolait pour le Maroc puis le Kenya avant de participer à un match de charité à Francfort, le 17 novembre.

Entre-temps, la journaliste Karla Torralba, de la chaîne de télévision brésilienne UOL, s’apercevait en consultant les chiffres du département des finances de Porto Alegre, que Ronaldo de Assis Moreira avait 1,8 million de réals d’impayés en taxes sur 19 propriétés. Le week-end des 24 et 25 novembre 2018, il a finalement rendu son passeport en rentrant au pays. Son avocat a bien tenté d’en obtenir la restitution devant le Tribunal suprême fédéral, mais il a été débouté au motif que son client s’est « moqué » de la justice. Il continue d’ailleurs de se jouer d’elle grâce à un passeport espagnol, avant de finalement accepter de payer six millions de réals en septembre 2019 pour récupérer son passeport. Ronaldinho a de la ressource. Mais elle est bien dissimulée.

L’institut

À 38 ans, Ronaldo de Assis Moreira marque encore chaque endroit où il passe. En janvier 2019, une vingtaine de jours avant de participer au jubilé de Jorginho, l’ancien virtuose du Paris Saint-Germain laisse ses empreintes de pieds au stade Maracanã de Rio. Elles figureront aux côtés de celles d’autres légendes nationales telles Pelé, Garrincha, Zico ou Ronaldo. Et le 24 janvier 2019, cet ambassadeur du grand FC Barcelone, où il a imprimé un souvenir indélébile, profite de sa participation au tirage de la Copa América pour faire la publicité de son sponsor, Nike. Propriétaire de plusieurs marques, il les promeut via les réseaux sociaux, où des millions de personnes le suivent. Sur Instagram, il vient aussi de publier des photos de lui avec le chanteur Zeca Pagodinho et son fils de 14 ans, João Mendes de Assis Moreira.

La toile saisie chez Ronaldinho
Crédits : Ministério Público/Divulgação

Selon le quotidien brésilien Globo, ce dernier intéresse le Paris Saint-Germain, qui a déjà servi de point de chute européen à Ronaldinho ; ou plutôt de tremplin tant sportif que financier. Né le 21 mars 1980 dans le quartier modeste de Vila Nova, à Porto Alegre, Ronaldo de Assis Moreira tape dans ses premiers ballons au Grêmio. Son père, soudeur sur les chantiers navals, garde le parking du club pour arrondir les fins de mois. À sa mort, noyé dans une piscine, le garçon de huit ans prend son grand frère comme modèle. Roberto de Assis Moreira s’exile en Suisse en 1991 puis, devenu agent du petit Ronaldo, lui conseille d’entrer en conflit avec ses dirigeants pour rejoindre l’Europe. En 2001, Ronaldinho signe au Paris Saint-Germain pour un salaire mensuel de 228 673 euros et une prime d’1,5 million d’euros.

Malgré son goût pour la fête, le milieu offensif éclabousse trop la France de son talent pour ne pas la quitter. Il rallie Barcelone en 2003. Dans la capitale catalane, il a un fils avec la danseuse brésilienne Janaina Nattielle Viana Mendes en 2005, et glane le Ballon d’or en 2006. « Je ne sais pas combien je gagne », jure-t-il alors au quotidien L’Équipe. Sa famille se charge de faire les comptes. Selon le magazine Forbes, il est alors 53e au classement des plus grandes fortunes mondiales.

Auréolé de ce statut de meilleur joueur au monde, Ronaldinho inaugure l’Instituto Ronaldinho Gaúcho le 27 décembre, afin d’aider les enfants des rues par le sport, l’éducation et la santé. Installé sur un terrain de 11,7 hectares, au bord de l’estuaire du Guaíba, le centre doit accueillir 3 500 jeunes. « C’est le jour le plus émouvant de ma vie car je vois que mes rêves d’aider les autres va s’accomplir », déclare le footballeur la larme à l’œil. Les Nations Unies soutiennent l’initiative.

Peu à peu, à force d’excès, le niveau du Brésilien s’érode, en sorte que le Milan AC est disposé à le vendre en 2011. Alors que tout est prêt pour son retour au Grêmio, il choisit finalement de jouer pour le Flamengo de Rio, sur les conseils de son frère. Roberto Assis de Moreira gère tout, de ses contrats à l’institut. Mais on ne peut pas dire qu’il le fasse de manière exemplaire : en 2012, il est condamné à cinq ans et cinq mois de prison par un tribunal du Rio Grande do Sul pour détournement de fonds. Des subventions d’un montant d’1,5 milliard de réals (500 000 euros) versées par la Ville de Porto Alegre pour l’institut auraient tout bonnement disparu. Devant la cour d’appel, l’aîné parvient à démontrer qu’il s’agit d’une erreur comptable et non d’une fraude.

Les deux frères

Mais les frères ne sont pas tirés d’affaire. Condamnés en 2013 à verser 500 000 réals pour avoir coupé des arbres sans autorisation et entraîné un affaissement de terrain, ils écopent d’une nouvelle amende en 2015 pour la construction d’un bâtiment, d’une plateforme de pêche et d’une structure portuaire sur une zone protégée. En perdition sportive, Ronaldinho quitte alors le Fluminense de Rio pour enchaîner les piges grassement rémunérées en Inde et au Mexique.

En janvier 2018, « sa carrière professionnelle est terminée », annonce Roberto Assis alors qu’il ne joue plus depuis longtemps. Le jeune retraité lance une cryptomonnaie à son nom, une marque de vin et parcourt le monde affublé des logos de Nike et du FC Barcelone, sans oublier de soutenir le président d’extrême-droite Jair Boslonaro au passage. La presse lui prête par ailleurs une relation « harmonieuse » avec deux femmes.

Avec une fortune estimée à 80 millions d’euros (et non 6 euros), le voici libre de circuler entre ses propriétés en Grèce, à Barcelone, en Italie, en Floride, ou d’aller voir sa mère dans le palace qu’il lui a offert à Porto Alegre. Du moins tant que la justice, qui lui réclame 8,5 millions de réals (2 millions d’euros), ne hausse pas le ton.


Couverture : Ronaldinho au Barça.