Le Blockchain Summit

C’était un lundi soir du mois de juin dernier. Une quarantaine de personnes étaient rassemblées dans une salle haute de plafond, décorée de mobilier en teck et bambou typique de l’artisanat de Bali et Java. Un bar, une table de billard, des tambours de musique bembé et une vue panoramique sur l’océan. Une lumière dorée illuminait la pièce et au dehors les mouettes planaient au-dessus de l’eau. Mais les convives de Sir Richard Branson, installés dans sa demeure de Necker Island,  ne prêtaient pas attention au soleil couchant.

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Necker Island
Crédits : Owen Buggy/Virgin

Leurs regards fixaient les plans du célèbre économiste péruvien Hernando de Soto (élaborés avec la candidate à la présidence Keiko Fujimori), sur un écran géant. L’idée est d’aider les citoyens péruviens à devenir propriétaires ; de leurs terres comme de leurs voitures. Si un tel système était appliqué à l’échelle globale, il permettrait d’injecter 20 billions de dollars de « capital mort » dans l’économie mondiale et, selon De Soto, cela permettrait à de nombreuses personnes de sortir de la pauvreté. De Soto expliquait à son auditoire comment l’absence de titres de propriété ou de système efficace pour les gérer empêche les citoyens de certains pays d’accéder au crédit ou de tirer des bénéfices des hydrocarbures ou de l’or tapis sous leurs terres.

D’après lui, cette situation explique en partie pourquoi 70 % de la population péruvienne vit dans des bidonvilles sans eau courante : l’installation de canalisations implique de connaître l’identité de celui qui payera les factures, ce qui est impossible à déterminer sans titre de propriété. Sans compter que la majorité des viols dans les bidonvilles ont lieu lorsque les femmes se rendent aux sanitaires dans la nuit noire, car il n’y a pas d’électricité. « Notre projet va permettre de venir en aide à nos concitoyens les plus pauvres », a-t-il déclaré. L’auditoire était captivé et tout le monde proposait des solutions. Tant et si bien que personne n’a fait attention au fait que la nuit était tombée. Les moustiques ont commencé leur festin, les discussions se poursuivaient.

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Hernando De Soto en vidéoconférence via Zoom
Crédits : Quincy Dein/Blockchain Summit

Tomicah Tillemann, le directeur du projet Bretton Woods II du think tank New America, a interrogé De Soto sur le déploiement stratégique de son nouveau projet. De Soto lui a répondu que 43 partis politiques européens l’avaient invité pour tester la capacité de son projet à résoudre des problèmes de migration et de terrorisme. « L’État islamique protège les maisons des plus démunis. On oublie souvent la raison pour laquelle ces terroristes prospèrent : c’est parce qu’ils offrent quelque chose en retour », a-t-il expliqué. « Lorsque des pays qui traversent des crises viennent nous consulter, nous essayons de leur fournir de la haute technologie – votre technologie – qui permet de lutter contre la violence, la pauvreté et développer des solutions afin que les gens puissent s’enrichir simplement. » La deuxième édition du Blockchain Summit, un événement annuel auquel peu d’élus sont conviés, allait atteindre son climax. La blockchain (ou « chaîne de blocs ») est la technologie qui se cache derrière les bitcoins, la monnaie cryptographique qui enthousiasme toute une nouvelle génération d’entrepreneurs. Grâce à elle, plus besoin d’intermédiaire pour que les deux parties d’une transaction commercent en toute sécurité.

Bitcoin revolution

Le micro passait de main en main et tout le monde parlait en même temps. Issus de milieux très différents, ses participants formaient un groupe hétéroclite. Cela conduisait à de nouvelles façons d’aborder le problème et, en définitive, à des points de consensus inattendus. Il y avait ici des auteurs, un ingénieur en aérospatiale, d’anciens responsables du Pentagone, de la CIA et du département de la Sécurité intérieure, une musicienne, un spécialiste des changes et des produits dérivés financiers ainsi que le fondateur d’un musée chinois de la technologie financière, ou FinTech. Par le prisme de leurs industries et de leurs communautés respectives, ils avaient pour objectif d’aider à enclencher la révolution du bitcoin, sur laquelle presque tous misaient.

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Zoe Keating sur scène
Crédits : Quincy Dein/Blockchain Summit

C’est notamment le cas des sponsors de l’événement : BitFury Group, une entreprise spécialisée dans le minage de bitcoin, la fabrication de puces électroniques et les services de blockchain ; et MaiTai Global, une organisation à but non lucratif qui met en place des événements partout dans le monde pour réunir des entrepreneurs, des investisseurs et des athlètes. Durant les deux jours et demi qui s’étaient écoulés jusqu’ici, le groupe n’avait pas cessé de se livrer à des débats passionnés. Sans oublier de socialiser autour du nourrissage des lémuriens, des séances de snorkeling et de kite surfing, de plongeons dans des cuves thermales, de repas délicieux et de parties de tennis avec Branson himself. Nous avons également assisté à un concert hypnotique donné par la technologue et violoncelliste Zoe Keating, qui a fait couler les larmes d’au moins une personne du public.

Des gens ont été jetés dans la piscine, des concours de poèmes humoristiques ont été improvisés, et tout le monde s’est attendri devant les tortues à pattes rouges qui erraient dans la grande maison. Ces grands esprits ont même fait la chenille autour de la table à manger. Enfin, l’une des participantes a déclaré que ce sommet devrait être l’occasion de créer des « bébés blockchain », ce qui a fait rire tout le monde avant qu’elle n’explique qu’elle voulait évidemment parler de startups spécialisées dans la blockchain. Elle ne croyait pas si bien dire. L’édition 2015 a bel et bien donné naissance à un bébé blockchain avec Bloq, une société qui propose des solutions basées sur la blockchain pour les entreprises. Elle a été fondée par le core developer Jeff Garzik et l’investisseur Matt Roszak, qui ont fait connaissance lors du Blockchain Summit.

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Le séjour a été rythmé par des discussions enflammées. Des débats, bien-sûr, mais aussi des exercices à première vue très simples. Jamie Smith, le directeur des relations publiques de BitFury, a par exemple demandé au groupe de décrire ce qu’était une blockchain de la façon la plus concise possible. Un challenge adapté à l’événement de cette année. Tandis que l’édition inaugurale de 2015 rassemblait uniquement des invités du monde des start-ups et de la tech, celui de cette année a réuni des personnes venant de services financiers, d’agences gouvernementales, de l’enseignement, de groupes de sensibilisation à la blockchain, du monde de la musique, du capital-risque, de la communication et des ONG. Le spectre des sujets de discussion s’étendait bien au-delà des aficionados de la tech, mais l’engouement n’en était pas moins communicatif. Pour cela, le BitFury Group a annoncé le lancement du Global Blockchain Council, une association d’échange international qui assistera les entreprises adoptant la technologie blockchain en leur offrant un espace où collaborer et innover. Le groupe prévoit aussi de travailler avec la chambre de commerce numérique américaine. Cette dernière a annoncé en avril dernier la création du Global Blockchain Forum, qui vise à établir une réglementation internationale pour la blockchain. Les participants n’auraient pas pu être plus éloignés de l’industrie de la tech. Pour preuve, dimanche matin, alors qu’on les mettait au défi de décrire au mieux le système de sécurité d’une blockchain en deux minutes, ils étaient nombreux à se moquer d’un entrepreneur qui utilisait des mots comme « petahash » et « arbre de Merkle ».

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Le groupe en pleine discussion
Crédits : Quincy Dein/Blockchain Summit

Smith a placé la barre encore plus haut lundi soir en mettant au défi les participants de décrire ce qu’était une blockchain en moins de 30 secondes. Les mains se levaient, les gens lançaient des termes comme « registre » et « galaxie d’ordinateurs », ils parlaient de mouvements d’actifs sûrs et efficaces. Des mots à la mode comme « confiance », « liberté » et « résistance à la censure » jaillissaient aux quatre coins de la pièce, quand ce n’était pas des expressions carrément inventées comme « chaîne de confiance » ou « réseau de confiance ». Le silence est retombé dans la salle pendant la récitation d’un poème improvisé dont les quatre vers se voulaient explicatifs :

« In blockchain we trust, Les gens se font confiance, Ils échangent des biens et des services, au sein d’un système fiable et vérifiable de bout en bout. »

C’était l’œuvre de Karen McArthur, une avocate canadienne de New York qui conseille des sociétés de capital-risque canadiennes, des incubateurs et des institutions financières. Tout le monde l’a acclamée et en redemandait. Il a ensuite été question des soucis rencontrés pour faire passer le message. Il est courant que les partisans de la blockchain tentent d’en expliquer le principe sans faire référence au bitcoin. Et ce pour une raison simple : il est généralement perçu comme la monnaie favorite des criminels. Kathryn Haun, coordinatrice de la monnaie numérique pour le département de la Justice américain – elle n’assistait pas au sommet en tant que représentante du gouvernement mais en son propre nom – a exhorté ses collègues à dépasser cet argument fallacieux. Les criminels utilisent les bitcoins et Internet ? Et alors, « c’est aussi le cas de nombreuses technologies extraordinaires ».

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Le cadre de travail idéal
Crédits : Quincy Dein/Blockchain Summit

D’autres se sont demandés s’il valait mieux tenter d’expliquer les caractéristiques de la technologie ou ses bénéfices pour la société. En guise de réponse, Jamie Smith a donné l’exemple de sa mère qui ne connaît rien au protocole TCP/IP. Ce n’est pas pour autant qu’elle ne peut pas aller sur Internet s’acheter des vêtements. Après quoi tout le monde est descendu sur la plage pour un barbecue agrémenté de queues de homards délicieuses, des « meilleurs ribs des Caraïbes » et de bien d’autres mets. Les discussions se sont malgré tout poursuivies autour des mêmes idées.

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COMMENT LA BLOCKCHAIN VA CONQUÉRIR LE MONDE

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Traduit de l’anglais par Antonin Padovani et Nicolas Prouillac d’après l’article « On Sir Richard Branson’s Necker Island, ‘Bitcoin Illuminati’ Reassess Blockchain Strategies », paru dans Forbes. Couverture : Richard Branson et les participants du Blockchain Summit.