Assis profondément enfoncé dans un imposant canapé marron, l’astronaute américain Nick Hague converse avec son voisin de gauche, la main posée sur l’accoudoir. Non loin de lui, son collègue de mission, le cosmonaute russe Alekseï Ovtchinine, est aussi en plein examen médical, un brassard bleu de pression artérielle enroulé autour du bras. Une caméra tournoie entre eux, offrant au monde les premières images du duo depuis ce fameux décollage raté. Car les deux hommes vont bien, confirme l’agence spatiale russe Roscosmos, mais l’issue aurait pu être tragique.

Alekseï Ovtchinine
Crédits : NASA

Jeudi 11 octobre, le vaisseau russe Soyouz MS-10 s’arrache du sol à 11 h 40 depuis le cosmodrome de Baïkonour. Il s’agit d’une mission assez classique : il doit rallier la Station spatiale internationale (ISS) pour que Nick Hague et Alekseï Ovtchinine prêtent main forte à l’équipage de la station, actuellement constitué de l’Allemand Alexander Gerst, de l’Américaine Serena Aunon-Chancellor et du Russe Sergueï Prokopiev. Mais une centaine de secondes après le lancement, l’alerte est donnée : le moteur vient subitement de tomber en panne. « Ce fut court… », commente laconiquement Alekseï Ovtchinine. À bord de leur capsule, les deux hommes ont été éjectés de l’appareil avant d’atterrir, sains et saufs, dans les steppes kazakhes, non loin de la ville de Jezkazgan, 30 minutes plus tard.

La Russie a depuis annoncé la création d’une commission d’enquête pour éclaircir la·les cause·s de ce dysfonctionnement majeur, qui s’est soldé par cet atterrissage en catastrophe. En attendant ses conclusions, le programme des vols de la mission Soyouz MS est suspendu et la Russie pourrait annuler tous les lancements de ses vaisseaux jusqu’à la fin de l’année, explique Reuters.

Cette mise en pause met en péril le travail de la station mais également bien d’autres missions internationales. En effet, depuis l’arrêt de la navette spatiale de la NASA en 2011, après un dernier vol d’Atlantis, les vaisseaux Soyouz se chargent seuls de transporter des équipages à bord de l’ISS. La NASA entend bien mettre un terme à ce monopole russe grâce au concours de SpaceX et Boeing, qui se chargent déjà de ravitaillements, d’autant plus que le contrat entre la NASA et l’agence spatiale russe Roscosmos arrivera à son terme en novembre 2019.

S’il s’agit là du premier accident d’un lanceur Soyouz-FG depuis 1983, cette panne s’ajoute à une série de revers subis par le programme spatial russe au cours des dernières années qui entachent considérablement la réputation jadis éclatant du pays dans le domaine aérospatial. En août dernier, une fuite d’air microscopique sur l’ISS a causé une dépressurisation partielle de la station ainsi qu’un vent de panique général. Après que ce trou de deux millimètres a été attribué à un micro-météoroïde, une commission d’enquête russe a ensuite évoqué l’hypothèse d’un sabotage : le responsable serait un ouvrier au sol qui aurait tenté de dissimuler son erreur en bouchant le trou avec de la colle.

Le problème est que, soumise aux conditions spatiales, celle-ci s’est désagrégée complètement en l’espace de deux mois. Cette explication n’a pas encore été confirmée par Roscosmos, mais elle n’a eu de cesse d’alimenter les théories du complot. En effet, depuis la réparation, des rumeurs accusant les astronautes de la NASA d’avoir abîmé la capsule ont fleuri à travers des médias russes comme Kommersant. Elles ont été allègrement alimentées par des sources anonymes au sein de Roscosmos, pour être ensuite condamnées par Dmitri Rogozine, le directeur général de l’agence spatiale russe en personne.

L’emblème de Roscosmos

Fin décembre 2017, Roscosmos a avoué avoir perdu le contact avec un satellite à 45 millions de dollars, Meteor M2-1, qui transportait pas moins de 18 satellites appartenant à des entreprises russes, norvégiennes, suédoises, américaines, japonaises, canadiennes et allemandes. Pendant cinq ans, Meteor M2-1 devait surveiller l’évolution du climat pour l’agence météorologique russe.

Enfin, un certain nombre d’échecs spatiaux russes sont recensés entre 2015 et 2017. Au total, Roscosmos « a eu à déplorer la perte de deux satellites après leur lancement, d’un vaisseau cargo Progress, la défaillance d’un lanceur Proton ou encore la découverte de défauts sur la plupart des moteurs produits pour les fusées devant placer en orbite des satellites ». Le prochain vol vers l’ISS est théoriquement prévu pour décembre 2018, mais ce dernier décollage avorté pourrait avoir un impact négatif sur le planning.

Une accumulation de coups durs pour Roscosmos qui jettent une ombre sur le programme spatial russe, lancé sous l’ère soviétique et qui a connu des heures glorieuses. Les 12 articles qui suivent retracent son impressionnante épopée, depuis la création du lanceur Soyouz jusqu’aux mystérieuses bactéries extraterrestres ramenées sur Terre il y a peu par les cosmonautes russes.

De Soyouz à Encelade

Comment l’URSS est partie à la conquête de l’espace avec le lanceur Soyouz 

Avec plus de 1 700 décollages depuis 1966, le lanceur soviétique Soyouz est l’une des plus grandes réussites de l’aérospatiale.

Le lanceur Soyouz à Baïkonour

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En mai 2016, à l’occasion du 70e anniversaire du cosmodrome de Kapoustine Iar, la Russie a déclassifié une série de photos qui retracent les premiers pas du programme spatial russe. Ce site a joué un rôle important dans cette lutte effrénée entre le bloc de l’Est et les États-Unis.

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Depuis le début des années 1960, les scientifiques russes aspirent à créer une moto spatiale pour permettre aux astronautes de s’aventurer dans l’espace sans être raccordés à la station spatiale. Le rêve est encore loin.

Cette start-up russe veut envoyer des humains congelés dans l’espace

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Crédits : KrioRus

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Baptisé Mayak (« phare » en français), ce petit satellite de forme cubique a été lancé le 14 juillet 2017 et a été au centre de nombreuses controverses. En effet, certains astronomes jugent qu’il est si brillant qu’il risque de fausser certains calculs.

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À la mi-mars 2018, la Russie annonçait planifier de nombreuses missions spatiales, dans les cadre de leur programme « consacré à la Lune et à l’exploration de Mars ». Elle a ajouté que la première expédition inhabitée aurait lieu en 2019.

Crédits : Kremlin.ru/Ulyces

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En juillet 2018, des scientifiques russes ont partagé les résultats de leur étude Biorisk. Pendant 31 mois, ils ont placé des œufs de crustacés et de carpes à l’extérieur de la Station spatiale internationale, avant de les ramener sur Terre pour les étudier. Ils ont alors constaté l’agressivité des bactéries.


Couverture : Soyouz à la dérive. (Roscosmos/Ulyces)