C’est presque ainsi que le Guardian titrait, mardi 20 janvier, son récit de l’histoire folle d’un homme que Poutine voulait voir mourir.

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Vladimir Poutine entrant au KGB, en 1970.

Pourquoi ? Ancien espion du FSB (ex-KGB), Litvinenko fut le premier à qualifier la Russie actuelle « d’État mafieux » et à menacer directement les intérêts du maître du Kremlin. Expatrié en Angleterre, il était devenu activiste, sujet de la Reine et collaborait régulièrement avec le MI6. Un traître qui, en novembre 2006, fut empoisonné dans les salons cosy du Millenium Hotel de Londres. Mais revenons quelques années en arrière, à la fin de la décennie 1990. La Fédération de Russie a dix ans, Boris Eltsine est au pouvoir. Le pays est imprégné du soviétisme et d’une vieille tradition de musellement de l’opposition : le crime organisé fleurit au cœur même du pouvoir d’État. Litvitnenko, lieutenant-colonel du FSB, est chargé de combattre cette mafia russe. « De son point de vue, l’idéologie criminelle avait remplacé l’idéologie communiste », écrit le Guardian. C’est dans ce contexte que Vladimir Poutine, ancien espion du KGB et éminence grise du maire de Saint-Pertersbourg, arrive au pouvoir. « [Litvitnenko] a été le premier à décrire la Russie de Poutine comme un État mafieux, dans lequel les rôles du gouvernement, de la criminalité organisée et des agences d’espionnages s’étaient indiscutablement accrues », raconte le Guardian. Il accuse alors publiquement Vladimir Poutine de laisser la mafia s’établir en Russie. Pire : il est persuadé que le président de la Russie collabore volontairement avec elle. Litvitnenko est contraint de fuir son pays et de s’installer en Angleterre. Six ans plus tard, à Londres. Après un passage en Turquie, l’ancien espion s’est installé en Angleterre. Il collabore avec les services de renseignement britanniques et mène ses propres enquêtes sur la « mafia d’État » russe et Vladimir Poutine, en indépendant. Quelques mois plus tard, le premier novembre 2006, Alexandre Litvitnenko a rendez-vous à l’Itsu, un fameux restaurant de sushis sur Picadilly Circus : il s’attable aux côtés d’une source, l’italien Mario Scaramella. Universitaire, spécialiste du nucléaire, des zones d’ombres subsistent sur les activités et le rôle réel de Scaramella dans la mort de Litvitnenko. Ce qui est certain, c’est que celui-ci travaillait alors officiellement pour la Commission Mitrokhin, chargée par le gouvernement italien de contre-enquête sur les activités du KGB en Italie. Il affirme à Litvitnenko détenir des informations concernant l’assassinat, supposément commandité par le Kremlin, d’une journaliste russe. Il lui remet de précieux documents. Un mois après cette rencontre, Scaramella finira à l’hôpital : il aurait été empoisonné au Polonium 210, la substance qui a causé la mort de Litvinenko. Il a survécu. Revenons au premier novembre. Quelques heures après son déjeuner, à 16 h 30, Litvinenko se rend au Millenium Hotel, luxueux établissement londonien. Lumières tamisées, salon cosy, chaîses confortables : il a rendez-vous avec deux anciens collègues du FSB, Dmitri Kovtoun et Andreï Lougovoï, qui souhaitent solliciter son aide. Les deux hommes, propriétaires d’une société de sécurité, souhaitent investir le marché londonien et demandent à Litvinenko de les introduire dans le milieu anglais. Assis aux bars du Millenium, les deux hommes commandent un verre de vin et du thé pour Litvinenko, qui s’installe et le boit.
Alexandre Litvinenko sur son lit d'hôpital.

Alexandre Litvinenko sur son lit d’hôpital.

« J’ai avalé plusieurs gorgées, mais c’était un thé vert sans sucre et il était déjà froid, d’ailleurs. Je ne sais pas pourquoi, je ne l’ai pas apprécié. Enfin, c’était du thé froid sans sucre, quoi, je l’ai reposé. Au total, j’ai peut-être bu trois ou quatre gorgées », expliquera Litvinenko au policier anglais Brent Hyatt, quelques jours plus tard. Enfermés dans la chambre de l’ancien agent du KGB, les deux hommes et un autre policier de Scotland Yard, Sean Hoar, passeront une semaine à démêler l’affaire. Le Guardian rapporte une partie de la conversation : « Litvinenko : Je n’ai aucun doute sur ceux qui désiraient ma mort, et j’ai plusieurs fois reçu des menaces de ces personnes. Ça a été fait… Je n’ai aucun doute que ça a été fait par les services secrets russes. Connaissant le système, je sais que l’ordre de tuer une personne d’un autre pays [ndlr : il avait changé de nationalité et était admis à l’hôpital sous un nom d’emprunt] sur son territoire, particulièrement en Grande-Bretagne, n’a pu être donné que par une seule personne. Hyatt : Voudriez-vous nous dire de quelle personne il s’agit ? Edwin ? Litvinenko : Cette personne est le président de la Fédération Russe, Vladimir Poutine. Et si… Vous savez, bien sûr, que tant qu’il est encore président, vous ne serez pas en mesure de le poursuivre comme étant la personne ayant donné l’ordre, parce qu’il est président d’un immense pays possédant des armes nucléaires, chimiques et bactériologiques. Mais je n’ai aucun doute sur le fait que dès que le pouvoir changera en Russie, ou quand le premier officier des services secrets russes fera défaut au pays pour passer à l’ouest, il dira la même chose. Il dira que j’ai été empoisonné par les services secrets russes sur ordre de Poutine. » Janvier 2016. Litvinenko est mort depuis dix ans. L’enquête officielle a seulement été ouverte le mardi 26 janvier, après que le juge Robert Owen a rendu son rapport d’enquête à la justice britannique. Pour ce dernier, cela ne fait aucun doute : Lougovoï et Kovtoun sont bien responsables de la mort de Litvinenko. Quant à savoir qui l’a commandité… Source : The Guardian Benjamin Bruel Un agent de la CIA forme son fils pour qu’il prenne sa suite. ↓ espionspf