Entre les années 1950 et le début du XXIe siècle, plus de 120 pays ont fait confiance à une société suisse spécialisée dans les technologies de chiffrement pour garder les communications de leurs diplomates, de leurs soldats et de leurs espions secrètes. Sans le savoir, ils les ont ainsi offertes à la CIA, révèle une enquête du Washington Post et de la ZDF publiée le 11 février.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Crypto AG s’est fait un nom en vendant des machines capables de protéger les échanges des troupes américaines derrière un code. Cette entreprise suisse est devenue une des plus réputées dans son domaine.

Après le conflit, elle a vendu son matériel de chiffrement à une foule de gouvernements, parmi lesquels se trouvaient l’Iran, les juntes militaires d’Amérique latine, les rivaux nucléaires indien et pakistanais ou encore le Vatican. Tout le monde ignorait que la CIA était à la manœuvre, avec l’aide des services ouest-allemands. Au sein de l’agence de renseignement américaine, l’opération a été baptisée Thesaurus, puis Rubicon.

« En matière de renseignement, c’était le coup du siècle », conclut un rapport de la CIA obtenu par le Washington Post et la ZDF. « Les gouvernements étrangers payaient cher les États-Unis et l’Allemagne de l’Ouest pour avoir le privilège d’avoir leurs communications les plus secrètes lues par au moins deux (et potentiellement cinq ou six) pays étrangers. » À partir de 1970, la CIA et sa cousine, la NSA, contrôlaient presque tous les aspect opérationnels du programme, tandis que Bonn se chargeait de la technique.

Les informations obtenues ont été utilisées lors de la crise des otages en Iran, en 1979, pendant la guerre des Malouines qui opposa l’Argentine au Royaume-Uni en 1982 et pour assassiner des dictateurs sud-américains. En 1986, Crypto AG a surpris des officiels libyens en train de célébrer l’attentat commis dans une discothèque de Berlin. En revanche, les régimes soviétique et chinois étaient trop suspicieux pour faire confiance à la société suisse. Pour en apprendre sur leur compte, Washington passait donc par les communications de leurs alliés.

Si quelques déclarations imprudentes des Américains ont pu semer le trouble autour de Crypto AG dans les années 1970, son double-jeu a véritablement été exposé en 1992. Cette année-là, un de ses vendeurs qui ignorait que son matériel était bourré de micros a été arrêté en Iran. Mais l’ampleur du programme n’avait jamais été révélée avant ce 11 février 2020.

Source : The Washington Post