Le naufrage

Au bord d’un bassin, une jeune fille jette un œil intrigué sur la barque qui promène trois enfants ravis au milieu de l’eau azure. L’esquif ne vogue pas seul. Il est tiré par deux otaries qui s’épuisent en coups de colliers pour faire avancer les trois sourires. La vidéo de la scène tournée au parc animalier du Mont Mosan, dans l’est de la Belgique, n’a pas enchanté tout le monde. Partagée le 7 août 2020 par le collectif de défense des animaux C’est Assez !, elle a suscité une vague d’indignation trop puissante pour la petite embarcation. 

Afin de se défendre, le directeur du zoo belge, Jean-Marc Vanberg, a répondu que ces otaries harnachées n’étaient rien en comparaison des baleines encore massacrées dans certains endroits du monde. Comme c’était un peu léger, il a ajouté que les mammifères marins n’étaient pas maltraités et que c’était même eux qui s’étaient passés l’anneau autour du cou, après avoir été entraînés pour ça. La présidente de C’est Assez !, Christine Grandjean, n’y voit pas moins un problème : ce dressage modifie le comportement de l’animal et peut parfois se traduire par des troubles obsessionnels compulsifs ou des troubles involontaires convulsifs. 

La période où les animaux profitaient du confinement pour reprendre leurs droits est bel et bien terminée. Les zoos ont rouvert et se sont remis à exposer des bêtes en enclos pour divertir leur public. Mais ce n’est pas comme ça qu’ils le voient. Le 9 juillet dernier, l’Association française des parcs zoologiques s’est dotée d’un nouveau code éthique, censé placer le bien-être animal et la conservation de la biodiversité au sommet des priorités. Les zoos doivent d’après le texte s’assurer de l’absence de faim et de soif des animaux, l’absence d’inconfort, l’absence de douleur ou de maladie, l’absence de peur et de détresse et enfin respecter la liberté d’exprimer un comportement normal.

Pierre Gay et un vautour fauve
Crédits : Bioparc S. Gaudard.

Pour Christine Grandjean, cette dernière condition semble difficile à remplir : « Les animaux s’ennuient même s’ils ont des espaces assez grands, ils n’ont pas leur comportement naturel. » Certains parcs français expliquent toutefois se donner les moyens de garantir à leurs captifs un environnement agréable. « Il faut que les animaux puissent exprimer leur comportement dans leur enclos », insiste Pierre Gay, directeur du bioparc de Doué-la-Fontaine, en Maine-et-Loire.

Le bioparc de Pierre Gay est devenu le premier en Europe à naturaliser les enclos, intégrer des plantes et un cadre adaptés. « Les oiseaux, il faut leur donner la possibilité de voler car c’est un besoin primaire. C’est pour ça que l’on a la plus grande volière d’Europe où ils volent en groupe », explique-t-il. « Il faut que les jeunes sachent ce qu’est un animal libre. »

Si les associations comme C’est Assez ! voient strictement le zoo comme un endroit où les animaux sont enfermés pour divertir l’être humain, Pierre Gay estime qu’il a un message à faire passer. C’est selon lui l’endroit où des familles entières apprennent des choses sur la vie des animaux, la biodiversité et l’environnement. « Il nous faut trouver le moyen pour que ces gens, qui passent quelques heures chez nous, prennent conscience de nos objectifs », explique Pierre Gay. « Si ces jeunes comprennent qu’en laissant pousser leur pelouse, ils peuvent voir apparaître de merveilleuses orchidées sauvages, alors j’ai rempli ma mission. »

Entre 2012 et 2013, le chercheur britannique Eric Jensen, de l’université de Warwick, a mené une étude sur 26 zoos et aquariums dans 19 pays, pour savoir si ces endroits ont bien une vertu éducative. Selon ses travaux, 75 % des personnes interrogées après leur visite ont une connaissance plus significative de la biodiversité contre 69 % avant la visite. Les visiteurs sont également plus à même de citer des actions individuelles pour la protection de la biodiversité lorsqu’ils sortent du zoo. « Pour la première fois, il est donc avéré que de nombreux visiteurs quittent les sites zoologiques avec non seulement une conscience accrue de la biodiversité mais aussi une meilleure connaissance de celle-ci et des enjeux de sa conservation », conclut Jensen.

Bioparc Doué-la-Fontaine
Crédits : Bioparc S. Gaudard.

Christine Grandjean accueille ces résultats avec scepticisme. « Peut-on vraiment apprendre quelque chose sur une espèce qui habite dans un environnement artificiel, avec un groupe qui n’est pas le sien ? » s’interroge-t-elle. « Éthiquement, est-ce acceptable de penser que pour voir des animaux, on doit les enfermer ? Qu’est ce qu’on apprend à un enfant en lui montrant un animal enfermé et en essayant de lui faire croire que c’est normal ? » renchérit-elle. Pour Pierre Gay, cet environnement dit « artificiel » présente une qualité indéniable : il facilite la protection des espèces menacées. 

Conservation et réintroduction

Les zoos comptent sur les animaux en captivité pour jouer le rôle d’ambassadeurs de leurs espèces et ainsi sensibiliser le public à la fragilité de leur habitat naturel. En 2012, la fondation Born Free a présenté un rapport sur le sujet au Parlement européen, après trois ans d’enquête menée dans 21 pays de l’Union européenne. Cette association qui lutte pour la protection des animaux sauvages dans leur habitat naturel a visité de manière anonyme 25 zoos de France et en a conclu qu’une « majorité de zoos manquent à leurs obligations en termes de conservation des espèces, d’éducation du public, de santé et de bien-être des animaux, tels que le requièrent les lois nationales et internationales »

Depuis 2005, les zoos européens doivent respecter la « directive zoo » de 1999, qui dispose que « tout animal doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». D’après le code de l’environnement, ils doivent participer à des projets de recherche, de protection ou de réintroduction d’espèces dans leurs habitats naturels. Mais selon l’ONG, seulement 17 % des espèces présentes dans les 25 zoos français étaient inscrites sur la liste rouge des espèces menacées d’extinction de l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Okapi du bioparc
Crédits : Bioparc S. Gaudard.

Selon Franck Schrafstetter, président de l’ONG Code animal, ces lois ne sont « pas assez précises » puisqu’elles « ne donnent pas des normes minimales pour l’ensemble des espèces, de sorte que chaque zoo interprète les missions générales comme il le souhaite ». Si Pierre Gay juge la « réglementation extrêmement bien faite », il évoque également des « modalités d’applications » qui dépendent des parcs. Selon Franck Schrafstetter, « l’environnement naturel des animaux sauvages est rarement reconstitué ».

En France, 50 zoos parmi les plus gros du pays (environ 80 % des visiteurs annuels) appartiennent à l’EAZA (European Association of Zoos and Aquaria), une organisation qui fixe des règles éthiques à ses membres et leur impose de participer à des programmes de conservation. Ainsi, ce sont parfois certains petits zoos, en manque de subventions et de chercheurs, qui avancent le moins vite dans leurs programmes pour la biodiversité.

En 2007, Pierre Gay a réintroduit des vautours fauves en Bulgarie alors que cette espèce avait disparue de la région depuis 50 ans. « La réintroduction n’est pas si fréquente. On la confond souvent avec le renforcement de population, lorsqu’on envoie des animaux à des endroits ou l’espèce allait disparaître », explique-t-il. Mais cette étape cruciale dans la préservation de certaines espèces ne se déroule pas toujours comme prévu. En juin 2018, deux femelles gorilles nées au zoo de Beauval ont rejoint le Gabon et l’une des deux est décédée en septembre 2019. L’Association française des parcs zoologiques (AFdPZ) affirme qu’il est encore très compliqué pour un animal né en captivité d’être réintroduit dans un environnement naturel.

Guépards du bioparc
Crédits : Bioparc S. Gaudard

Le Dr Pierre Jouventin, directeur de recherche et de laboratoire au CNRS, affirme, par exemple, qu’un « lion isolé depuis la naissance ne connaît pas les techniques de chasse et les codes sociaux de son espèce : il est condamné ». La solution pour protéger une espèce est avant tout de préserver son habitat sauvage. Des zoos consacrent donc une partie de leur financement (environ 5 %) à des projets de conservation voire de réintroduction. Mais doivent-ils dans le même temps enfermer des espèces non menacées et leur faire tirer des barques ? 

S’ils veulent continuer à attirer du public sans s’attirer les foudres des défenseurs des animaux, toujours plus nombreux, les zoos vont donc devoir évoluer. Il va leur falloir garantir le bien-être animal autrement que par des chartes éthiques, faute de quoi les autorités pourraient se charger de fermer leurs portes et d’ouvrir leurs enclos.


Couverture : Alexander Ross