Différentes méthodes

Au bout d’une route qui serpente entre les collines de Santa Cruz, en Californie, la forêt de séquoias s’estompe pour révéler la maison de Frank Drake. L’allée principale contourne un arbre épais comme une table de billard qui a pris racine il y a plusieurs centaines d’années. L’astrophysicien qui passe sa retraite ici n’a pas son âge, mais il a semé des graines pour le long terme. En 1974, il a envoyé un message sous forme d’onde radio en espérant qu’il pourrait être lu par une intelligence extraterrestre dans les 50 000 années à venir. Le message d’Arecibo dérive aujourd’hui à plus de 45 années-lumière de la Terre.

Ce n’est pas sa seule contribution à la recherche de la vie dans l’espace. En s’appuyant sur la désormais célèbre « équation de Drake », les cher­cheurs de l’uni­ver­sité de Nottingham ont estimé que notre galaxie pour­rait abriter plus d’une tren­taine de civi­li­sa­tions extra­ter­restres « actives », capables de communiquer avec d’autres civilisations. Leurs calculs, qui partent du principe que la vie est capable de se développer sur d’autres planètes de la même manière qu’elle se développe sur Terre, ont été publiés le 15 juin dernier dans l’Astro­phy­si­cal Jour­nal

Selon l’étude, il est probable que 36 civilisations attendent d’être découvertes dans la Voie lactée. « C’est la première fois que nous avons une réelle estimation du nombre de civilisations intelligentes actives et capables de communiquer avec lesquelles nous pourrions entrer en contact », vante l’astro­phy­si­cien britannique Christopher Conselice. D’après lui, il faut plus ou moins cinq milliards d’années pour qu’une vie intelligente se forme sur une planète qui réunit les conditions nécessaires à l’apparition de la vie.

Frank Drake

L’équation de Drake qui les a aidés à en arriver là rassemble sept variables : le taux moyen de formation des étoiles, la fraction des étoiles possédant des planètes, le nombre moyen de planètes potentiellement propices à la vie par étoile dotée de planètes, la fraction de ces planètes sur lesquelles la vie apparaît, la fraction de ces planètes sur lesquelles apparaît une vie intelligente, la fraction des civilisations intelligentes qui développent la capacité de communiquer et la durée moyenne au cours de laquelle les civilisations peuvent communiquer.

Conselice et ses collègues ont appliqué leurs données récentes à cette équation de 1961. Ils ont ainsi déterminé qu’il y avait entre 4 et 211 civilisations extraterrestres dans la Voie lactée capables de communiquer les unes avec les autres. Puis ils ont cherché le nombre le plus probable à partir de cette fourchette et sont parvenus à 36.

D’autres chercheurs ont combiné l’équation de Drake avec un modèle différent, la « limite astrobiologique copernicienne ». Cette dernière prend en compte l’histoire de la formation des étoiles, la banalité des étoiles riches en métaux et la fréquence des étoiles accueillant des planètes semblables à la Terre dans leurs zones habitables. Avec cette méthode, Steve Wooding et Dominik Czernia ont estimé qu’il n’y a qu’une chance sur 3 milliards pour qu’une vie intelligente se développe dans Alpha du Centaure, le système stellaire et planétaire le plus proche de nous. Cependant, leurs calculs démontrent que plus on s’éloigne de notre système solaire, plus les probabilités de rencontrer une autre civilisation intelligente augmentent.

Mais les scien­ti­fiques de Nottingham précisent qu’il serait néan­moins diffi­cile d’en­trer en contact avec l’une de ces civilisations, puisque la plus proche se trouverait à une distance d’environ 17 000 années-lumière. L’étude des signaux radios en prove­nance de l’es­pace pour­rait conte­nir des indices quant à la loca­li­sa­tion de ces civi­li­sa­tions, mais aussi quant à notre propre espérance de vie.

Une histoire d’évolution

À partir des années 1950, le jeune diplômé de Harvard Frank Drake a consacré sa vie à l’étude et à la recherche d’une civilisation extraterrestre. Il comptait pour cela tant sur l’observation que sur les calculs et, alors qu’il supervisait la conversion de l’observatoire d’Arebico en télescope radio, l’astronome mettait au point une équation qui fera date. Parmi les variables à considérer, certaines sont relativement simples à mesurer comme le nombre d’étoiles qui se forment annuellement dans notre galaxie. D’autres sont beaucoup plus complexes, telles la durée de vie moyenne d’une civilisation, en années.

Or savoir combien de temps une civilisation peut prospérer permet d’imaginer le stade d’évolution technique et technologique qu’elle pourrait atteindre. En « seulement » 45 000 ans, notre civilisation a nettement évolué. En l’espace de 2 000 ans, nous sommes passés de l’âge de la pierre à celui de l’exploration spatiale. Et quand on parle de civilisation extraterrestre, il faut se placer sur une échelle temporelle qui se base sur des millions voire des milliards d’an­nées d’évolution.

« L’er­reur fonda­men­tale que font les gens lorsqu’ils pensent à une intel­li­gence extra­ter­restre est de croire qu’ils sont comme nous, où qu’ils sont seule­ment plus avan­cés de quelques centaines d’an­nées », remarque le physicien américain Michio Kaku. Si une civi­li­sa­tion a eu des millions d’an­nées pour évoluer, il est fort probable que celle-ci puisse réali­ser des choses impen­sables pour nous aujourd’­hui. Dans l’équation de Drake, il y a donc une variable très compliquée à ajuster. 

Michio Kaku

C’est pourquoi Christopher Conselice et ses collègues voient l’équation « plutôt comme un outil pour se poser des questions qu’une formule qui doit être résolue ». Seule l’évolution de notre propre civilisation nous permettra de donner des estimations plus précises sur le nombre de civilisations extraterrestres à portée de vue, voire de les rencontrer. En juin 2019, Frank Drake affirmait dans une interview que ce n’était question que de « temps et d’argent ».


Couverture : Dino Reichmuth