Space Force

À l’est de Denver, dans le Colorado, sept boules blanches se découpent au milieu de carrés de pelouse. Ces balles de golf immenses renferment les antennes paraboliques de la Buckley Air Force Base, une base aérienne américaine qui est aujourd’hui un peu plus qu’une base aérienne américaine. Sur leurs écrans géants, les militaires qui y travaillent analysent les trajectoires de différents corps célestes, de fusées mais aussi et surtout, de satellites. Ils font partie d’une nouvelle unité, l’United States Space Force (USSF).

L’USSF est la branche de l’armée américaine chargée de conduire des opérations militaires dans l’espace. Près de huit mois après sa création, le 20 décembre 2019, elle a publié un document de 64 pages expliquant comment les États-Unis vont chercher à asseoir leur domination en haute altitude, dans des sphères encore épargnées par les conflits armés. Cette doctrine militaire explique que « nos adversaires ont fait de l’espace un domaine de guerre ». Ce serait donc parce que d’autres États avancent leurs pions outre-atmosphère que Washington en ferait de même.

L’US Space Force fait bien sûr référence à la Chine et à la Russie. Cette dernière a été accusée d’avoir lancé une arme spatiale représentant une réelle menace pour les États-Unis en juillet. Mais du côté de Moscou, on assure que c’est une réaction à l’aventurisme américain. Les États-Unis « considèrent l’espace comme un théâtre militaire et prévoient d’y conduire des opérations », alertait Vladimir Poutine en décembre 2019.

La base aérienne de Buckley

Selon le président russe, l’armée spatiale américaine est dangereuse. « Cette situation nous oblige à renforcer nos objets en orbite, tout comme l’industrie spatiale dans son ensemble », avait conclu Poutine. Si ces trois puissances mondiales concourent à la militarisation de l’espace en développant des armes plus futuristes les unes que les autres, Washington a visiblement de l’avance. Aujourd’­hui, 50 milliards sont inves­tis chaque année dans le domaine spatial aux États-Unis, 11 en Chine, quatre en Russie et deux en France. Trump considère d’ailleurs que « l’es­pace est un champ de bataille au même titre que la terre, les airs et les océans ».

En 2021, l’US Space Force sera dotée d’un budget de 15,4 milliards de dollars, avec une augmentation prévue de 2,6 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. Cela ne comprend pas que des armes. La doctrine américaine affirme que la puissance militaire s’acquiert par différents biais. Il lui faut des explorateurs, des diplomates, des entrepreneurs, des scientifiques et des développeurs pour créer toute une expertise autour du projet de conquête spatiale militaire.

Pour l’USSF, l’espace est désormais un endroit où il est nécessaire de conduire des opérations militaires dans le but de protéger les quelque 1 000 satellites américains. En janvier 2020, un appareil russe s’est approché d’un peu trop près d’un engin américain pour que Washington ne soupçonne pas Moscou d’espionnage. Dans le même temps, la Chine a commencé à entraîner des unités spécialisées avec des armes capables de faire exploser des objets en orbite. Mais tout en dénonçant ces faits à grand fracas, les États-Unis déploient progressivement leur armée de l’espace.

La guerre des étoiles

Il y a une époque où les documents importants pour le futur de l’exploration spatiale n’étaient pas écrits à côté des boules blanches de la Buckley Air Force Base mais aux Nations unies. Lancés dans une périlleuse course à l’espace après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l’Union soviétique ont signé un traité à ce sujet le 27 janvier 1967, soit plus de deux ans avant que Neil Armstrong ne pose le pied sur la Lune. Cet accord prévoit une liberté d’accès totale à l’espace extra-atmosphérique et interdit l’installation d’armes nucléaires ou de destruction massive sur l’orbite de la Terre, sur la Lune ou tout autre corps céleste.

Il n’interdit toutefois pas strictement l’utilisation d’armes dans l’espace, contrairement au Traité sur la prévention d’une course aux armements dans l’espace, une résolution proposée à plusieurs reprises aux Nations unies dans les années 1980. Seulement, les États-Unis s’y sont toujours opposés, comme il se sont opposés au traité visant à prévenir l’installation d’armes dans l’espace introduit par la Russie et la Chine en 2008. Résultat, faute d’avancer, la régulation des forces militaires dans l’espace a fini par reculer.

En juillet 2014, Washington a annoncé la création d’un « corps de l’espace ». Moins de quatre ans plus tard, en mars 2018, les États-Unis mettaient officiellement en place cette force spatiale, équivalente à la Navy ou à l’Air Force. Et les autres pays du monde ont suivi pour ne pas être distanciés. Le 23 juillet 2020, l’ar­mée de l’air française a été rebap­ti­sée « armée de l’air et de l’es­pace ». Pour sa ministre, Florence Parly, les puissances mondiales se disputent d’ores et déjà la suprématie dans la galaxie.

Dans sa doctrine, l’US Space Force indique que l’espace est une zone qui doit être maîtrisée pour garantir certains intérêts vitaux des États-Unis. Les satellites doivent par exemple être protégés afin que les communications soient assurées. Certains ont d’ailleurs déjà une portée militaire puisqu’ils offrent la possibilité de détecter et de suivre les missiles balistiques et d’autres menaces comme des navires ou des lanceurs, grâce à leurs signatures thermiques.

Du point de vue de la force spatiale américaine, l’espace est « la source et le canal par lequel un pays peut exprimer sa puissance diplomatique, d’information, militaire et économique » et c’est la raison pour laquelle il faut « cultiver, développer et améliorer son pouvoir spatial pour assurer la prospérité nationale et la sécurité ». Et comme cette doctrine influence le monde, il y a peu de chances que l’escalade militaire s’arrête.

La couverture de la doctrine


Couverture : United States Space Force