Free America

Alors qu’Elon Musk saisit son téléphone, depuis sa luxueuse villa de Los Angeles, le coronavirus (Covid-19) continue de tuer aux États-Unis. Mercredi 29 avril, la pandémie fait 2 500 morts en 24 heures et le nombre d’infections dépasse le million. Pendant ce temps-là, le patron de Tesla pianote. « FREE AMERICA NOW », écrit-il sur Twitter pour ses 33 millions d’abonnés. Cet étrange message ne sort pas de nulle part. À plusieurs reprises, il s’est exprimé contre les mesures de confinement mises en place aux États-Unis. Non seulement le chef d’entreprise exige que les citoyens américains retrouvent leur liberté mais il considère même le confinement comme une mesure « fasciste ».

« Rendez aux gens leur LIBERTÉ », insistait-il en commentant un article du Wall Street Journal, selon lequel le confinement n’aide pas toujours à sauver des vies dans la majorité des villes. Le même jour, il s’exclamait « bravo au Texas ! » pour féliciter l’État qui a rouvert les restaurants, les centres commerciaux et les cinémas vendredi 1er mai. On y dénombre au moins 690 décès liés au coronavirus, même si certains observateurs pensent que les vrais chiffres sont bien plus élevés.

Enfin, le milliardaire a relativisé la dangerosité du Covid-19 en exprimant son accord avec ce message : « La chose la plus flippante de cette pandémie n’est pas le virus en soi, mais le fait de voir les Américains s’incliner si facilement et abandonner leur liberté gagnée par le sang au profit des politiques qui leur promettent la sécurité ». Musk a répondu : « Vrai. »

Le patron de SpaceX défend fermement son point de vue, lui qui avait pourtant prédit le 19 mars dernier que d’ici fin avril, le nombre de nouveaux cas recensés aux États-Unis « serait proche de zéro ». Une prévision malavisée puisque le pays compte plus de 2 000 décès par jour liés au Covid-19 et plus d’un million de cas au total. Mais Elon Musk persiste et signe, comme s’il avait décidé de troller quoi qu’il en coûte. Le milliardaire est ainsi « le plus bête des mecs intelligents », moque Gizmodo.

Les montagnes russes

Deux jours après avoir appelé à libérer les États-Unis, Musk débarque encore sur Twitter sans prendre de pincettes. « Le cours de l’action Tesla est trop élevé », évalue-t-il, ce qui provoque une chute monstrueuse de l’action Tesla de presque 11 %, soit 14 milliards de dollars envolés. Le même jour, et quasiment à la même heure, Elon tweete « Je vais vendre presque tous mes biens physiques. Je ne posséderai plus de maison », accompagné une heure plus tard d’un : « Ma copine est énervée contre moi ». Et elle n’est pas la seule : la Securities and Exchange Commission (SEC), qui contrôle les marchés financiers, n’aime pas ce genre de déclaration de nature à perturber la Bourse. Elon Musk le sait.

En 2018, l’entrepreneur tweetait : « J’envisage de retirer Tesla de la Bourse à 420 dollars par action. Financement assuré ». Cette annonce a fait bondir la valeur du titre à 367 dollars, si bien que les autorités boursières ont suspendu sa cotation. La SEC a alors accusé Musk d’avoir trompé les investisseurs « en faisant croire qu’il était quasiment certain de pouvoir retirer Tesla de la Bourse au prix de 420 dollars l’action » alors qu’il « n’avait pas assuré de financement ». Et cela lui a coûté son poste de président pour 45 jours.

Crédits : Steve Jurvetson

À partir de ce moment-là, tous les messages d’Elon Musk sur les réseaux ont été surveillés de très près. Le PDG devait obtenir un accord de la SEC pour tout tweet qui incluait des éléments potentiellement menaçant pour la sécurité de Tesla. Le milliardaire n’a pas apprécié. « Je vais être clair. Je ne respecte pas le SEC. Je ne les respecte pas », a-t-il déclaré fin 2018, lors d’une interview donnée dans le cadre de l’émission 60 Minutes, en ajoutant que personne n’est parfait et que tout le monde fait des erreurs.

Après cette histoire, Elon Musk a préféré s’écarter des tweets trop « sérieux » et a mis l’accent sur des notes d’humeur ou des blagues, pour le plus grand plaisir de ses abonnés. Il s’est ainsi mis à troller joyeusement, et cela n’est pas allé sans conséquence.

Des trolls à foison

En juillet 2018, juste avant de s’attirer les foudres du SEC, Elon Musk lançait un nouveau projet. Il voulait aider les secours qui tentaient de venir en aide à une équipe de foot coincée dans une grotte thaï­lan­daise, en conce­vant un sous-marin minia­ture baptisé Sanglier sauvage. « Il peut mettre son sous-marin là où je pense », a réagi un membre de la mission, Vernon Unsworth, sur CNN. « Ça n’avait aucune chance de marcher. Il n’avait aucune idée de ce à quoi ressem­blait le passage vers la grotte. » Sur Twit­ter, Musk l’a alors traité de « pedo guy » avant d’en­fon­cer le clou : « Je parie un dollar que c’est vrai. » De telles accusations sont évidemment mal passées.

Pour se défendre, le natif d’Afrique du Sud a relativisé l’importance de ses tweets. « De la même manière qu’il était évident qu’il ne pensait pas à me sodo­mi­ser physique­ment avec un sous-marin, j’ai pensé qu’il était évident que je ne pensais pas qu’il était un pédo­phile », a-t-il argué. D’ailleurs, « je me faisais appe­ler Tree­lon [sur la plate­forme] à l’époque », a-t-il ajouté pour souli­gner le manque de sérieux de ses échanges sur Twit­ter. « Je consacre peu de temps à Twit­ter », expliquait-il aussi en 2018. « Mes tweets repré­sentent litté­ra­le­ment ce que je pense sur le moment, pas du bull­shit corpo­rate soigneu­se­ment cali­bré, qui n’est rien d’autre que de la propa­gande banale. »

De cette ligne, Musk n’a guère dévié : « Pour info j’ai toujours été fou sur Twitter », écrivait-il le 15 avril 2019. « Mon Twitter n’a pas de sens en ce moment », ajoutait-il quatre jours plus tard. Puis, le 20 avril 2019, Elon Musk changeait la photo de profil de son compte pour y mettre Edward Elric, le personnage principal du mythique manga Full Metal Alchemist. Le lendemain, à l’occasion du Tesla Autonomy Day il vantait l’ « alchimie tout en métal » des nouveaux véhicules du constructeur, en référence encore une fois à son manga préféré du moment.

Alors que l’enquête du SEC menaçait Musk, il a relâché la pression en suggérant, en août 2019, de lancer des frappes nucléaires sur Mars pour enclen­cher un proces­sus de terra­for­ma­tion et rendre habitable la Planète rouge, alors que la plupart des scientifiques mettent cette idée en doute – pour le coup, Elon est très sérieux. Le mois suivant, il a tweeté un meme sur la Zone 51 accompagné de ce commentaire : « Certains secrets sont trop dangereux pour être dévoilés. »

Depuis octobre 2019, la valeur de l’ac­tion Tesla a doublé grâce à des profits surprises décla­rés dans la deuxième moitié de l’an­née. La société a aussi terminé de nombreux projets, comme la construc­tion d’une usine à Shan­ghai. Ces résultats ont sans doute laissé croire à Musk qu’il avait eu raison de tenir bon contre le reste du monde. Aussi a-t-il peut-être pris goûts aux idées iconoclastes. Et il peut aujourd’hui se permettre de narguer le SEC en affirmant que « le cours de l’action Tesla est trop élevé ». Après cette provocation, Musk a demandé à ses followers, comme si de rien n’était, s’il était possible de jouer à Minecraft avec des Tesla, en attendant la fin des mesures de confinement.

Il aura sans doute du temps pour le faire puisque, contrairement à ce qu’il présentait, le nombre de cas recensés n’est pas proche de zéro. Musk n’en démord pas. Hélas, contrairement à l’action de Tesla, le nombre de décès du Covid-19 ne peut pas repartir à la baisse.


Couverture : Heisenberg Media